Everything I've loved became everything I've lost + (Chanel)

Lionel parcourait le quatrième étage en tentant de dissimuler son sourire. Il ne devait pas paraître trop heureux. Le bonheur, aussi étrange que cela ne puisse paraître, était mauvais pour sa réputation. Les autres étudiants, n’en ayant pas l’habitude, se disaient que derrière cette bonne humeur, le lion devait préparer un mauvais coup, et cela lui occasionnait des problèmes qu’il n’avait pas recherché, mais que, sur le coup de la colère, il finissait toujours par créer. Sartre avait raison, l’enfer, c’est les autres.

Ses camarades de cours se retournaient vers lui. Lionel ayant agi conformément à ses habitudes prit un peu de temps avant de comprendre la cause de leur curiosité : il était apparemment étrange de le retrouver dans cette partie du château, lui qui n’était pas particulièrement studieux. C’est vrai. Il pouvait compter sur une main le nombre de fois qu’il était allé à la bibliothèque depuis le début de l’année. Il détestait les cours, il n’était pas pour faire du temps supplémentaire. Même quand il y allait, c’était simplement pour profiter du silence. Il en avait marre de cet anglais qui lui cassait à la fois les couilles et les oreilles.

Pourtant, cette fois-ci, son sac était rempli avec des rouleaux de parchemin, des plumes ainsi que son manuel pour le prochain cours de métamorphoses. Même s’il affichait son air ronchon habituel, tout allait mieux : il était plus heureux maintenant. Sa vie amoureuse était parfaite, même ses mésaventures ne semblaient pas si pires. Il n’avait pas particulièrement apprécié être oublié à Pré-au-Lard, mais il avait pu faire la connaissance de Berttie, l’estomac sur pattes, plus courageuse et intelligente qu’il ne l’aurait jamais pensé.  

Lionel entra dans la bibliothèque. Des faibles murmures se faisaient entendre, réprimés par un regard sévère du bibliothécaire. Des odeurs d’encre et de papier vieilli vinrent assaillir les narines du jeune lion. Parcourant la salle du regard, son sac sur une épaule, son collier en argent sur sa cravate, il ne paraissait pas du tout à sa place. Cette fois-ci, pourtant, il était là pour étudier.

Il finit par apercevoir son amie au loin (il se demandait si c’était réellement une amie, mais dans tous les cas, c’était une personne qui était de son côté, c’était ce qui comptait en ce moment, il se questionnerait sur l’éloquence du terme plus tard.) Charlotte était dans un coin reculé, étonnant pour elle, qui était si sociable et qui parvenait bien à se mêler au monde. De nombreuses fois, elle était venue vers lui, après qu’il se soit battu, pour tenter de l’aider, et à chaque fois, il n’avait cessé de la repousser. Lionel, dans sa tête, se disait qu’il n’avait besoin de l’aide de personne, qu’il affronterait le monde magique seul, mais pourtant, Charlotte revenait toujours. Une fois où il avait cru ne pas s’en sortir, le nez cassé, le sang coulait sur ses lèvres et sur son menton, Charlotte était venu et l’avait aidé, en lui murmurant des mots rassurants en français. Apaisé, serein, il avait fermé les yeux, se réveillant quelques heures plus tard dans l’infirmerie, en meilleur état, certainement grâce à sa bonne samaritaine. Il ne lui avait jamais dit explicitement, mais il était reconnaissant pour tout ce qu’elle avait fait pour lui.

Là, par contre, il y avait un étudiant qui lui tournait autour (un mec de Durmstrang, ils considèrent encore les femmes comme des objets en Russie, ne pouvait s’empêcher de pester Lionel), manifestement incapable de combler les volontés de la princesse qui ne voulait sûrement rien d’autre qu’un peu de calme pour étudier. Avec la délicatesse d’un taureau, Lionel fonça dans leur direction. Posant son sac sur la table avec force, il lança un regard sombre à son camarade. Il y avait des éclairs dans ses yeux alors qu’il prononçait avec rage : « Dégage ducon, tu vois bien qu’elle veut que tu lui fiches la paix. »

Lionel avait le poing serré : il était prêt à se battre. L’intrus semblait vouloir répliquer, mais il finit par partir. Lionel se retint pour ne pas cracher par terre. Tirant une chaise, il se laissa tomber sur cette dernière, sortant son grimoire de son sac, s’installant à la même table que Charlotte. Il laissa tomber l’épais recueil sur le table. « Métamorphose. » fit-il avec le sourire. « Cassandre est dans mon cours. Je ne sais pas si tu la connais. Totalement barjo comme fille, elle voulait que l’on teste des sortilèges impardonnables sur elle durant le cours de Granville. » Il lui arrivait de se demander pourquoi la demoiselle avait besoin d’aller aussi loin. Lors des entraînements, il ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression qu’à tout moment, elle pourrait se laisser tomber de son balai, pour le simple plaisir de la chute. Elle le motivait, à la façon d’un vieil ami, à la façon d’un nouvel ennemi. « Je veux être meilleur qu’elle. » Elle avait beau être attrapeuse, c’était probablement son cerveau qui avait la taille d’un vif d’or. Lionel se retint pour ne pas lâcher l’insulte, sachant que Charlotte ne la trouverait pas aussi drôle que lui.

« Toi, tu étudies quoi ? » demanda-t-il à Charlotte, se levant un peu de sa chaise pour voir le livre de sa camarade. Il ne tarda pas à pâlir en voyant sur quoi portait l’ouvrage avant de jeter un regard à Charlotte, la suppliant presque de lui dire que ce n’était pas vrai, que c’était juste un cauchemar, qu’il ne la perdrait pas aux mains d’une magie trop puissante, l’arrachant de tous ceux qu’il aimait, l’arrachant de tous ceux qui l’avaient aimé. Que ce ne soit qu’un rêve, pitié, que ce ne soit qu’un mauvais rêve.