Mon histoire commence le 27 juin 1983 à Londres, en Angleterre. C'était une journée plutôt chaude en ce début d'été. La plupart des gens commençaient à tomber en vacances, mais pas mon père, qui travaillait comme camionneur et faisait beaucoup affaires à l'étranger. Ma mère, quant à elle, avait arrêté de travailler depuis quelques semaines maintenant, car sa grossesse avait beaucoup réduit ses capacités physiques et elle n'était plus trop en mesure de faire son travail. Elle était employée en restauration et passait ses journées debout. Depuis qu'elle avait arrêté de travailler, elle s'occupait en bouquinant de l'aurore au crépuscule. Elle n'était pas très brillante et avait arrêté l'école très jeune pour pouvoir aider ses parents à la ferme familiale, mais avait toujours adoré la lecture.
Mon père était parti depuis maintenant plus d'une semaine pour une livraison en Europe de l'Est. Durant cette période, il ne pouvait pas donner de nouvelles à ma mère, n'ayant aucun moyen de communication à bord de son véhicule. Ma mère n'était de toute façon pas supposée accoucher avant deux semaines et malgré ses problèmes de mobilité, les médecins lui avaient assuré que sa grossesse se passait à merveille et qu'elle viendrait à terme de ses quarante semaines. N'ai-je pas dit qu'elle était supposée accoucher deux semaines plus tard ? Oui, c'était ce qui était prévu, mais dans la nuit du 27, elle a perdu les eaux. Apparemment, je devais être pressé de voir le jour. Ils avaient prévu du beau temps pour cette journée là alors j'ai du vouloir sortir plus tôt pour en profiter un peu.
Ah et le plus drôle dans l'histoire, c'est que je devais être une fille. En tout cas, c'est ce qu'avait dit le médecin incompétent qui s'est occupé de ma mère du début à la fin de sa grossesse. Alors autant vous dire que ma mère a eu un sacré choc quand elle a vu que sa fille avait un appendice entre les jambes. J'avais une belle chambre rose et des vêtements peu adaptés à mon genre. De plus, mes parents n'avaient jamais réfléchi à un prénom masculin. Je devais m'appeler Caitlin. Ils auraient pu laisser ça comme ça, mais j'aurais du faire face aux moqueries durant toute ma scolarité. Non, ma mère a finalement décidé de m'appeler Charles, comme mon grand-père. Mon père ne pouvait pas vraiment donner son avis, car il était probablement dans le coin de la Bosnie à l'heure actuelle. Lui aussi aurait un choc en rentrant de travailler... En plus de trouver un nouveau-né chez lui à son retour, il constaterait qu'il n'était plus le seul homme de la maison.
Quelques années plus tard, alors que mes parents se sont finalement remis du fait qu'ils n'ont pas eu de fille, je surprends une conversation entre eux. Ils ne semblent pas vouloir que quelqu'un les entende, alors je ne fais pas de bruit. Je suis tapi derrière le canapé dans le salon alors qu'ils me croient en train de jouer dans la cour, derrière la maison. Je passe le plus clair de mon temps dehors quand je ne suis pas à l'école, c'est une cour fermée, alors il n'y aucun risque que je ne m'enfuie. J'ai déjà essayé. Mes petits doigts ne se rendent pas bien haut et je n'atteins pas la palissade.
Pour revenir à mes parents, ils parlent à voix suffisamment basse pour que quelqu'un se trouvant dans la pièce voisine ne comprenne pas ce qu'ils disent. Mais j'ai de très bonnes oreilles et je me trouve juste derrière eux. Ils parlent d'un garçon et qu'ils l'appellent « le petit ». À mesure que la conversation se poursuit, je comprends qu'ils parlent de moi. Qu'ont-ils à cacher pour parler si bas. J'ai beau n'avoir que cinq ans, je suis très intelligent pour mon âge et comprends bien plus de choses que je ne devrais.
« Mrs. Winterbourne s'est encore plaint du comportement étrange de Charles aujourd'hui. Il fait peur aux autres enfants... » dit ma mère à mon père.
Mrs. Winterbourne est mon professeur à l'école primaire. Elle est très gentille et n'a jamais montré de crainte à mon égard. Les autres élèves me regardent bizarrement et se tiennent souvent loin de moi, sauf Tommy, mais je n'en fais pas de cas. Ils sont un peu stupides, alors c'est probablement pour ça qu'ils ne veulent pas jouer avec moi. Mrs. Winterbourne s'occupe très bien de moi et me donne toujours une briquette de lait quand je suis sage. J'adore boire le lait à la paille, car la plupart du temps, cette action est suivie de la récréation.
« Penses-tu qu'il pourrait être comme tes parents ? lui redemande ma mère.
- C'est possible. Parfois, ça saute une génération. »Penses-tu qu'il pourrait être comme tes parents ? Elle parle de grand-père et grand-mère ? Qu'est-ce qu'ils ont de spécial à part être les grands-parents les plus géniaux de Grande-Bretagne, voire du monde ? Grand-mère me redonne toujours une part de gâteau et grand-père me donne toujours une pièce sous la table en me faisant signe de ne pas le dire à maman. Ils m'aiment beaucoup, je crois. Je les ai entendus parler avec papa l'autre jour, et il leur a dit qu'il pensait qu'ils allaient bientôt être très fiers de moi. J'ai alors regardé mon père et ai vu dans ses yeux beaucoup de mélancolie, mais je n'ai pas compris pourquoi.
C'est la première fois que nous partons en vacances en famille, et je dois vous dire que je suis excité comme une puce. J'ai maintenant neuf ans, même si ma taille laisse présumer que j'en ai deux de moins. Je ne suis vraiment pas grand, et quand je regarde mes camarades à l'école qui font une tête de plus que moi, j'ai peur de rester petit toute ma vie. Peut-être que je suis un nain et que c'était ce que me cachaient mes parents quand ils disaient qu'il se peut que je sois comme mes grands-parents. Ils ne sont effectivement pas très grands non plus. À l'école, Mrs. Winterbourne disait toujours que ce qui était petit était mignon, alors c'était certainement la raison pour laquelle elle était gentille avec moi et me défendait. Cela n'expliquait par contre pas pourquoi elle se plaignait de mon côté étrange auprès de mes parents.
Bref. Pour ces premières vacances, mon père nous emmène en France, sur la Côte d'Azur. Il n'y est pas retourné depuis sa tendre enfance et parle souvent à ma mère de St-Tropez, Monaco et Nice. Et pour que nous profitions du voyage, nous descendons toute la France en voiture, longeant l'est de l'hexagone afin de passer par les Alpes et ses paysages à couper le souffle. Grand-père et grand-mère auraient du venir avec nous, mais grand-père est tombé malade quelques jours avant le départ. Grand-mère a décidé de veiller sur lui en disant que je lui raconterai toutes mes péripéties à notre retour. J'adore ma grand-mère, ses cheveux roux bouclés et ses grands yeux noisette ont toujours le don de me faire sourire.
Arrivés à bon port, mon père nous emmène faire un petit tour en bateau sur le littoral. J'ai toujours rêvé de monter sur un bateau. Nous ne l'avons même pas utilisé pour passer de Dover à Calais. Mon père a préféré prendre le Tunnel sous la Manche, prétextant que c'était plus rapide. Pas grave, je ne lui en veux pas pour ça. Il s'est bien rattrapé en nous faisant embarquer sur un autre, plus petit mais plus intime. Ma mère n'est pas très rassurée cependant. Vue la teinte de son visage, je pense qu'elle a le mal de mer. Le remous des vagues la fait grimacer alors je vais l'enlacer pour la réconforter. Elle me passe frénétiquement la main dans les cheveux - j'ai la coupe au bol et je déteste cette coiffure car j'ai l'impression de ressembler à un playmobil. Moi je veux être coiffé comme Tintin, lui il est cool.
Je suis allongé sur le bord du bateau, essayant de toucher l'eau du bout de mes doigts. Mais ils ne se rendent pas. Je jette un regard à ma mère qui me dit de faire attention. Mais je ne l'écoute pas. Je suis un garçon têtu. Quand je veux quelque chose, je l'obtiens. Et là en ce moment je veux toucher à l'eau. J'y parviens finalement, mais avec ma tête, puis mon corps tout entier. Oui, j'ai glissé et suis tombé à l'eau. En pleine mer. Je ne sais pas nager. Je coule. Mon père lâche la pédale et saute à l'eau pour me récupérer. Sauf que son corps n'est pas encore mouillé que je suis de retour sur le bateau. Comme par magie ! Maman me dit que la magie n'existe pas, mais j'y ai toujours cru, et c'est ce qui vient de se produire, j'en suis sûr. Lorsque mon père remonte à la surface en panique de ne pas m'avoir retrouvé, il me voit sur le bateau, sec qui est plus est, et me sourit. Son regard croise celui de ma mère et je le vois hausser les épaules en riant.
« Tu es un sorcier, Charles ! »Si vous aviez vu la tête de mes grands-parents quand papa leur a dit qu'il y avait un sorcier de plus dans la famille. Mon grand-père a sauté de joie et ma grand-mère s'est mise à danser. J'ai alors vu pour la première fois la déception dans les yeux de mon père. S'il avait été fier que je sois un enfant magique, il n'en était pas moins affligé. Ses parents avaient tous les deux hérité de ce don, ainsi que son frère, mais lui était un cracmol. Il aimait sa vie telle qu'elle était aujourd'hui, mais il avait toujours eu un sentiment de manque. Grand-père m'a expliqué que papa aurait espéré que je sois comme lui, dépourvu de pouvoirs magiques, mais qu'il était content que je puisse vivre ce qu'il ne pourrait jamais vivre.
Le jour de mes onze ans est le plus beau jour de ma vie. Un hibou vient de se poser sur le rebord de ma fenêtre. C'est la première fois que je vois un hibou, à moins que ce ne soit une chouette. Peu importe. À sa patte est accrochée une enveloppe que je reconnais tout de suite. C'est ma lettre d'admission pour Poudlard, que je me hâte d'ouvrir et de lire. Grand-père m'a montré sa propre lettre, qu'il avait lui aussi reçu le jour de ses onze ans, bien des années auparavant. Il m'a dit tout ce que j'avais à savoir sur Poudlard et le monde de la magie, sur qui étaient les sorciers les plus célèbres, les bons comme les mauvais. Je ne suis pas incollable, mais je pense qu'il m'a fait rattraper mon retard un tant soit peu.
Je montre ma lettre à mon père, qui me serre dans ses bras, mais je sens sa distance. Ma mère m'adresse un sourire, mais ne peut elle non plus partager ma joie. Elle est solidaire envers mon père, même si je sais qu'ils m'aiment tous les deux très fort. Je sors de la maison et cours chez mes grands-parents qui vivent à quelques maisons de la nôtre. À l'inverse de mes parents, ils me témoignent beaucoup plus d'attention et sont fiers de moi. Ils passent la journée à me raconter plein d'anecdotes sur leur scolarité et ce qu'ils ont fait de leur vie. J'ai alors appris que mon grand-père, que je pensais être un policier, était en fait un Auror. Pour simplifier les choses, c'était à peu près pareil, mais avec une baguette magique à la place d'un pistolet. Quant à ma grand-mère, elle était bien journaliste comme elle me l'avait toujours dit, mais non pas pour le Times, mais plutôt pour la Gazette du Sorcier, un journal où les illustrations étaient animées.
Le 18 août de la même année, soit près de deux mois après la réception de ma lettre d'admission et moins de deux semaines avant mon entrée officielle à Poudlard, c'est le pire jour de ma vie. Ma mère est allée travailler et n'est pas rentrée à l'heure. Mon père est inquiet et tente de la rejoindre à son travail, mais on lui assure qu'elle est déjà partie depuis une bonne heure. Il s'apprête à sortir de la maison pour aller la rejoindre, mais on frappe à la porte. Je suis dans l'escalier, et vois les deux silhouettes qui se dessinent dans l'opacité de la vitre recouvrant la porte d'entrée. Mon père met une main tremblante sur la poignée et la tourne lentement, car il sait qui sont les deux hommes derrière la porte et ce qu'ils s'apprêtent à lui dire. Avant de l'ouvrir, il me jette un regard et me demande de monter dans ma chambre, mais je lui réponds à la négative. La porte s'ouvre et deux hommes en uniforme apparaissent dans le cadre de porte.
« Mr. Williams, nous sommes les officiers de police John Summers et James Marshall. Nous avons le regret de vous annoncer que votre femme vient d'avoir un accident de voiture et qu'elle ne s'en est pas sortie. »Je vois mon père tomber à genoux en sanglots. C'est trop pour moi. Je pars en courant dans les escaliers en pleurant à mon tour et saute dans mon lit, hurlant dans mon oreiller pour étouffer le cri. J'ai onze ans et ma mère vient de mourir.
Nous sommes maintenant le 1er septembre et c'est officiellement ma première journée à l'école. Je suis à la fois enthousiaste et mélancolique de partir pour près d'un an loin de mon père, cet homme qui ne m'a pas adressé la parole depuis le décès de maman. Je pense qu'il m'en veut beaucoup d'être un sorcier. Il m'a déposé devant King Cross, mais ne m'a même pas accompagné jusqu'à la voie 9¾. Il m'a à peine embrassé, m'a souhaité une bonne année et m'a promis de venir me chercher en juin. Donc j'ai compris qu'il ne comptait pas sur ma présence pour les vacances de Noël. Mes grands-parents m'ont raconté que la plupart du temps, ils restaient à Poudlard pendant les fêtes de fin d'année, alors je ne m'en fais pas trop avec ça.
Mon chariot plein de bagages et de fournitures scolaires achetées en compagnie de grand-père, je traverse la voie 9¾ en suivant une jeune fille aux cheveux roux. Le cadran affiche 10:57, il est temps pour moi d'embarquer dans le Poudlard Express. À bord, il n'y a plus beaucoup de place. S'il y avait eu moins de trafic à Londres, j'aurais eu une meilleure place... J'entre alors dans un compartiment où se trouvent deux jeunes filles, dont la rouquine que j'ai imité avant de me retrouver. J'apprends qu'elle s'appelle Eleanor et que l'autre jeune fille, qui n'est autre que sa grande soeur, s'appelle Judith. Eleanor entre en première année elle aussi, et espère bien rejoindre les Serdaigle, comme sa mère avant elle. Quant à moi, je ne me suis jamais vraiment posé la question. Le Choixpeau Magique décidera à ma place car de mon point de vue, chaque maison mérite qu'on la rejoigne...
Les années passèrent... Je ne rentre plus à la maison durant les vacances d'été. En fait, pour tout vous dire, je n'y suis rentré qu'une fois après ma première année à Poudlard. C'était pour prendre mes affaires pour partir vivre chez grand-père et grand-mère qui avaient déménagé en Angleterre, dans le Suffolk, pour terminer leurs vieux jours. Mon père ayant volontairement pris la peine de m'oublier à la gare, je suis rentré à la maison en Magicobus. Mes grands-parents ont eu vent de cet épisode à mon arrivée et ont aussitôt transplané à la maison. Jamais je ne les avais entendu hausser le ton après quelqu'un. C'était la première fois que j'entendais mon père crier également. Lorsque la tension était redescendue, mon grand-père m'avait alors dit de prendre mes affaires et de les suivre, car je n'étais plus le bienvenu chez moi...
Je le vis plutôt bien. Je ne sais pas si je reparlerai à mon père un jour, mais je me rends parfois dans mon ancien quartier avec grand-père pour l'observer à distance. Il mène une triste vie, et je le suspecte de baigner dans l'alcool. Mais ce n'est pas mon problème. Je n'ai jamais rien fait pour mériter son ignorance, alors ce n'est certainement pas à moi de faire le premier pas.
Aujourd'hui est le pire jour de mon existence depuis le décès de maman. J'ai quinze ans et mes grands-parents viennent de mourir. Ils ont subi une attaque de la part des mangemorts. Apparemment, ils faisaient partie d'une division de l'Ordre du Phénix, détail que j'ignorais jusqu'à ce jour. Depuis quelques temps, les représentants des forces du mal traquaient leurs adversaires sans relâche et ils ont trouvé la seule famille qui me restait. Par chance, je ne me trouvais pas à la maison, sinon j'y serais passé moi aussi. J'avais profité de cette belle journée du mois d'août pour aller me balader avec une amie en ville...
C'est décidé, je me débrouille par moi même aujourd'hui. Je viens de remplir les derniers formulaires qui aboutiront à mon émancipation. Je ne suis pas encore majeur, mais je suis décidé et ne veux pas passer mes dernières vacances dans un orphelinat ou dans une famille d'accueil.
Une nouvelle année commence, c'est mon avant-dernière et je compte bien en profiter. On dit que ce n'est qu'une fois notre scolarité terminée qu'on se rend compte qu'on était bien à Poudlard. Je n'ai pas de mal à le croire. Je m'y sens comme chez moi depuis que j'ai onze ans. Commencer une nouvelle vie en dehors du château sera pour moi un vrai supplice car ce sera comme revenir en arrière. J'ai associé mon entrée à Poudlard à la mort prématurée de maman, ainsi que celle de grand-père et grand-mère. Les cours m'ont beaucoup aidé à faire mon deuil...