Bien que Jude adore monopoliser la parole, nous allons la lui prendre un instant, le temps de pouvoir narrer son histoire d'un point de vue externe.
Il y a de ces choses que l'on préfère ne pas en parler. Jude n'aime pas parler de sa famille. Il évite le sujet comme la peste. Il pourrait vous parler des heures de lui, de ce qu'il aime, de ce qu'il déteste, des choses qu'il a pu expérimenter dans sa vie, des causes qu'il défend, des gens qu'il connait, mais poser lui une question sur sa famille, et il se refermera, se taira plus vite que vous ne pouvez l'imaginer, puis essaiera de dévier le sujet d'une façon si habile, que vous en oublierez votre question de départ. En effet, ces petites techniques de manipulations lui sont tout à fait naturelles. Ils les emplois depuis son plus jeune âge. Ne vous laissez donc pas avoir, et insistez. Têtu comme il est, il ne vous répondra pas. Il ne vous répondra jamais. Peu de personnes connaissent clairement sa situation familiale. Heureusement, nous, nous la connaissons. Et nous allons vous apportez des réponses, avec plus de précision et de clarté que Jude ne vous en apportera jamais.
Le Luxembourg, vous vous dites probablement que c'est un pays où il n'y a que des riches, des familles blindées, qui vivent dans un certain luxe. Eh bien, pour ne pas faire partie de la majorité, les Conte faisaient tout à fait partie de cette catégorie. En quelques sorte. Il ne faut pas s'imaginer non plus que Jude a été élevé dans un palace. Mais plutôt une grande maison spacieuse que les salaires d'un trader et d'une notaire permettent de payer.
Petit, il ne se rendait pas compte des injustices sociales dans le monde, et était fier de sa demeure. En grandissant, il devint plus engagé, et faire partie de cette minorité au revenu trop élevé le dégoutait. Il ne l'a donc jamais crié sur tous les toit, la crainte que l'on ne s’intéresse à lui que pour cet attribut planant au dessus de lui comme il le fera plus tard avec des amis, cachés dans un coin de son établissement scolaire magique.
Cependant, il ne refusera pas d'utiliser cet argent pour obtenir ce qu'il voudra. Pas dans le mauvais sens, non – jamais de sa vie il ne se laissera tenter par la corruption – mais pour avoir une jolie nouvelle baguette, de jolis nouveaux vêtements, maquillage et accessoires dont il n'a pas nécessairement besoin, de jolis nouveaux disques ou billets de concerts, ou même un joli appartement au cœur de Londres.
Cet argent a toujours été omniprésent dans la vie de Jude, comme un mythe, ses parents en parlant toujours mais ses yeux ne l'ayant jamais réellement vu. Un des paradoxe de sa personnalité étant donc qu'il n'hésiterait pas à le dépenser, mais considère que c'est un vice, une invention de l'Homme pour contrôler l'Homme, un concept qui dirige le monde droit à sa déchéance. « Tout est toujours une question d'argent, d'argent ! Les gens ne savent plus vivre, ne savent plus être heureux à cause de l'argent ! » En en ayant toujours eu beaucoup, il lui ait déjà arriver de brûler symboliquement quelques billets en compagnie de certains amis par provocation et anticonformisme, mais aussi pour en faire des clichés rebelles et anarchistes à épingler sur les mur de sa chambre.
Revenons donc à la famille Conte. En plus d'être, pour Jude, synonyme d'argent, elle est aussi un antonyme de « famille ». Avec toutes ces disputes, ces mensonges, cet amour remplacé par du mépris.
Il fut un temps où tout se passait bien, pendant lequel il n'y avait que de mineures discordes. Jude était encore un tout petit enfant, et n'a que de vagues souvenirs de cette époque qui lui paraît si lointaine. Tellement vague et lointaine qu'il a l'impression qu'elle n'a jamais existé qu'en rêve. Pourtant, les sorties le vendredi soir au restaurant ou au cinéma avec ses deux parents ont bien été réelles. Les après-midi après l'école au parc, avec sa mère, sous un soleil chaleureux, qui lui paraît toujours irréel, ont bien été réels. Les photos prises par son père où l'on peut admirer un Jude de trois ans donner à manger à son nourrisson de frère dans les bras de sa mère proviennent bien du monde réel. C'est une paires d'années après que ces clichés aient été pris que leur semblant d'idylle s'est complètement effondré.
Laurent Conte a toujours eu des doutes quant au véritable père de Paul, le petit frère de Jude de trois ans son cadet. Mais son amour aveugle pour sa femme Ophélie lui interdisait de relever quoi que ce soit jusqu'à ce que le doute devienne une évidence. L'enfant ressemblait beaucoup trop à un de leur ami, et non pas au père de Jude. Jude, lui, n'avait que cinq ans et il comprenait presque l'entière situation. Mais il ne comprenait pas assez les sentiments de ces parents, il ne les distinguait pas. Il ne voyait pas la détresse dans laquelle était son père, qui, en plus d'avoir un métier qui le soumettait à beaucoup de stress quotidien, devait affronter la dure réalité en rentrant chez lui le soir. Une femme autoritaire qui ne semblait plus l'aimer et qui le trompait librement mais dont il était trop amoureux et effrayé pour lui reprocher l'adultère dont elle était coupable, un fils turbulent à l'école et à la maison, et un enfant qui n'était pas le sien, pour qui il ne pouvait plus éprouver de l'amour paternel. Son seul réconfort était la boisson et la musique.
Cette musique qu'il a toujours aimé, et dont il a eu la chance de pouvoir pratiquer et en vivre à la fin de son adolescence en France. Dans les années 70, M. Conte était connu sous le nom de « Rent » et faisait parti d'un groupe de pop-rock qui n'a vécu que trois ans. Sur ces trois années, deux ont été glorieuses grâce à une chanson, un super hit qui les a propulsé, lui et son groupe, au plus haut de leur popularité. Il a connu les grandes salles de concerts, les interviews, les sessions photos, les journalistes, les fans en folie – mais pour un très court délai. Des tensions et mésententes au sein du groupe les firent se séparer rapidement. Un grand scandale pendant un mois, puis tout le monde les avait oublié. Laurent n'avait que vingt-et-un ans quand toute cette folie prit fin. Il décida alors de reprendre une vie normale, dénuée de toute cette pression médiatique que les jeunes artistes commerciaux subissent forcément, et de reprendre ses études qu'il avait abandonné. Avec tout l'argent qu'il s'était fait grâce à ses « Trois Glorieuses », il put s'installer au Luxembourg pour apprendre l'économie. Ce pays lui était familier, étant celui de ses parents, des fils d'immigrés italiens, mais aussi le sien : il y avait vécu le début de son enfance. À l'unique université du pays, il rencontra sa future femme, étudiante en droit. Ils obtinrent leurs diplômes puis se marièrent. Moins de neuf mois après ce mariage vint leur premier enfant, que Laurent voulait appelé Jude d'après la chanson de son groupe préféré. Ophélie fut réticente au début, mais accepta finalement, à condition que son deuxième nom soit Hector, le prénom du père d'Ophélie.
La musique ne l'avait jamais quitté, elle a toujours été sa passion et l'est encore actuellement. Il l'a d'ailleurs transmit à son unique fils. Ils partagent tous deux cette sensibilité au monde qui les entoure et qui leur permet d'écrire leurs chansons et les composer de façon à émouvoir et, dans certains cas, faire réagir leur auditoire. Les moments qu'ils passaient tout les deux étaient les seuls que le père de Jude appréciait. Il lui donnait des cours de guitare, lui faisait écouter la musique qu'il aimait et lui raconter l'histoire des artistes qui ont révolutionné la musique. C'était le seul moment où son fils turbulent qui ne restait jamais en place se calmait. Laurent avait l'impression d'être heureux dans ces moments-là. Mais il arriva un temps où ces courts moments de bonheur, qui se devenaient rares car Laurent préférait boire, ne lui suffisait plus. Sa femme le délaissait trop, la présence de cet enfant qui n'était pas le sien lui faisait mal, et cela se répercutait sur sa façon de travailler, qui devenait médiocre et lui faisait perdre beaucoup d'argent.
Quand Jude eu huit ans, son père fit une tentative de suicide et se fit hospitalisé. Cet incident apparu malheureusement dans certains médias français et luxembourgeois. Effectivement, Rent était encore bien gravé dans certains esprits, et ce genre de fait divers était ce que la press affectionne le plus. Heureusement Jude n'en avait pas entièrement conscience. Ophélie ne voulait pas emmener Jude voir son père à l'hôpital. Elle ne voulait pas qu'il voit comment il était pitoyable. « Ton père a fait quelque chose de lâche. » lui répétait-elle. « Il ne pourra te voir que lorsqu'il le méritera, lorsqu'il sera devenu fort. » Jude priait alors pour que son père redevienne fort, pour qu'il revienne à la maison. Et quand il revint, en bonne santé, allant un peu mieux, c'est sa mère qui partit. Elle s'en alla avec son petit frère. Ce petit-frère, Jude l'avait toujours considéré comme une sorte d'ornement, de jouet pour lui, d'intrus dans leur famille aussi. Mais il n'empêchait qu'il l'aimait bien, l'appréciait de temps en temps. Bien sûr, ils se disputaient comme tous les frères, mais Jude n'avait cependant jamais ressenti de la jalousie pour cet enfant. En plus d'avoir un avantage sur lui – il vivait avec son vrai père – il le voyait trop bête et trop moche pour pouvoir en être jaloux. Mais quand leur mère choisit Paul et oublia Jude, l'aîné était enragé. Il ne pouvait pas comprendre pourquoi sa mère l'avait laissé avec son père.
Ophélie avait laissé à Laurent la seul chose qu'elle lui ait jamais donné, c'est-à-dire un fils, Jude. Elle ne s'est jamais sentie proche de ce premier enfant, qui avait plutôt l'air de préférer son père. Celui-ci était le seul qui arrivait à le canaliser, à le faire taire. Elle, elle ne faisait que le gronder, d'après l'intéressé, et l'énerver. Elle ne jouait jamais avec lui, elle ne l'écoutait jamais et ne le laissait pas faire ce qu'il voulait. Alors, elle avait arrêté de faire des efforts. Si son fils préférait son père, et bien il resterait avec son père. Elle ne comprenait pas cet acharnement de la part de son premier garçon, tout comme elle ne comprit pas l'acte de son mari, deux ans plus tard. Elle croyait qu'elle faisait ce qu'il fallait pour qu'il ne se rende pas compte de la supercherie, de ses infidélités avec d'autres hommes, de son mépris envers lui. Elle n'avait pas réalisé qu'il savait tout, et qu'il en souffrait. Elle ne s'en était pas rendu compte. De la même façon qu'elle ne se rendait pas compte que son fils l'aimait tout de même. Ce défaut se retrouve aussi chez ce fils. Leur incapacité à deviner, détecter et comprendre les sentiments complexes des autres. Plutôt égocentriques, il ne font pas attentions à ceux qui les entourent, et beaucoup de choses peuvent donc leur échapper. Ce n'est pas le seul point qu'ils partagent. Jude a hérité de l'âme de leader de sa mère, de son fort caractère, son extrême entêtement, son plaisir de commander et son envie d'être unique. Ces deux boules de canons enflammées ne pouvaient de toute évidence pas s'entendre.
Si Jude n'avait été que sa mère, il n'aurait pas été une bonne personne. Mais heureusement, Jude est un parfait mélange de ses géniteurs. Et, malgré certains défauts assez gênant qui lui viennent principalement du tempérament de sa mère, il est aussi courageux, curieux de tout, généreux et engagé que son père.
La grande maison était soudain plus vide quand il ne restait que Jude et son père, et la nourrice, qui était là depuis toujours, mais hors du cadre, telle la bonne nourrice qu'elle était : invisible et efficace. Elle n'est pas très importante ni pour Jude ni pour son histoire. Bien qu'il l'ait eu comme mère de substitution toute son enfance, il ne s'est jamais attaché à elle. Elle n'est pas la seule dans cette situation. Jude ne s'attache facilement à personne. Il aime les gens, être en leur compagnie, pour se divertir, mais il est volatile. Il survole, mais ne se pose jamais. Il a compris que les gens entrent et sortent dans une vie plus de fois qu'il ne pourrait se l'imaginer. Il n'a aucun mal à laisser partir les gens qui doivent partir, et à faire rentrer les gens qui veulent entrer. Mais tant qu'ils seront dans sa vie, Jude les traitera aussi bien que s'ils allaient rester jusqu'à la fin. Et eux se souviendront de lui.
Cette nourrice, donc, s'inquiétait pour cet enfant, pour cette famille. Elle parlait beaucoup avec Jude, essayait de savoir comment il vivait tout ce drame, voir si elle pouvait l'aider d'une façon ou d'une autre, insistait pour qu'il aille voir un psychologue, parce que d'après elle, il en avait besoin. Laurent accepta donc de payer un médecin à qui sont fils parlerait. De toute façon, Jude aimait parler, alors que ce soit à un psychologue qui analyserait ses paroles et lui poserait des questions à propos de soi ou à ses camarades trop intimidés par sa personnalité exubérante pour lui demander de se taire, ça ne changerait pas grand chose.
La psychologue rassura la nourrice et le père de Jude en ne constatant aucun traumatisme ou problème graves chez l'enfant. Il supportait étonnamment bien la situation difficile dans laquelle il se trouvait. Beaucoup trop bien pour un enfant de son âge. Ce qui prouvait sa grande maturité et force mentale.
Cependant, il se confia à sa psychologue sur d'autres points. Comme son impression d'être un marginal et d'aimer ce statut. Il ne voulait pas être comme tous les autres garçons idiots de son école. Il se sentait comme rejeté partout, cependant, et il ne savait pas s'il devait se sentir triste à cette idée. La seule chose qui lui permettait d'avoir des amis, pensait-il, était le fait qu'il était toujours prêt à faire des bêtises, qu'il avait beaucoup d'idées pour bien s'amuser en bravant les interdits, et que les moutons aimaient les leaders comme lui. Il savait qu'à l'école, certains le prenaient pour un cinglé, à cause de certaines choses qu'il faisait ou disait. Parce qu'il disait tout ce qu'il pensait sans réel filtre. Aussi, ces idiots de garçons de la classe B le traitaient de fille à cause de ses cheveux un peu trop longs, et parce que la plupart de ses amis sont des filles. Jude exprimait surtout son sentiment de supériorité et de mépris par rapport à ses camarades plutôt que son apitoiement ou sa tristesse, comme l'aurait fait sa mère.
Il disait d'ailleurs ne pas avoir trop de problème quant au fait de ne pas avoir de réelles nouvelles de celle-ci et de son petit frère. La dernière chose qu'il savait d'eux étaient qu'ils vivaient chez l'un des amants de sa mère. L'enfant que Jude était à neuf ans avait conscience de l'emprise que celle-ci avait sur les hommes et sur son père. Il savait que ce dernier était toujours amoureux d'elle, et que si elle revenait, il ne pourrait pas lui en vouloir et la laisserait refaire sa vie comme si rien ne s'était passé. Jude décida donc de détester l'amour s'il ne pouvait que faire du mal aux gens et rendre son père si faible. Il souhaitait ne jamais se faire prendre au piège de l'amour, se promit de ne jamais aimer qui que ce soit de la même façon que son père aimait sa mère. D'un amour stupide, qui lui faisait décrocher le téléphone pour prendre des nouvelles de cette femme qui se foutait complètement de lui. Son père avait beau lui expliquer que l'amour, ça ne se choisit pas, Jude, lui, se promit que s'il devait aimer de cette façon, ce serait la musique qu'il choisirait.
Puis un jour, elle revint, Ophélie. Elle s'était fait jeté par son copain, qui avait découvert qu'elle le trompait. Alors, n'ayant nul part où aller, et la maison des Conte étant légalement toujours la sienne, elle s'est permit de réapparaître. Elle n'hésita pas à mentir pour que Laurent lui pardonne tout ce qu'elle avait fait. Jude, qui pensait que s'il revoyait sa mère, il l'écorcherait vive, se surprit à être content de revoir sa mère et son frère. Mais ça ne dura pas bien longtemps. Ophélie et Paul venaient chambouler tout les repères et la stabilité que Laurent et Jude avaient réussit à installer. Ces deux intrus n'étaient pas les bienvenues chez lui, et il le leur faisait savoir, défiant l'autorité de sa mère, et malmenant Paul, ce frère trop fragile à son goût. Il voulait se rebeller, montrer qu'il n'était pas d'accord, faire ouvrir les yeux à son père qui pensait en savoir plus long que lui sur le sujet. A dix ans, Jude était plus conscient de ce qu'il se passait dans sa demeure que son adulte de père. Sa mère était une vipère manipulatrice, et Jude refusait de se faire prendre au piège. Il était en colère, contre sa mère, mais aussi et surtout contre son père. Il débordait de frustration. Et toute cette colère et cette frustration, il la faisait ressortir d'une mauvaise façon. À l'école ou dans la rue, alors qu'avant il ne faisait que des petites bêtises pour s'amuser, il commença à contrer l'autorité plus lourdement, impliquant souvent des conséquences graves à ses actions. Il brisait les conventions sociales, mais aussi la vaisselle en porcelaine de la cuisine ou les miroirs de la salle de bain. Le plus fou dans tout cela était que certaines fois, il n'avait même pas besoin de lever le petit doigt pour que son assiette explose contre le mur près de la tête de sa mère. Evidemment, il se faisait gronder maintes fois, mais Jude aimait arborer ce sourire insolent pour narguer l'autorité des adultes, ce qui lui valait l'effet voulu : les rendre encore plus dingue.
Il voulait de l'attention, qu'on l'écoute, qu'on le laisse s'exprimer. S'habiller et se coiffer d'une façon différente étaient inclus dans le pack « je suis différent, je veux de l'attention et m'exprimer ».
Sa psychologue lui conseilla de recommencer à parler de musique avec son père, et d'écrire, de jouer, plutôt que de casser, voler, frapper, insulter ou dégrader. Par pur esprit de contradiction, et parce qu'il n'aimait pas qu'on lui dicte ses actions, il ne le fit pas tout de suite. Il attendit un peu, juste pour avoir l'impression que c'était lui qui décidait de ce qu'il voulait faire. Puis fit la paix avec son père et reparla avec lui de musique. Il redécouvrit alors le punk des années 70 et 80, qui correspondait à son état d'âme, mais aussi David Bowie, qui correspondait à son âme. Son oreille ayant murie, celle-ci pouvait appréciait les sons des chansons de cet idole, qui sera plus tard un modèle pour le jeune Jude.
Un problème résidait toujours : la présence de sa mère et de son demi-frère. Jude était décidé à ne pas capituler, à ne pas se soumettre. Ophélie continuait de tromper Laurent et tout le monde le savait. Les disputes éclataient plus souvent, l'homme du couple ayant repris tout de même confiance en lui et ne voulant plus d'une relation aussi malsaine. Ces disputes étaient bon signe pour Jude, qui espérait à la fin de chacune d'entre elle que la porte de l'entrée principale claque et se referme sur sa mère, et éventuellement son frère.
D'une façon ou d'une autre, il trouverait le moyen de faire fuir Ophélie et Paul.
C'est le jour de ses onze ans que cette occasion se présenta. De drôles de personnes vinrent sonner à la porte. Jude les apprécia de suite, avec leurs vêtements décalés, ils avaient l'air de sortir tout droit d'un film, ou d'un autre monde. Un monde où Jude se sentirait plus accepté.
Il fut difficile pour ces personnes de convaincre les Conte de les écouter. Plus ouvert d'esprit, Laurent fut celui qui les écouta, avec Jude a ses côtés. L'enfant était sceptique, croyait à une blague, une sorte de cadeau d'anniversaire pas si génial que ça. Son père pensait à un canular lui aussi, mais les preuves que ces messieurs ont donné étaient bien trop convaincantes pour ne pas considérer toutes ces histoires farfelues comme réelles. Et puis, elles donnaient un sens aux phénomènes inexpliqués provenant de Jude qui devenaient de plus en plus nombreux et répétitifs. Ophélie, elle, ne supportait pas cette réalité qui ne s'accordait pas avec la sienne, qui allait à son encontre. Mais elle devait se rendre à l'évidence : ce petit monstre en était véritablement un. Une abomination à ses yeux. Et elle n'en voulait pas. Laurent lui, acceptait totalement la vérité, sans rechigner. Il acceptait son fils comme il était. Et Ophélie ne le supportait plus. Elle n'en pouvait plus de ce mari et de ce fils, tout les deux malades. Elle ne voulait pas vivre avec deux malades.
Alors elle chercha un appartement à acheter à son nom, et s'y installa avec Paul. Elle quitta Laurent et Jude une seconde fois. Le premier était dévasté, réduit en miette, ne pouvait supporter cette absence, cette fuite une seconde fois, et fit une rechute qui s'accompagna d'une seconde tentative de suicide. Le second sortait vainqueur, fier, glorieux ; cet heureux événement suivait celui de la révélation de sa vraie nature, de la raison pour laquelle il se sentait différent, voire supérieur, aux autres enfants de son âge. En contrepartie, il dû subir les conséquences psychologiques qu'est de retrouver son père en sang dans la salle de bain. Ayant l'habitude des situations de danger et d'urgence à cause ou grâce à ses petits délits juvéniles bien que choqué et effrayé, il a eu le réflexe qu'il fallait en appelant les urgences. Mais ces images resteront à jamais gravées dans son esprit, et tout le mal qu'il se donnera ne sera pas suffisant pour les oublier.
Cet épisode fut médiatisé à nouveau et cette fois-ci Jude s'en aperçu, et ça ne lui plut pas du tout. Son tempérament lui permettait de répondre grossièrement aux journalistes à l'autre bout du téléphone, de lancer n'importe quel objet qui lui passait sous la main sur les rares photographes qu'il repérait rôdant autour de sa maison, où ne résidait plus que sa nourrice et lui. Celle-ci l'emmena voir son père à l'hôpital dès que les visites lui furent autorisées.
Quelques jours plus tard, Jude apprit que sa mère avait demandé le divorce, légalement. Il craignit que cette nouvelle n'anéantisse de nouveau son père, encore interné à l'hôpital. Celui-ci avait reçu l'information mais n'avait pas eu l'air de s'en soucier. Ce qui n'était pas non plus bon signe.
Jude passait beaucoup de temps dehors, ou chez ses amis, ou ailleurs, du moment qu'il pouvait éviter de rentrer chez lui et de devoir affronter la solitude des lieux. Aussi, la douce idée de pouvoir quitter ce pays pour étudier la magie en France dans un internat était un réconfort dans lequel il s'échappait souvent, et qui était la source d'inspiration de nombreuses de ses chansons. Il racontait à tout le monde que l'année prochaine, il ne sera plus là. Qu'il ira dans une école pour sur-doués en France. Parce que de son point de vue, c'est ce qu'il était. Il s'imaginait Beauxbâtons être une sorte d'institut pour X-men superbadass, de mutants en avance sur leur temps et l'évolution de l'être humain.
Entre-temps, le procès pour le divorce de ses parents eu lieu et Jude échappa de peu à la famille d'accueil. Mais le juge laissa sa garde à son père à condition que sa nourrice soient employée jusqu'au moins les seize ans de Jude Conte.
Depuis, Jude vit avec son père, sa nourrice, et la nouvelle copine de son père, rencontrée dans un café après une journée de travail. Laurent est donc un peu plus heureux, tout comme Jude est beaucoup plus épanoui. Celui-ci n'a revu sa mère et son frère qu'à de très rares occasions, et cela lui convient très bien.
Nous en avons donc terminé avec la famille Conte.
Mais pas avec Jude. (Eh oui, désolé!)
La rentrée de Jude à Beauxbâtons sera pour toujours un de ses meilleurs souvenirs. Tout était magnifique, il en resta bouche bée. Il était dans un rêve, bientôt il se retrouverait à nouveau dans sa banale réalité. Il avait apprit à apprécier chaque jour qu'il passait entre les murs de Beauxbâtons, de peur que tout ceci ne soit effectivement qu'un rêve. Puis la certitude que tout ceci était bel et bien sa nouvelle vie le laissa redevenir un petit garnement. Amateur de problèmes et professionnel d'attention – ce qui, entre autres, le conduit chez les Orchidées – il voulait découvrir tout ce que Beauxbâtons pouvait lui offrir. Se libérant de toute conventions sociales, il se sentait chez lui en France, ce qui le mena à être lui-même, s'exprimer de la façon dont il voulait. Ne tenant jamais en place, cherchant toujours à éviter l'ennui qu'il ne connaissait presque jamais, à s'amuser, à essayer de nouvelles choses, expériences, substances. Il n'était cependant pas populaire à l'école, c'était un « freak », le gars bizarre, différent. Certains pensaient même qu'il était constamment shooté à la poudre de mandragore.
En effet, extraverti, souriant, exubérant, sûr de lui, intrépide, parfois androgyne, ayant une opinion sur tout qu'il n'hésite pas à partager quitte à mettre de côté les sentiments des autres, il n'avait l'air d'avoir peur de rien, de vouloir se rebeller contre tout et surtout de ne se soucier de rien. Il était trop rapide pour tout le monde, trop changeant, on n'arrivait pas à le cerner. Ses humeurs, ses idées, ses opinion changeaient constamment. Mais il était éloquent et convaincant, et les gens l'écoutaient, le trouvaient fascinant. De cette façon, il avait une petite bande de fidèles amis. Tous différents eux aussi à leur manière. Ce qui ne l'empêchait pas d'être en de bons termes avec toutes les sortes de cliques différentes qu'il aurait pu exister à Beauxbâtons.
Son niveau, tout comme le reste, était assez changeant, connaissant des hauts et des bas, mais de très hauts hauts et des bas largement rattrapables. Ce n'était pas un élève régulier dans son travail, si travail il y avait. Jude avait vite réalisé qu'il avait un talent naturel pour la magie, un talent qu'il pourrait travailler pour être le meilleur, mais il préfère se reposer dessus en se contentant d'avoir des résultats convenables, qui peuvent être très bons, mais sans jamais réellement travailler.
Il aime apprendre, sans aucun doute, mais il n'aime pas qu'on le force à travailler, à faire quelque chose contre son gré. De ce fait, il a toujours été un garçon qui aimait aller à l'école et qui était contre ce système scolaire. Comme vous aurez pu le remarquer, ce genre de paradoxes intervient souvent dans la personnalité et la vie de Jude. Par exemple, il essaiera toujours de faire ce qui est bien, mais aime aller à l'encontre de la morale. Ce qui le conduit à briser toutes ces règles et à s'intéresser au
mal.
La magie noire. Il veut l'apprendre pour pouvoir mieux s'en protéger, et protéger les autres. Ce concept est la principale raison de son choix de GISIS. Pousser ses connaissances sur la magie jusqu'au bout, repousser les limites. Tout à toujours été une question de repousser les limites avec Jude, jusqu'à ne plus en avoir du tout. Être libre.