Contemplation. Il paraît qu’autrefois, elle contemplait. Il paraît qu’elle savait s’émerveiller des ondulations harmonieuses des feuilles au gré du vent, qu’elle effleurait du bout des doigts l’écorce ridée des arbres pour deviner leur histoire. Il paraît tant de choses. Jazz lui répète sans cesse combien elle aimait rire, courir, et manger, aussi. Mais les choses changent. Abruptement. Un drame avait suffi, le deuil d’une vie. Moa n’est plus qu’une fade copie de ce qu’elle a pu être. Celle dont on lui parle n’est pour elle qu’une étrange inconnue, une cousine lointaine que peut-être autrefois elle a connu. Celle qui demeure le spectre de ses souvenirs. Au final, ne lui est-elle seulement plus familière que ce paysan peint sur le tableau auquel elle fait face ? Elle le scrute un instant, contemple le blé qui l’entoure et cet étranger au loin qui lui fait un signe de la main, perché sur son balai. Elle devine les traits fins de l’aquarelle sur la toile jaunie par les années. Hume un instant le parfum poussiéreux de cette ancienne photographie. Photographie d’un instant qui ne reviendra plus jamais. L’art a cette fâcheuse tendance à emporter dans une rêverie facile. Mais elle ne veut plus rêver. Pas encore. Pas pour que les cauchemars se saisissent à nouveau de son âme. L’angoisse qu’il revienne, le spectre des souvenirs. Ses yeux bruns balaient les couloirs menant aux cachots. Ils vérifient, s’assurent que personne n’est là pour noter le délit qu’elle va commettre. Moa glisse une main dans la poche de son pantalon. Dans ce pantalon qu’elle porte sous sa robe noire, aux couleurs de Godric Gryffondor. La petite fiole qu’elle extirpe du jeans bleuté se niche parfaitement dans sa main tremblante. Ses yeux sont encore mouillés par l’angoisse. Décidée, elle porte le contenant à ses lèvres, en avale la concoction. Sa langue glisse contre le goulot de cette flasque de vie, soucieuse de n’en perdre aucune goutte. Kamen a toujours été doué pour les poisons, bien plus qu’elle-même ne l’est, au final. Une légère culpabilité la ronge de céder à son addiction seule, sans la présence de son compagnon de misère. Elle espère qu’il ne lui en voudra pas trop, à ta santé, mon ami. Va au Diable, toi démon, et emporte avec toi mes souvenirs. Une douleur lancinante déchire son bas ventre, si bien qu’elle doit s’accroupir un instant pour la calmer. Des cris toquent contre l’intérieur de son palais, contre ses joues, à la commissure de ses lèvres. Elle les retient. Puis vient l’accalmie, un instant. Ses yeux sont rouges, ses pupilles un peu trop dilatées. Sa conscience embrumée l’amène à s’interroger sur sa présence dans les couloirs des cachots, elle qui a si peur de l’ombre, elle qui craint tant l’obscurité. Moa ne se sent pas à sa place chez les valeureux lions, elle a qui le courage manque tant ces derniers temps. Sa présence en ces lieux n’est-elle que simple défi ? Braver ses peurs pour se sentir vivre. Vivre enfin, à nouveau. Vivre alors que le poison qui coule dans ses veines la fait mourir de l’intérieur. L’amour du risque. Le risque d’un amour de l’interdit. Elle croit deviner une silhouette au loin, lui tourne le dos et ferme sauvagement les yeux. Il la poursuit, ce spectre. Persuadée d’encore faire face à ses démons, elle somme intérieurement ce fantôme de s’en aller, ne s’inquiète pas un instant que quelqu’un la surprenne dans sa déchéance. Un bref instant, elle pense à Levy, à Cora, à Jazz. Que donc penseraient-ils d’elle ? Ses yeux fixent à présent le sol ; elle n’ose pas se retourner. D’autant plus, il lui semble sentir un regard inquisiteur posé sur elle, entendre un souffle rauque transpercer l’air pesant des cachots. Elle demeure néanmoins incapable d’estimer à quelle distance l’intrus se situe, percevant juste à quel point ce souffle suffit à lui glacer le sang. Il semble qu’elle ne soit plus seule, plus à présent. La douleur dans l’estomac qui se réveille. Qui lui arrache un gémissement. La mort qui l’attend. Là, immobile. Derrière ses épaules. Il suffirait qu’elle se retourne. Il suffirait que cette ombre s’en aille. Que les illusions cessent. Il suffirait d’un répit. Il suffirait que, dans ce sombre couloir, elle soit à nouveau seule. Mais il semblerait également que cette présence derrière elle ne soit pas le fruit de son imagination. Ou peut-être était-elle devant elle ? Sa conscience qui divague, le poison fait effet. Sa paranoïa qui la menace. Qui menace de tout détruire sur son passage. Mais qui es-tu, ô toi étranger ?
Lover, hunter, friend and enemy, you will always be every one of these. Nothing's fair in love and war. In life, in love, this time I can't afford to lose for one, for all, I'll do what I have to do. You can't understand, it's all part of the plan.
Au fond de son chaudron, l'aconit se mélangea aux cafards morts qu'il avait pris soin de faire bouillir à petit feu. Le liquide se teinta d'un bleu nuit qui l'émerveilla. Fasciné, il trancha méticuleusement une racine d'ellébore qu'il incorpora ensuite à la préparation. La suite de la recette ne disait pas combien de temps il fallait patienter avant que la potion ne soit prête. Celle-ci s'avérait particulièrement difficile à réaliser, lui-même n'avait jamais réussi. Le seul à sa connaissance qui en ait les compétences était Kamen. Malgré son sens aiguisé de l'observation, le jeune homme se trouvait en difficulté face à la tâche qu'il souhaitait accomplir. Sa mémoire infaillible lui murmurait de laisser mijoter, pourtant plus il patientait, plus la potion s'assombrissait. Soudain, il se souvint d'un ingrédient qu'il avait oublié et pour cause, celui-ci était pratiquement introuvable. Désarçonné, il voulut y remédier en versant quelques gouttes d'un autre breuvage ayant les mêmes propriétés. Dans un premier temps, le liquide prit une couleur argentée semblable à celle qu'il devait adopter une fois terminé. Mais à peine quelques secondes plus tard, le contenu devint noir et se mit à frétiller. Il tenta de diminuer la température mais rien ne fonctionna, sa potion s'évapora dans un frémissement inquiétant. Un peu dépité mais loin d'être découragé, il se dit que cela aurait pu aboutir à quelque chose si il avait disposé de l'ingrédient manquant.
Puisqu'il n'avait pas cours avant au moins trois heures, il entreprit de se rendre dans les cachots afin d'y faire un petit tour. Qui sait, peut-être qu'il y trouverait son bonheur. Il rangea son matériel avec précaution et s'extirpa de sa planque. A force de parcourir le château, il était parvenu à en connaître chaque endroit, chaque détour, chaque pierre. Si bien qu'il était parfaitement au courant qu'il n'y avait jamais personne dans les cachots à cette heure-ci, d'ailleurs peu importe l'heure, il était peu commun d'y croiser qui que ce soit. Helge se dirigea donc d'un pas décidé vers les sous sols. C'était un coin étrange, entouré de mystères, sans doute parce que c'était là-bas qu'on retrouvait les entreprises les moins exemplaires de Poudlard.
Beaucoup d'élèves étaient encore en cours, et puis, on préférait généralement venir plus tard dans la soirée, histoire de se faire moins remarquer. Helge s'en fichait, personne ne faisait attention à lui, de toute manière. Il s'était tellement appliqué à vivre dans l'ombre qu'il en était devenu une. Néanmoins, ici, il avait sa petite réputation de connaisseur. Les habitués savaient que le Petterson était fils de voleur, de ce fait il en connaissait un rayon sur les objets de contrebande dans le château. Si au départ il cherchait à se faire discret, de peur qu'on ne le questionne sur ses parents, de peur qu'on ne se souvienne de " l'accident " tragique de son frère qui avait fait la une des journaux locaux. Mais au fil de ses visites, il avait pris ses aises, se laissant aller à commenter quelques babioles en les dénonçant comme fausses. Il avait presque un fond de commerce, et parfois, Helge se prenait à rêver qu’il ouvrirait sa propre boutique d’objets illégaux, seulement ce serait trop peu ambitieux pour son père, il le savait.
La salle commune des Gryffondor n’était qu’à quelques mètres, quand il croisa le chemin d’une jeune fille. Les couleurs de sa robe montrent qu’elle n’a rien à faire par ici, excepté pour ses cours, mais sa présence dans les couloirs justifie son absence en classe. Helge allait lui passer un savon, quand il croisa son regard. Ses pupilles dilatées, sa mâchoire tremblante, ses mains froides et pâles, Helge sait que la Gryffondor n’est pas dans son état normal. Il voit la fiole coincée entre ses doigts et il sait d’où elle vient sans poser la question. Kamen Yordanov est le maître des poisons à Poudlard, et il l’était aussi à Durmstrang. Son traffic aurait-il repris depuis qu’il est sorti de quarantaine ? Helge en doute, et il n’ira certainement pas faire la leçon au jumeau, mais voir la jeune lionne se torturer ainsi le met mal à l’aise. « Ca va ? » demande-t-il par politesse, parce qu’il sait qu’elle n’est pas au meilleure de sa forme. Il s’approche et se tient prêt au cas où elle chuterait, et c’est alors qu’il la reconnait. « Moa, qu’as-tu fait ? » murmure-t-il avec résignation.
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