La lumière filtrait à travers les rideaux de l'appartement. Alors à moins qu'elle n'ait oublié d'éteindre avant de partir, je savais qu'elle était chez elle. Depuis que nos chemins s'étaient recroisés, j'avais passé le plus clair de mon temps à l'éviter, à me trouver des excuses pour ne pas aller la voir et à probablement me torturer l'esprit un peu trop. Que pouvais-je dire après toutes ces années ? J'étais partie, certes c'était prévu et je ne regrettais pas. Mais j'étais partie avec de lourds secrets et surtout je n'avais jamais donné aucune nouvelle. J'aurais pu le faire... Qu'est-ce que ça coûtait d'envoyer un hibou ne serait-ce qu'une fois par an ? Rien.
Plusieurs fois j'avais saisi ma plume pour raconter des aventures, sans doute moins édulcorées que celles que je vivais vraiment, mais juste de quoi donner un signe. Plusieurs fois j'étais restée devant mon bout de parchemin à me demander comment commencer ces fichues lettres. Et plusieurs fois j'avais déchiré les parchemins, et remplis le sol de lettres froissées. Et le temps avait passé, et ma volonté de donner un seul signe de vie à mes anciens camarades s'était finalement dissipée. J'étais pourtant de celles qui accordaient de l'importance à l'amitié, mais il y a des événements qui vous transforment à jamais.
Je n'avais jamais pu admettre à quel point j'avais pu être irresponsable, jamais. J'étais un peu trop fière pour cela. Alors, raconter ce qui m'était arrivé m'était impossible. Et écrire des inepties sur mes voyages, c'était de l'hypocrisie. J'étais bien des choses et j'avais bien des défauts, mais je n'avais jamais été une hypocrite avec mes amis. Le silence valait-il mieux que des mensonges ? C'était ce que je pensais. Et voilà comment il s'était écoulé près de dix-sept ans sans que nous nous croisions, sans que nous échangions un seul mot.
Et je me tenais là, enfin prête à rompre ce silence qui me pesait. Il était temps, je pense de briser la glace, peut-être de soulager un peu de ma conscience avec celle qui avait un jour été une de mes plus proches amies. Une de celles qui m'avaient sans doute le mieux connue. Avais-je tant changé ? Avait-elle changé ? Au point que nous serions comme deux inconnues qui se redécouvrent ? Aurions-nous des choses à nous dire ? Dix-sept ans, ce n'était pas rien. Je me demandais si nous saurions nous parler comme autrefois ou si finalement nous ne saurions quoi nous raconter.
Là devant sa porte, ces questions me traversaient à nouveau l'esprit. Je m'étais joué cette scène des millions de fois avant de me tenir ici, sans parvenir à déterminer ce qu'il en serait vraiment. J'avais tant hésité et pourtant je ne manquais pas d'audace. J'avais toujours été la première à foncer tête baissée et il m'arrivait de le faire encore un peu trop souvent. Là c'était différent, je me sentais mal d'être restée si longtemps dans le silence. Maintenant, si j'étais là, je ne reculerais pas. Je frappai le bois de la porte avec assurance. Un petit moment d'attente qui me parut interminable. Il fallait avouer que l'heure était plutôt tardive et évidemment je venais sans prévenir comme d'habitude. Mais bon, je ne me pointais pas les mains vides.
La porte s'ouvrit enfin sur Iverna et avec un sourire, je lui présentai ma bouteille de whisky pur feu :
C'était le silence qui m'accueillait. Bien sûr, elle était surprise de me voir et je ne m'attendais pas à des effusions de joie, des embrassades et des cris. Ça m'aurait gênée plus qu'autre chose dans le cas présent et ce n'était franchement pas son genre. Au moins, elle m'avait ouvert sa porte et m'invitait à entrer. Je ne sais pas ce que j'aurais fait dans le cas contraire. Je ne lui en aurais pas voulu, je n'aurais eu qu'à m'en prendre qu'à moi-même d'avoir attendu aussi longtemps. Mais peut-être en souvenir de ces belles années, peut-être parce qu'il fut un temps où nous partagions nos journées, elle semblait me laisser ma chance. Le temps ne pouvait pas effacer ce que nous avions vécu tous ensemble à Poudlard. Il pouvait nous faire vieillir, nous faire mûrir, nous endurcir, nous faire souffrir, nous éprouver, il pouvait nous marquer, nous apaiser... Il pouvait nous éloigner, mais il pouvait aussi nous rapprocher. Il pouvait modifier un tas de paramètres, mais jamais il ne pourrait supprimer tout ce qui avait existé.
J'entrai sans un mot, lui laissant le temps d'assimiler la situation que je lui imposais. Je m'étais préparée à cette rencontre, pas elle. Même si le silence m'était pesant en cet instant, je patientai. Il était pourtant celui qui me rassurait pendant mes sorties nocturnes, celui qui m'informait de la présence de vie sur un lieu que je convoitais. Humaine ou animal d'ailleurs, on n'imagine pas ce que certains peuvent utiliser comme système de protection... C'était celui qui me prévenait d'un raté lors de l'annihilation des systèmes de sécurité aux sorts parfois complexes. Le silence d'ordinaire sécurisant me mettait ici en situation de malaise. J'aurais pu la secouer comme avant, mais j'étais entrée et je n'avais pas envie qu'elle me mette à la porte aussi rapidement.
Je m'installai sur le canapé posant la bouteille sur la table basse, observant son lieu de vie tandis qu'elle était dans sa cuisine. C'était sobre et presque impersonnel. Cela aurait pu être l'appartement de n'importe qui. Cela aurait pu être le mien, enfin le bazar en moins quand même, même si j'essayais de m'améliorer sur ce point. Elle revint des verres à la main et entreprit de nous servir.
- Tu es certaine de vouloir que notre passé nous rattrape ?
Elle venait de briser le silence et pourtant ça ne me soulagea pas. Je ne répondis pas tout de suite. J'avais envie de lui arracher mon verre de ses mains et d'en boire une gorgée pour me donner une contenance. Bon sang, j'étais bien placée pour savoir que le courage ne se trouvait pas au fond d'un verre de whisky.
- Le passé finit toujours par nous rattraper, qu'on le veuille ou non. Pour une fois, j'ai eu envie de prendre les devants, dis-je dans un sourire.
J'avais mis le temps, certes, mais j'étais là. J'étais bien consciente que pour le coup, elle subissait ma démarche, mais j'avais espoir de retrouver quelque chose de notre ancienne amitié. Je ne voulais pas repartir sans avoir au moins essayé. Par quoi commençait-on ce genre de retrouvailles ? J'avais beau avoir imaginé cette réunion des centaines de fois, je n'avais jamais préparé la suite. Dix-sept ans c'était tout et rien à la fois.
- Alors Auror, du coup ? Ça ne m'a pas trop étonnée, tu sais... Mais tu ne l'es pas devenue tout de suite, je crois ?
Autant commencer par ce que nous étions devenues, je verrais ainsi si l'échange serait facile à poursuivre. Je pris finalement le verre et bus une gorgée, me demandant jusqu'où je pourrais aller dans nos échanges. Je me voyais mal revenir dans sa vie pour la baratiner et en même temps il y avait des sujets que je ne préférerais pas aborder.
Sa réponse n'augurait pas des retrouvailles chaleureuses et je n'osai diriger mon regard vers elle. Qu'attendais-je de cette rencontre ? Je ne pouvais pas réparer mes erreurs, je ne pouvais pas inventer des lettres que je n'avais jamais écrites, des rencontres qui n'avaient jamais eu lieu. Je ne pouvais pas changer ce que j'avais fait ou plutôt ce que je n'avais pas fait. Mais lorsque j'étais revenue, être confrontée à mon passé, à mes anciens amis... C'était plus facile de refouler mes regrets et ma culpabilité à l'autre bout du monde qu'avec une ancienne amie arpentant les mêmes rues que moi. Loin des yeux, loin du cœur, disait-on. Mais maintenant, les regrets m'envahissaient, le silence me hantait. On ne rattrapait pas autant d'années en une soirée, certes. Je voulais soulager ma culpabilité.
- Oberyn n’a pas fui ma vie au moins, c’est peut-être à cause de lui que je le suis...
Mais je crois qu'en vérité, elle allait ouvrir mon procès. Je ne dis rien, refroidie par ses sous-entendus. Non l'échange ne serait pas facile à poursuivre. Oui j'avais fui comme une voleuse, j'avais disparu de la vie de tout le monde. Que s'étaient-ils dit lorsque deux mois après notre diplôme je n'avais plus donné ni de son ni d'image ? Que s'était-elle dit ? Que pouvait-on se dire lorsqu'une amie disparaissait dans la nature après avoir partagé sept ans de votre vie ? Qu'aurais-je pensé à sa place ? J'aurais cherché à savoir ? Non je ne crois pas, on ne fouillait pas dans la vie de l'une de l'autre à l'époque. Ses reproches étaient faciles à comprendre, à quoi je m'attendais ? J'avais l'impression d'être de nouveau la gamine de Poudlard, celle qui se faisait remettre à sa place par son amie quand elle avait dépassé les bornes. Et il y a dix-sept ans, j'avais déconné et c'était aujourd'hui qu'elle allait me faire assumer le fait d'avoir disparu. J'aurais voulu dire que j'étais désolée, mais ça ne sortait pas. Je n'étais pas douée avec les excuses, saleté de fierté. Celle qui m'avait conduite à cette situation. Par fierté, j'avais voulu me débrouiller toute seule, ne pas subir leurs regards et voilà où ça m'avait conduite. Il n'y avait pas de quoi être fière d'avoir fui.
Tu cherches à venir me voir depuis combien de temps ?
Je sentais que cette question était loin d'être anodine et je me disais qu'au fond, elle connaissait sans doute la réponse. Si je lui disais que ça faisait plus d'un an que j'y réfléchissais, j'avais peur qu'elle m'assassine sur place. Bravo Maggie tu laissais tomber ton amie pendant seize ans et tu te payais le luxe d'attendre encore un an avant de renouer... Mais j'étais venue et quelque chose me disait au ton de sa voix que j'allais me manger sa rancœur et que je n'allais pas apprécier le goût que ça allait avoir. Le whisky que je tenais en main n'aiderait pas beaucoup à faire passer l'amertume de cette conversation. On ne se préparait jamais assez à ce genre de situation parce qu'on espérait toujours que ça se passerait au mieux.
- Ça fait un bon moment, avouai-je avec moins d'assurance que pour mes précédentes paroles.
Je n'avais pas beaucoup d'options devant moi et clairement faire comme s'il ne s'était rien passé et que tout était normal n'en faisait pas partie. J'allais devoir prendre sur moi et les mots que je retenais aller devoir sortir. Le courage ne se trouvait certes pas au fond de mon verre, mais je ne pus m'empêcher de l'y porter à nouveau à mes lèvres pour ne pas avoir l'idée de fuir encore.
- Je suis désolée, j'aurais dû...
Mais qu'aurais-je dû faire au juste ? Il y avait tellement de choses que j'aurais dû faire dans ma vie mais jamais je ne prenais les bonnes décisions. Condamnée à commettre erreur sur erreur et passer le reste du temps à les fuir.
- J'aurais dû te prévenir que je viendrais, mais je n'étais pas vraiment certaine que tu accepterais de me voir...
ça et le fait aussi que je n'étais pas du genre à préparer le terrain... Je serrai le verre dans mes mains, jetant un œil vers la porte d'entrée. Iverna ne me pardonnerait pas. En tout cas sûrement pas sans m'avoir fait assumer mon silence. Assumer ou fuir ? Si je choisissais la deuxième solution, je pouvais à jamais faire une croix sur notre ancienne amitié.
- J'ai pas voulu fuir ta vie...
Je n'avais juste pas su faire autrement à l'époque, mais je n'étais pas certaine qu'elle comprendrait. Non parce que j'aurais pu faire des choix différents.