Oksana Voronova - L'enfant du corbeau

L’histoire, elle la connaissait par coeur. Un homme qui n’était pas comme les autres depuis sa naissance, qui se découvrait des capacités hors du commun et qui en avait peur. Un homme qui savait faire fondre la neige en hiver sans feu, communiquer sans voix ou déplacer certains objets sans la force de ses bras. Cet homme avait eu peur de ses pouvoirs avant d’apprendre à les apprivoiser. Il avait vécu reclus dans son petit village du nord du monde, là où les terres étaient trop hostiles pour accueillir les êtres humains les plus fragiles. En reconnaissant sa particularité dans l’autre, il épousa une jeune femme qui savait utiliser les plantes pour guérir et qui disait connaître les créatures dont on mentionnait le nom sans y croire. Ils étaient un couple curieux et qui faisait beaucoup parler de lui. En domptant la puissance de leurs pouvoirs, ils devinrent le bijou caché du village où ils résidaient, et lui offrit protection en échange de sa discrétion. Ils ne donnaient jamais de détails sur leurs véritables activités, mais d'aucuns disaient voir les corbeaux s’agglutiner autour de ce qui était leur maison. Les corbeaux leur servaient de compagnons, de messagers et d’outils. Ce fut pourquoi on leur donna le nom de l'oiseau, Voronov, et que chaque enfant qui descendit de ce couple anobli par leurs capacités fut affectueusement baptisé l’enfant du corbeau.

Dès lors, les Voronov firent bien attention à faire passer leur don de magie à leurs rejetons, même si cela signifiait que des mariages soient arrangés. Oksana le sait mieux que personne désormais. Quand elle était petite, l’histoire de sa famille lui était contée pour qu’elle s’endorme. Avec les générations, les Voronov avaient intégré Durmstrang. La plupart ne s’étaient pas distingués de leurs camarades, mais l’influence de la famille du corbeau était bien plus grande au sein de leur petite comté russe. Ils fondèrent le village de Koldun, non loin de Iekaterinbourg, qui n’abrita que des sorciers. C’était là que vivait Oksana depuis sa naissance, aux côtés de ses parents et de son grand frère Volodia. C’était là qu’elle avait grandi, et qu’on lui avait inculqué les subtilités du monde magique. Là où elle habitait, il n’était pas rare de voir des jets de lumière multicolores, des animaux fantômatiques aux contours argentés ou encore de curieux personnages habillés de cape qui transportaient des cages pleines de dragons.

Ce fut justement ces créatures qui l’intriguèrent le plus. La Russie était un pays qui en abritait beaucoup, par sa grandeur et son environnement. Ces bêtes majestueuses, si puissantes que même les sorciers les redoutaient, qui crachaient du feu et volaient avec tant de noblesse la fascinaient. Il y avait bien un dompteur de dragons à Koldun. Mais l’homme était un vieil ermite qui n’aimait guère être dérangé. Ce ne fut pas cela qui découragea Oksana d’aller le voir. Il ne devint pourtant pas un maître spirituel idéal. Il n'était pas de bonne compagnie et montrait sans retenue son caractère acariâtre. Elle rêvait souvent de devenir son élève et de jouir de son enseignement, mais il n'était nullement intéressé par ses actes et ne céda jamais à ses demandes incessantes. Alors elle se contenta d'apprendre en l'observant. Naquit ainsi son rêve d’élever à son tour des dragons. Son père la soutint dans sa voie. C’était un père aimant, qui éduquait ses enfants dans la fierté de leur différence autant que dans le respect d’autrui. Il les encourageait à étudier toutes les magies qui leur étaient offertes et à utiliser leurs pouvoirs pour rendre leur vie meilleure. Il plaignait souvent les moldus, jouissait de sa différence, mais ne les méprisait pas. En vivant sous sa tutelle et sous la protection de son grand frère chéri, Oksana fut une enfant choyée, énergique et pleine d'ambition. Son entrée à Durmstrang ne le changea en rien. Si elle fut très impressionnée par le processus de Répartition, elle entra dans la Fratrie du Basilic avec enthousiasme. Elle n’avait pas l’aisance académique que semblaient avoir tous ses camarades nordiques et slaves, mais elle étudiait autant qu'elle le pouvait pour atteindre leur niveau et briller elle aussi par ses résultats scolaires. L’institut était très stricte, et avait une politique d’excellence dont elle voulait absolument se montrer à la hauteur.
C’est en s’inscrivant au club de Duel qu’elle se trouva une matière dans laquelle elle pouvait réellement exceller. En bon membre de la Fratrie des Basilics, elle fit preuve d’une vivacité de mouvement remarquable, et savait très bien désarmer ses adversaires. Dans ses lettres, son père la congratulait.

Les choses commencèrent à se gâter lorsqu’elle entra en troisième année. Volodia se présenta comme candidat au Tournoi des Trois Sorciers de 1994. Elle savait que ce serait une fierté particulière pour lui, et elle ne doutait pas de son talent. Leurs adieux eurent lieu à Durmstrang même. Elle l’étreignit avec toute sa tendresse, et lui dit au revoir avant de le voir s’éloigner aux côtés de Karkaroff à bord du navire qui devait représenter l’Institut. Elle ne se doutait pas alors qu’elle le voyait pour la dernière fois. Il tomba amoureux d’une jeune sorcière de Poudlard, et s’il ne fut pas sélectionné au profit de Viktor Krum, il décida de rester sur place malgré le retour du mage noir britannique, Lord Voldemort.

Les deux années qui suivirent furent angoissantes pour Oksana. Elle trimait pour avoir les notes escomptées, et tenta même en vain d’intégrer une équipe de Quidditch de l’établissement. Alors elle finit par se rabattre sur les deux spécimens de dragons qu’il hébergeait. Jusqu’à ce qu’elle reçut un dernier courrier de son père lui informant d’une maladie qui l’avait touché. Il était difficile pour elle de s’avouer que même les sorciers pouvaient mourir de façon idiote, ou être touchés par des maladies. Malgré les nombreuses tentatives de sa mère, Pavel Voronov poussa son dernier soupir à la fin de l’hiver 96, et laissa une Oksana complètement esseulée à l’âge de 16 ans. Elle avait toujours le soutien de sa mère, mais cette dernière était une femme silencieuse, qui n’avait jamais su se satisfaire de la vie que son mari lui avait donné. Ainsi la jeune fille ne fut-elle pas étonnée de la voir aspirer à de meilleures relations une fois son époux enterré. La jeune femme lui en voulut beaucoup, et s’enferma dans sa propre douleur. Elle informa son frère par hibou, et attendit une réponse qui tarda. Elle lui en voulut à lui aussi. Elle se sentait lâchement abandonnée et n’aspirait désormais qu’à terminer ses études aussi rapidement que possible.

Ses relations s’envenimèrent rapidement lorsqu’elle apprit avec effroi que sa mère s’était acoquinée avec un des professeurs de Durmstrang. Ce dernier, un vilain personnage qui répondait au nom de Grigor Zverev, dit la Bête, descendait d’une famille de sorciers noble aux idées bien arrêtées quant à la descendance. Mais accablé par la stérilité qui lui faisait si honte, il épousa sa mère en la couvrant de doux mots sur ce qu’il pouvait faire de ses enfants, et devint son beau-père. Oksana en fut épouvantée, mais toute tentative de raisonner sa mère se solda jusqu'à ce jour à un échec. Grigor avait fait d’elle une nouvelle personne. En étant membre du corps professoral, il était doté d’un pouvoir de surveillance extrême qu’il n’hésitait pas à exercer au point où la jeune femme se sente physiquement menacée. Elle se sentait brisée par la mort de son père, l’abandon de frère et la trahison de sa mère. Elle tint tête à Zverev autant qu’elle le put, mais force fut de constater qu’en plus de ne pas être à la hauteur, il avait un pouvoir supplémentaire qui l’empêchait de pouvoir se rebeller à l’Institut. Il pouvait lui donner une piètre réputation ou réduire à néant tout le travail qu'elle aurait pu accomplir. Alors elle fit profil bas mais redoubla d’efforts. Elle ne voulait pas céder à une telle injustice, et passa davantage de temps encore avec les dragons avec qui elle partageait une complicité et une affection certaine.

Le jour de sa majorité sonna la fin définitive de son semblant de liberté. Les mariages arrangés étaient monnaie courante entre les murs de Durmstrang, et elle aurait dû se douter qu’avec un beau-père comme le sien, sa mère n’hésiterait pas à la livrer à l’expérience. La procédure ne tarda pas. Grigor se mit rapidement à la recherche d’un volontaire pour devenir son futur mari. Ce en même temps même où en Angleterre, la bataille de Poudlard faisait rage. Oksana était bien placée pour le savoir, elle suivait l’affaire de près depuis que son frère avait élu domicile là-bas. Mais elle n’avait pas eu de ses nouvelles depuis quelques temps et elle se sentait plus seule que jamais. La dernière qu’elle avait eu mentionnait que si bataille il y avait, Volodia n’hésiterait pas à y prendre part. Il ne précisa pas quel camp le compterait dans ses rangs, et cela la rendait folle. Elle ne cherchait plus qu’à fuir, et si l’Angleterre avait été son premier choix les années précédentes, elle ne savait désormais plus où elle pourrait trouver refuge.

La victoire du camp de Potter et l’échange européen qui fut installé l’année suivante sonna son salut. Grigor avait bien fini par lui trouver un prétendant, mais elle avait là l’occasion de le fuir tout en pouvant se mettre à la poursuite de son grand frère. Elle s’empressa de s’inscrire pour rejoindre Poudlard, et lorsque les choses furent faites, ses valises furent prêtes le soir-même. Ses parents furent furieux en apprenant la nouvelle. Ils savaient qu’elle n’y allait pas simplement pour passer le bonjour à Volodia et découvrir la culture magique britannique. Elle y allait aussi pour échapper à ce mariage dont elle ne voulait pas. Ses adieux furent très mouvementés. Sa mère fondit en larmes et Grigor la menaça de sa baguette. Mais elle était majeure désormais. Elle s’empara de son sac, prit son chat sous le bras et prit la porte en courant. On tenta de la suivre, du moins le crut-elle alors qu’elle ne diminuait pas le rythme jusqu’à arriver à la forêt avoisinante. Elle attendit d’assécher les larmes qui coulaient sur ses joues pour prendre le train vers Iekaterinbourg où se trouvait un portoloin. Kosh, son chat norvégien au pelage brun, reposait sur ses genoux. Il lui apportait beaucoup de réconfort en cette période agitée pour elle.

Mais désormais elle arrivait à Poudlard. Le château qui dressait fièrement ses tours noires était aussi imposant que Durmstrang mais n'effrayait pas. Une aura bienveillante entourait le château, et ce malgré le sombre passé qui hantait ses murs. Elle n’était pas confiante. Elle avait peur de lire le nom de son frère parmi celui des victimes, ainsi que de retrouver celui qui devait devenir son époux à ses côtés. Elle savait qu’elle n'était pas en sécurité. Mais à Poudlard au moins, peut-être y avait-il une petite place pour une jeune femme tourmentée qui tentait de résister à une force néfaste pourtant trop puissante pour elle. Peut-être à Poudlard, y avait-il une place pour un enfant du corbeau.