Chaque rose possède ses épines. Tout le monde connaît ces mots, mais personne n’en comprend la véracité. Lionel connaissait ces fleurs mieux que quiconque. Il avait été dans leur écurie avant de rejoindre les lions. Il avait été un beau jeune homme. Pour continuer dans les jeux de mots floraux, on pourrait même dire qu’il avait été un peu trop
fleur-bleue pour ce monde. Celui qui ne craignait pas les serpents avait vu son cœur se faire harasser par les aiguillons de ces boutons romantiques qu’il avait donné à ces filles, ces filles différentes de lui, qui avaient leurs veines un peu plus pures que les siennes, en pensant simplement que l’amour pourrait tout changer. Malheureusement, comme le disait une autre expression, l’amour n’était pas
rose, et il avait compris, le jeune homme, que ses roses, il pouvait les mettre où il le pensait.
Il était furieux contre le monde sorcier. Il avait cru qu’il avait perdu cette haine envers la sorcellerie, mais elle était encore présente dans le fond de son cœur. Il lui arrivait encore de tenir sa baguette dans les mains en se demandant s’il pourrait mettre le château en feu, se questionnant sur le temps que cela prendrait avant que ne soit déclenché l’incendie. Tout le monde lui répondrait probablement que c’était impossible, mais avec les perturbations magiques, tout était plus fragile que jamais, même ces foutues barrières qui devaient les protéger du monde extérieur ne lui résisteraient pas.
Malheureusement, il demeurait meilleur qu’il ne le pensait. Il demeurait encore trop bon pour véritablement pouvoir faire le mal autour de lui. C’est ce qui le différenciait de tous ceux qui possédaient un sang pur. Furieux contre lui-même, le brun bifurque dans une des rues secondaires, une de celles que l’on n’empruntait jamais, de peur de se faire voler ou de rencontrer un voyou. Lionel avait imposé son nom au sein du château. Personne ne connaissait son nom de famille, mais maintenant, Lemaire se trouvait sur toutes les lèvres. Ses ennemis le haïssaient avec une force sans nom alors que ses amis demeuraient présents pour le soutenir. Dans cet univers, c’était lui le méchant.
D’un pas assuré, il entre dans la petite auberge. La Tête de Sanglier n’a pas bonne réputation, il en a conscience, chaque fois qu’il passe devant en compagnie de ses amis, on le pousse dans le dos en direction d’un lieu plus fréquentable. Le lion ne peut se rendre dans le pub que lorsqu’il est seul ; de toute façon, dans ce genre de moment, il n’a envie de se trouver avec personne, pas même Sakura.
Lionel sent tout de suite l’odeur de la crasse, de la chèvre, mais il a l’impression de revenir à la maison. La tête de sanglier l’accueille, il n’a même pas un mot pour défendre l’animal, lui pourtant vaillant défendeur de la faune et de la flore. Il se contente de sourire, de marcher sans baisser le regard. Les gens ne se retournent plus vers lui. Il fait partie du décor, il ne vaut rien comme tous les gens autour de lui. Il était certain que tout le monde savait ce qu’il avait fait à Leiden, mais il n’était pas assez bête pour le confirmer. Il s’assoit sur un tabouret, jette un regard derrière lui, tentant de vérifier une dernière fois que son groupe ne l’avait pas suivi. Il y a toujours une facette de soi que l’on ne souhaite pas présenter aux autres. Il fait un petit saut quand on s’adresse à lui : «
Je te sers quoi, le Fourchelang ? »
Le dit Fourchelang se retourne, jetant un regard sombre au barman avant de répondre qu’il voulait la même chose que d’habitude. Il prend la boisson entre ses mains et commence à boire. Son serpent tourne autour de son cou, il sent la chaleur au fond de sa gorge se répandre partout dans son corps. Il comprend presque pourquoi les gens deviennent ivres. Cette fois-ci, par contre, il ne comptait pas se soûler ; il avait simplement besoin de penser à autre chose, histoire d’oublier le monde sorcier qui ne cessait de lui arracher tout ce qu’il aimait, ainsi que les sautes d’humeur de toutes ses petites filles de grande famille. Il pensait à Adélaïde, Narcisza, Perséphone.
Que toutes aillent brûler en Enfer.
La porte s’ouvre derrière lui. Il entend des sifflements, des hommes apparemment heureux de voir une demoiselle parmi eux. Cela n’arrivait pas assez souvent. Le lion se retourne, il reconnaîtrait le bruit de pas n’importe où. Il se retrouve devant une rousse, l’éleveuse de dragons. «
Tu fous quoi ici, MacFausty ? » grogne-t-il contre la demoiselle. «
Ce n’est pas un lieu pour les filles. » rajoute-t-il, en guise de provocation, son sourire le plus véhément sur le visage. «
Surtout pas pour une parfaite petite sang-pur telle que toi. » fit-il en se retournant vers le comptoir. Dans sa bouche, les mots sonnent comme une insulte. Le lion se retourne et continue de boire en souriant. Il allait enfin pouvoir s’amuser.