Quand le hibou a frappé à la porte de son cachot ce matin, Kamen ne pensait pas que ce serait pour lui. Teodor lui a pourtant jeté la lettre en pleine face, sans lui dire bonjour. Ils ont pris l’habitude de vivre l’un à côté de l’autre, mais ce n’est pas évident ni pour l’un ni pour l’autre. Ils sont trop colériques pour s’apprécier, trop rancuniers pour se pardonner, trop aimantés pour se passer l’un de l’autre. Heureusement, Zirwya est là pour les canaliser, parce que sinon, la bataille aurait éclaté plus d’une fois. Mais dernièrement, Kamen n’a même plus la force de se battre. A quoi bon ? Il sait qu’il ne quittera pas le cachot dans lequel on l’a enfermé il y a presque quatre mois. Il s’est fait à l’idée. Lou vient lui rendre visite et ils essaient de s’imaginer leur retrouvaille, mais ça leur fait plus de mal qu’autre chose. Les amants maudits. Depuis qu’ils ont quitté Durmstrang, tout se passe pour les séparer. La mort de son frère, les poisons, les amis de Lou et les erreurs de Kamen. Il s’en veut toujours, et il se promet de se faire pardonner. Mais il ignore si il y arrivera un jour. Kamen enfile son tee shirt et file se brosser les dents mécaniquement. Il se regarde dans la glace et il voit cet enfant qui a grandit trop vite, poussé par un père autoritaire et une mère absente. Il voit les creux de ses joues, il a maigri. Parfois, il aimerait ne pas avoir de glace, mais il sait qu’il oublierait alors qui il est. C’est peut-être ce qu’ils veulent après tout.
A côté du lavabo, l’enveloppe traîne. Il reconnait l’écriture de son père. Cette ordure qu’il ne peut pas s’empêcher de respecter. Il sait que c’est une lettre pour lui souhaiter des vœux idiots, des vœux de Yordanov. Il n’y aura aucun mot pour Zahari. Aucun mot d’amour. Kamen se demande pourquoi on leur laisse avoir des lettres de leur proche. Lui aurait préféré ne rien avoir du tout. Noël ce n’est pas son truc, ça ne l’a jamais été. Les Noëls, au Manoir des Yordanov, il les passait avec Oxana et Yassen et une nourrice. Il n’a pas connu la frénésie des fêtes de famille, la chaleur d’un bon feu de cheminée et des boissons chaudes préparées par des mères angoissées mais heureuses. Il aurait tout donné pour vivre cela rien qu’un peu.
Kamen sort du cachot et n’oublie pas sa lettre. Comme chaque matin, il se dirige vers la salle à manger, et il va s’assoir dans un coin, loin des autres. Il ne regarde pas Yassen, il n’y arrive plus. Les jumeaux ne font plus qu’un, ils sont désormais à des milliers de lieux l’un de l’autre. Kamen regarde sa lettre et il ne la quitte pas des yeux jusqu’à la fin du repas.
Il se demande ce qu’elle contient, et ce qu’elle va lui apprendre. Une nouvelle affreuse ? Au fond de lui, il craint d’apprendre une terrible mort, celle de sa mère. Il la sait affaiblie, épuisée, et Andreï n’a sans doute pas cessé de la torturer. Elle mourra cette année, de chagrin ou de maladie. Mais avec Ilia ils avaient commencé à penser à la faire venir ici… avant toute cette merde de quarantaine et d’épidémie. Maintenant Kamen a peur de la faire venir, et si elle tombait malade ?
Le jeune homme a terminé son repas. Il pousse son assiette de côté. Il lui reste un peu de temps avant les tests de réactivité aux potions. Alors il ouvre cette lettre qui lui fait tellement peur. Il l’ouvre, et il s’attarde sur chaque mots, comme si c’étaient les derniers qu’ils lisait.
Fils,
Tous les deux, nous n’avons pas discuté depuis plusieurs semaines. Je regrette de ne pas être venu à cette coupe de monde dont tu m’avais tant parlé, mais les affaires ne s’arrêtent jamais, tu le sais. Et ta mère était trop faible pour voyager.
Kamen s’arrête de lire. Mensonges. Il n’est pas venu, parce que Katja était trop faible à cause de ses coups, et parce qu’il craignait les Aurors. Il avait pourtant promis. Mais les promesses des Yordanov ne valaient sans doute rien.
Si tu ne m’écris plus pour cette raison, je trouve cela idiot. Tu dois maintenant avoir la tête sur les épaules. Tu seras certainement le prochain roi de la famille, alors comporte toi comme tel. Je te rappelle que je peux encore décider de laisser à Yassen les rennes. Tu ne voudrais pas être humilié, n’est-ce pas ?
Andreï ne changera donc jamais. Kamen sent une pointe de jalousie et de colère naître au fond de sa gorge. Pourquoi vouloir le monter contre son propre frère ? Peut-être pour lui rappeler qu’il ne peut faire confiance à personne, pour qu’il devienne plus fort. Malgré lui, Kamen poursuit sa lecture.
J’espère que tout se passe comme il faut à Poudlard, et que tu écoutes Oxana, elle a toujours été une voix avisée pour t’aider, te guider. J’aurai aimé qu’elle soit un homme, ça aurait été plus simple pour tout le monde. En attendant, je veux que tu n’oublies jamais d’où tu viens, et qui tu es. Pour cela, regarde au fond de l’enveloppe. Joyeux Noël.
Andreï.
Kamen ne comprend rien à cette lettre. Son père le rabaisse, l’enfonce encore plus que jamais, et tout cela pour Noël. Aucune considération, aucun encouragement, Kamen se sent encore plus bas que terre. Il soupire, et ouvre l’enveloppe. Quand il en découvre l’intérieur, il pousse un cri si puissant qu’il aurait pu alerter les élèves de Serpentard à quelques couloirs de là. Des mèches de cheveux brunes. Celles de Zahari. Kamen est tétanisé, il ne peut plus parler, il a mal partout et il se sent pétrifié. Son père lui a envoyé des cheveux de son frère défunt. Il n’arrive pas à le croire. Jusqu’où ira donc Andreï ? Il ne peut pas sortir les cheveux, il ne peut pas les toucher. Il sait que cette lettre est un avertissement, qu’il faut qu’il se réveille sinon Andreï sera sans pitié. Kamen replie la lettre et la range dans l’enveloppe. Il se lève et laisse couler une larme, une seule, avant de retourner à sa routine, à ses occupations. Les mèches de cheveux le brûlent à travers sa poche. Mais il continue d’avancer.
Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. 
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