Le couvre-feu était passé et ils étaient tous censés être dans leurs dortoirs. Entre être censé et le faire, il y avait toujours une grande marge, et c'était sans doute pourquoi un certain élève de Poufsouffle traînait vers l'entrée de la cuisine, avec la ferme envie de faire un mauvais coup. Ce n'était absolument pas planifié et le gamin avait d'abord essayé de dormir, mais l'énervement et le fait qu'il détestait rester tout le temps au même endroit avaient pris le dessus.
Tim Higgins Redford dit Timmy avait revêtu ses habits les plus noirs et avait fait attention à ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller ses camarades de dortoir. Il avait commencé à parcourir les couloirs lentement, longeant presque les murs, rabaissant sa capuche sur sa tête pour ne pas qu'un seul de ces portraits trop bavards ne le reconnaissent, puis s'était dirigé vers l'entrée de la cuisine.
La cuisine était un endroit chaleureux et accueillant à toute heure de la journée, mais le moment où il préférait y aller, c'était la nuit, car c'était sûrement la seule pièce du château qui lui permettait de voir des gens qui ne dormaient pas. En fait, Tim dormait très peu, en ce moment. Ses cauchemars avaient repris de plus belle et pendant les cours, il s'assoupissait parfois sur ses copies, créant l'hilarité générale lorsqu'il se réveillait avec une belle tâche d'encre sur la joue.
Il regarda quelques secondes le tableau représentant la salade de fruits, puis chatouilla la grosse poire verte. C'était un truc qu'un élève de Poufsouffle lui avait dit lorsqu'il était arrivé ici et il fallait avouer qu'en première année, il ne pensait pas du tout s'introduire dans les cuisines en cach-
Et puis là, une idée lui vint. Pas « une » idée, mais l'idée du siècle. C'était dangereux, ça lui voudrait peut-être des années de retenue si il se faisait choper, mais tout le monde serait mort de rire, lui le premier. Il fallait juste qu'il trouve du matériel pour accomplir son œuvre et ici, dans une cuisine, ça devrait être assez facile. Courant vers un coin de la pièce, il piqua un couteau bien tranchant : de toute évidence, ce ne serait pas suffisant, mais si la tâche devenait trop ardue, il pourrait l'enchanter pour qu'il travaille tout seul. Il aurait aussi pu courir à la réserve du concierge chercher une scie, mais c'était beaucoup trop dangereux.
Un sourire aux lèvres, le petit malin se dépêcha de quitter les cuisines avant que les elfes ne préviennent qui que ce soit, mais il fallait avouer que lors de ses précédentes visites, ils lui avaient plutôt fait à manger plutôt que de prévenir les surveillants.
Timmy continua à avancer dans les couloirs de Poudlard jusqu'à arriver à son bord : la Grande Salle.
Elle était majestueuse et il se souvenait avec nostalgie de la beauté du ciel étoilé, la nuit où il avait été réparti à Poufsouffle. Pour le coup, il sortit sa baguette et murmura un « Alohomora », laissant les grandes portes s'entre-ouvrirent pour faire passer sa personne.
Il était seul, dans la nuit, dans une salle immense et il avait l'impression de faire un bruit énorme lorsque ses pieds claquaient sur le sol. Il eut envie de crier, de sauter sur les tables et de danser, mais il se retint : après tout, il était là pour quelque chose de plus important.
Le petit filou avança jusqu'aux chaises des professeurs, toutes alignées le long de la grande table, puis sorti le couteau de sa poche. Si tout se passait bien, ils se casseraient tous la binette en voulant s'asseoir demain matin...si ce couteau-scie normalement prévu pour couper du bifteck était assez efficace.
Commençant par la chaise du fond, il commença son œuvre avec difficulté : le spectacle allait être merveilleux.
Plus le temps passe et plus le concierge se demande si les dortoirs ne sont pas de réelles passoires. Alors que le règlement s'est renforcé, le directeur ajoutant des points qui firent même grimacer l'équipe pédagogique, le nombre d'élèves qui se risquent à une virée nocturne dans le château qui n'en fait qu'à sa tête ne diminue pas et il a l'impression de tout les jours en attraper un. Bien sûr, tous les jours, c'est surement une exagération. Mais régulièrement, il se retrouve à mettre des points en moins, à contacter les directeurs de maison, ce qui ne devrait être qu'exceptionnel se glissant doucement mais surement dans sa routine. Et ça, c'est loin d'être normal, il en est certain.
Les élèves de chaque maison ont tous été raccompagnés dans leurs dortoirs depuis maintenant bien longtemps et, distraitement, Johannes se demande lequel d'entre eux il attrapera ce soir-là. Il espère que la réponse est « aucun », mais l'inverse ne l'étonnerait plus vraiment. Oui, clairement, c'est anormal. La nuit avance lentement, en silence, seuls les bruits de ses pas résonnant dans les couloirs; seule la lumière de sa lanterne éclairant la pierre sur les murs; seul son souffle troublant l'air ambiant alors qu'il garde un œil alerte, traversant les étages avec un début d'habitude qu'il tente de se faire malgré les escaliers qui semblent s'amuser à le narguer, l'envoyant dans des parties du château qu'il ne connait pas encore forcément très bien, ou perturbant le plan mental qu'il se fait depuis son arrivée ici. Il revient du parc, le pas traînant un peu alors que tout est calme, son chat suivant le mouvement de ses pieds la queue et la tête haute, avec un léger trot qui trahit sa bonne humeur qui se communique doucement.
Alors qu'il passe devant la Grande Salle, il est forcé de faire quelques pas en arrière, s'arrêtant devant les portes, l'une d'entre elle légèrement poussée, si légèrement que s'il avait été moins attentif, il l'aurait loupé. L'Allemand sort sa baguette, posant sa paume sur le bois en essayant de ne pas le faire craquer, ouvrant doucement la salle. Des bruits résonnent et il est un long moment incapable de comprendre ce qu'il entend. Le pas léger, aussi léger que possible, il avance vers la source du bruit, levant sa baguette, prêt à agir rapidement. Plus il s'approche de l'emplacement où les professeurs siègent pendant les repas, plus le son est fort. Et puis il tombe enfin sur le coupable, les boucles sur la tête de celui-ci comme un souvenir de ce qu'étaient ses propres cheveux bien des années plus tôt. Je peux savoir ce que vous essayez de faire là, Mr. Redford ?
Malgré le jeune âge du Poufsouffle à ses pieds, qu'il surplombe de toute sa hauteur -bon sang, il a encore l'âge qu'ont les enfants quand leur mère vérifie qu'ils n'ont pas de crottes de nez-, Johan s'adresse à lui avec un minimum de respect, celui-ci pourtant taché par la menace qu'implique son ton. C'est la... Troisième fois en un mois, c'est cela ? Troisième fois que je vous prends en dehors de vos dortoirs en plein milieu de la nuit. Vous savez ce que cela signifie, n'est-ce pas ? Se penchant légèrement, le concierge lance un Lumos pour éclairer un peu la scène du crime, le couteau encore dans la main de l'élève ayant déjà laissé une sacrée marque dans le pied de chaise face à lui. Il soupire, ses traits se durcissent, ses mâchoires se serrent. Vraiment ? Une lame ? Vous ne pensez pas que vos idioties vont un peu loin ? Johannes tend la main, l'incitant silencieusement à lui remettre l'arme blanche, de peur que les choses ne tournent mal. Il va vraiment falloir qu'il aborde le sujet des elfes dans la cuisine, qui laissent visiblement trop de choses se passer sans prévenir qui que ce soit.
C'était grisant, quoiqu'un poil fatiguant. Énergiquement, il faisait racler le couteau contre la chaise en bois, espérant lui couper suffisamment les pieds pour que celle-ci s'effondre sous le poids du professeur qui aurait le malheur de poser ses fesses dessus. Depuis la petite minute où il avait commencé son œuvre faramineuse, le couteau avait avec grand pied entamé le bois, lui faisait une entaille certes impressionnante, mais pas digne à faire chanceler ce qui paraissait être du très beau chêne. Décourageant.
Tim savait qu'il ne pouvait s'abattre pour si peu et que cette grosse bêtise, il l'avait commencée depuis à peine plus de soixante secondes. Il pensa brièvement à enchanter le couteau, mais si les professeurs faisaient un sort pour détecter quelle baguette avait jeté ce maléfice, il serait vraiment dans la merde, condamné à plus de dix-mille ans de retenue. Il sentait le manche du couteau comme jamais et au bout de deux minutes, ses doigts trempés de sueur commençaient à glisser et lui à se lasser terriblement de son expérience. Il enveloppait un bout de sa cape autour du couteau lorsqu'il entendit des pas. C'était proche, plus proche qu'il ne l'avait pensé, quasiment à sa hauteur. Était-il si concentré qu'il n'avait rien vu venir ?
Tout ce que le Poufsouffle savait, c'était qu'il n'y avait pas de cachettes, ici, à part des tables et des chaises par centaines. Il aurait bien pu se précipiter sous une table, mais était conscient qu'au moindre Lumos, on aurait retrouvé sa trace. De toute façon, c'était inutile et de toute évidence trop tard : en autant de temps qu'il fallait à certains de leurs professeurs pour dire le mot « retenue », le concierge était devant lui, son félin fouineur à ses côtés. Timmy grimaça, mit le couteau de côté pour qu'il ne pense pas qu'il voulait l'attaquer. Le Poufsouffle l'écouta, trop conscient de ce qu'il avait fait, de ce qu'il restait : il le croirait, s'il lui disait qu'il n'arrivait pas à dormir ? Qu'il avait besoin de faire au moins trois tours de Poudlard en courant pour se calmer ?
Le Poufsouffle tendit le couteau en faisant attention de lui passer en tenant le manche, de façon à ce que Rosenberg en attrape la poignée.
« J'arrivais pas à dormir. », lui fit-il comme un sale gosse qui cherchait une excuse. C'était en partie vrai, celle-dit. « La cuisine est à côté du dortoir, je voulais manger un peu...et puis j'ai eu l'idée du siècle ! Vous savez pas ce que c'est, vous, les idées du siècle, hein ! Imaginez-les, demain matin. Ils pensent que tout est normal, ils font un pas pour s'asseoir et...Boum ! »
Il mima le dernier mot avec ses mains comme s'il imitait une énorme explosion. Un sourire enfantin était de nouveau apparu sur son visage, comme s'il n'avait pas tout à fait pris conscience de la situation, ou plutôt comme s'il voulait oublier les heures de retenue qui l'attendait.
« Allez, M'sieur. J'suis sûr que vous voulez leur faire une blague, aussi. J'suis sûr que parfois, ils sont grossiers avec vous et qu'ils pensent que vous êtes juste bon à faire le ménage ! C'est l'idée du siècle, je vous dis, aidez-moi !!! Vous devez bien avoir une scie ou deux, dans votre fatras ! »
C'était parfaitement culotté, mais du Timmy en puissance. L'autre jour, le concierge l'avait surpris en train d'inonder un couloir en pleine nuit et il l'avait supplié de lui prêter des seaux, comme s'il était un camarade de classe.
« S'il vous plaît ? »
Ses yeux de châton auraient fait pâlir les amateurs de choses mignonnes.
Le jeune Redford semble rapidement se soumettre, lui tendant le couteau sans un mot, et Johan se dit que peut-être que les choses seront un peu plus simples cette fois-ci. Il commence à s'expliquer, sur son absence de sommeil, sur le plan du château qui semble arrangé parfaitement pour le pousser à commettre son méfait, sur cette idée qui lui semble si fabuleuse, et le concierge ne peut que doucement nier de la tête. S'il avait été un peu plus caractériel, il aurait certainement mal pris la remarque selon laquelle il ne sait pas ce que sont les idées du siècle, mais il laisse couler, se contentant d'observer le jeune homme qui parait si fière de son idiotie alors même qu'il vient de se faire attraper. Allez, M'sieur. J'suis sûr que vous voulez leur faire une blague, aussi. J'suis sûr que parfois, ils sont grossiers avec vous et qu'ils pensent que vous êtes juste bon à faire le ménage ! C'est l'idée du siècle, je vous dis, aidez-moi !!! Vous devez bien avoir une scie ou deux, dans votre fatras ! A cet instant même, sa mâchoire tombe un peu et l'Allemand se retrouve là, à fixer le Poufsouffle qui vient d'essayer de le recruter pour exécuter avec lui sa terrible idée. J'hallucine... Asseyez-vous.
Son ton ne laisse pas grande place au doute ou aux contestations alors qu'il indique d'un geste de main l'une des chaises des professeurs. Il pose le couteau sur la table, prenant à son tour une chaise en prenant soin d'éviter celle tout récemment sciée, gardant la paume sur la poignée par précaution, même s'il doute que le jeune homme va tenter quoi que ce soit. Facétieux, peut-être, mais pas idiot ni réellement dangereux. Si c'est ainsi que vous voyez votre corps enseignant, vous vous trompez grandement, Mr. Redford. Ecoutez... Il ne sait pas comment tourner la chose, ni même vraiment quoi dire. Là, Johannes est face à un problème et il cherche la meilleure solution. Mais en plein milieu de la nuit, dans une salle non éclairée, face à un élève qu'il a attrapé plusieurs fois et pour lequel les punitions semblent visiblement n'avoir qu'un effet limité, quelle est cette meilleure solution ? Mr. Redford, je pense que vous réalisez comme moi que nous avons un problème. Vous donner des heures de retenue ne suffit visiblement pas -mais ne comptez pas y échapper cette fois-ci- et à ce rythme, vous allez faire perdre tellement de points à votre maison que c'est dans vos dortoirs que vous allez finir par avoir des problèmes. Pourtant, même là, je doute que ça change quoi que ce soit. Je vais bien sûr contacter votre directrice de maison dès la première heure demain, mais en attendant... L'Allemand soupire, ses doigts jouant avec la poignée du couteau qu'il sent sous sa peau, distraitement. Que se passe-t-il, Mr. Redford ? Qu'est-ce qui peut pousser un enfant de votre âge à mettre toute sa créativité et sa patience dans ce genre de bêtises ? De ce que j'ai compris, vous êtes loin d'être le premier à vous lancer dans ce genre d'idioties dans cette école, mais est-ce vraiment ce que vous voulez ? Qu'on se souvienne de vous, à treize ans, pour avoir battu le record de nombre de points perdus par un seul et même élève ? D'heures de retenues accumulées avant l'âge de quinze ans ?
Il y avait quelque chose d’étrange à l’idée de « se poser sur une chaise ». . Lui qui était toujours debout à faire beaucoup de choses, « se poser sur une chaise » était à la fois très stressant et reposant à la fois. Lorsqu’il le fit, à la demande de Johannes, Tim se sentit bien, comme si, pour la première fois depuis longtemps, quelqu’un avait le pouvoir d’éteindre la machine à bêtises qu’il avait fatalement mis en route. La chaise n’était pas forcément très confortable, encore que si, mais c’était sans doute cette impression de craquer bientôt qui lui faisait croire qu’ils se situaient tous les deux, concierge et élève, dans une petite bulle intemporelle qui ne pouvait contenir qu’eux-deux.
Par rapport à ce que lui disait Johannes, la sentence lui semblait effrayante. Alors qu’il avait plusieurs fois été chopé à faire des bêtises dans tout Poudlard, voir sa directrice de maison ne semblait pas une idée très pertinente. Il ne voulait pas que ses camarades le considèrent comme un boulet, plus comme le type qui faisait rire. Tim joignit ses deux mains par-dessus la table, semblant pris dans une intense réflexion : qu’allait-il faire ? Dire « oui » au concierge et recommencer juste après, ou se calmer un peu ? Il hésitait. Et si avoir l’air le plus mignon possible suffisait pour le concierge ferme les yeux — il savait bien que non, et que le seul moyen aurait été d’être un tout petit peu honnête.
« J’arrive plus à dormir. Bien sûr que je ne veux pas que vous préveniez les autres, et bien sûr que je ne veux pas gêner les autres élèves de ma maison. Et que je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme ça. Mais j’arrive pas à dormir. Y’a que ça qui m’apaise : de me lever, de faire le tour de Poudlard et d’exécuter tout ce qui me passe dans la tête. »
Il se doutait que ça n’allait passer. En même temps, qui laisserait passer un truc comme ça ?Tim avait désormais une envie folle de filer de cet endroit qui ne lui inspirait que du stress, moyennement inspiré par les excuses qu’il allait sortir à ses professeurs le lendemain, comme « un autre élève a pris un de mes cheveux pour faire du Polynectar » ou « il a une vue de taupe, il faisait nuit, il a dû confondre ». Se mordant les lèvres et surtout très conscient qu’il ne pourrait pas sortir d’ici avant que Johannes en prenne la décision, Tim ajouta à voix basse :
« C’est à cause de l’an dernier, quand j’étais tout seul. Je pouvais pas bouger trop. Parfois j’entendais des bruits bizarres, mais je savais que je ne pouvais pas remonter parce qu’ils risquaient de me faire des choses horribles. C’était horrible, j’étais sale, je puais, je n’avais pas ma baguette pour me défendre, mais je ne pouvais rien faire. Alors maintenant, je suis dans ma chambre, et on me dit de dormir, mais je l’ai déjà trop fait. J’ai pas sommeil, c’est pas possible, vous comprenez ? »
Il avait été parfaitement sincère et pendant qu’il parlait, ses doigts s’étaient enfoncés dans la table sans qu’il en soit conscient. Il n’avait pas assez de force pour provoquer une blessure irréversible au bois de chêne, mais lorsqu’il regarderait sa main, la prochaine fois, il s’apercevrait que ses ongles avaient rougi. La seule chose qui lui venait à l’esprit à ce moment, après s’être confié pour la première fois après ses mésaventures de l’année dernière, c’était : et lui, il avait vécu des choses du genre ? Les autres fois ne comptaient pas, car il avait raconté des salades, narrant comme il avait été sur les chemins à se cacher à gauche et à droite. Et comment il avait neutralisé un Mangemort, un jour, en lui sautant dessus. La réalité était beaucoup plus ennuyeuse, mais en parler le soulageait d’un terrible poids.
J’arrive plus à dormir. Bien sûr que je ne veux pas que vous préveniez les autres, et bien sûr que je ne veux pas gêner les autres élèves de ma maison. Et que je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme ça. Mais j’arrive pas à dormir. Y’a que ça qui m’apaise : de me lever, de faire le tour de Poudlard et d’exécuter tout ce qui me passe dans la tête. Il aurait plein de choses à lui conseiller pour s'épuiser un peu, comme le Quidditch, par exemple. De ce qu'il sait, ça défoule suffisamment pour en pousser certains à dormir comme des marmottes le soir venu. Mais il a comme l'impression que s'il lui propose une telle alternative, le jeune garçon va refuser d'entrée sans même considérer la chose. Il semble un peu mal à l'aise mais il ne tente pas de s'enfuir, sa voix plus faible qu'avant, mais enchaînant toujours les mots, les uns après les autres, laissant Johan entrevoir une facette de lui qui lui était jusque là bien inconnue. C’est à cause de l’an dernier, quand j’étais tout seul. Je pouvais pas bouger trop. Parfois j’entendais des bruits bizarres, mais je savais que je ne pouvais pas remonter parce qu’ils risquaient de me faire des choses horribles. C’était horrible, j’étais sale, je puais, je n’avais pas ma baguette pour me défendre, mais je ne pouvais rien faire. Alors maintenant, je suis dans ma chambre, et on me dit de dormir, mais je l’ai déjà trop fait. J’ai pas sommeil, c’est pas possible, vous comprenez ?
Non, il ne comprend pas, pas vraiment. Pas comme il pourrait l'entendre, en tout cas. Pour comprendre, il faudrait pouvoir partager un peu la chose, avoir vécu cette peur qu'il a connue, avoir été dans une situation similaire. S'il saisit bien la chose, le sujet abordé est loin d'être de ceux dont il est facile de parler. Le concierge n'imagine pas. Il a entendu des choses. Il a imaginé des choses, il a craint. Pour elle, notamment, puisqu'elle était concernée. Mais il n'a aucune réelle idée de l'ampleur de tout ça. Parce que son sang et son métier lui ont permis de ne pas être mêlé à tout ça, pas même de loin. Pourtant, il essaye malgré tout de mettre les choses en perspective, de prendre les éléments de réponse que lui a offert le Poufsouffle afin de gérer au mieux la situation à laquelle il fait face. Il reste silencieux un long moment, clignant de temps à autres des yeux, cherchant les bons mots. Ou au moins ceux avec lesquels commencer. Il finit par poser son coude sur la table à côté d'eux, reposant son menton dans sa main, penchant doucement la tête.
Je crois que je vois... Un peu... Je mentirais si je disais avoir pleinement conscience de votre situation. Mais je visualise un peu. Malheureusement, j'ai bien peur que la solution que vous avez choisi ne soit pas la meilleure. Si elle vous permet de vous occuper l'esprit et de gérer votre... Votre malaise ? Eh bien, elle va surtout vous attirer des ennuis. Je crains que plus le temps passe, plus vous grandissiez, et que moins les choses s'arrangent. A treize ans, vous sciez des pieds de chaise. Qu'est-ce que ça sera dans trois ans ? Il est loin, très loin du sermon. Tout ce qui transparait dans sa voix c'est de l'inquiétude. Il laisse retomber son bras sur le bois, un air peiné sur le visage. Il ne sait pas s'il doit parler de l'an dernier, s'il doit exprimer quoi que ce soit à ce sujet-là. Il a peur d'être maladroit et d'en venir à blesser le garçon face à lui. Avez-vous tenté autre chose ? Le sport, par exemple. Ou bien... Vous pourriez peut-être aller voir Miss Izlechen, je pense qu'elle pourrait vous aider pour ces insomnies... Le mieux serait de réussir à canaliser cette énergie qui vous reste en fin de journée, pour éviter que vous en veniez à faire tout ce qui vous passe par la tête, parce que vous ne pouvez pas continuer comme ça.
Lorsqu'on commence à avouer des choses qui nous tiennent au cœur, il y a un phénomène très bizarre. On se sent presque trop serrés dans nos vêtements, on se met à rougir bêtement et à chercher des mots qu'habituellement, on trouve tout de suite.
C'était bête, tellement bête, surtout pour un garçon comme lui qui parlait plus vite que son ombre. Tim regardait le concierge, pas du tout sûr qu'il pouvait lui proposer les bonnes situations. N'était-il pas comme les autres adultes qui avaient des solutions qui ne pouvaient pas marcher ? Ils ne comprenaient pas, eux tous. Il avait besoin d'aller dehors et de faire de la magie. Il n'avait pas envie d'être coincé dans ce château dans lequel il se sentait prisonnier et où la moitié de ses inventions ne marchaient pas. Il se détestait de ne pas avoir atteint l'âge de la majorité des sorciers et, par conséquent, être considéré comme un incapable une fois dehors.
Tim Redford aimait tellement la magie. Il aimait l'impression dégagée lorsqu'un sort sortait de sa baguette, le bruit si familier à l'exécution d'un sortilège et tout le reste. Les étoiles dans ses yeux et ceux de ses camarades moldus lorsqu'ils comprenaient que tant de choses avaient pu leur échapper, les longs vêtements de leur uniforme qui ressemblaient tant à ceux des livres pour enfant de sa jeunesse.
« J'aime pas le Quidditch. Il y a d'autres clubs de sport, à Poudlard, à part les échecs et les bavboules ? »
Au moins, il avait réussi à s'exprimer sur son mal le plus profond. Il n'allait pas avoir d'autre choix que d'aller voir la psy, maintenant, ou ça allait vraiment être considéré comme de la mauvaise volonté par tous les professeurs qui le saqueraient encore plus.
« Ne me prenez pas pour un idiot. », lui fit-il tout en le fusillant du regard – c'était le rendu qu'il voulait rendre, mais ça ressembla plutôt à un regard pas vraiment persuasif avec pleins de cheveux devant les yeux. « Je ne compte pas continuer. Je m'en fiche des bêtises, c'est juste que ça m'occupe. Et les points, c'est tout à fait secondaire. Mon but, c'est de sortir de ce château et de mener des expériences magiques dehors, dans la forêt. Partout tant que je ne suis pas entre quatre murs. Parce que dès que je vois des murs, des portes, je pique une crise. »
Avec son doigt, il avait commencé à tapoter le bois nerveusement comme si, déjà, il n'en pouvait plus de se trouver ici. Il sortit un petit machin qu'il avait passé quelques nuits à fabriquer de sa poche et le pocha sur la table. C'était une structure métallique à l'armature particulière : de près, ça ressemblait un peu à un chien. Il remonta une vis et le petit animal se mit à marcher. Un sourire fendit le visage de Timmy : lorsqu'il mépriserait mieux la magie, il pourrait faire des choses qui dépassaient les moldus, comme des dragons ou des avions volants. Un vieux rêve.
« Il s'appelle Touffu. Je l'ai laissé chez mes parents. », fit-il, incapable de rester sur la même conversation plus d'une minute d'affilée.
J'aime pas le Quidditch. Il y a d'autres clubs de sport, à Poudlard, à part les échecs et les bavboules ? Johan cherche rapidement mais il se perd entre les différents clubs, et a l'impression d'en oublier à chaque fois qu'il les compte. Il sait qu'il y a quelque chose d'autre, quelque chose qui serait peut-être plus intéressant pour un garçon aussi actif que Tim que les échecs, quelque chose d'un peu plus palpitant que les Bavboules. Mais là, ça lui échappe, et ça l'agace un peu. Ne me prenez pas pour un idiot. Sous le regard que lui jette son élève, sa touffe de cheveux en plein milieu, il lève doucement la main comme pour lui signifier que non, il ne ferait pas ça. Malheureusement, dans le peu d'éclairage qu'ils ont et avec le fait qu'il n'ait pas franchement bougé, il doute que le Poufsouffle ait pu réellement le voir. Je ne compte pas continuer. Je m'en fiche des bêtises, c'est juste que ça m'occupe. Et les points, c'est tout à fait secondaire. Au moins y a t-il un espoir, un espoir qu'il cesse tout ça. S'il parvient à trouver un autre moyen de s'occuper, ce qui doit certainement être possible dans ce château. Après des mois ici, l'Allemand est loin d'avoir tout découvert, et même si le jeune homme est là depuis plus longtemps que lui, il doit bien y avoir des choses auxquelles il n'a pas pensé, non ? Mon but, c'est de sortir de ce château et de mener des expériences magiques dehors, dans la forêt. Partout tant que je ne suis pas entre quatre murs. Parce que dès que je vois des murs, des portes, je pique une crise. Des « expériences magiques ». Sans détails, il a un peu de mal à visualiser, mais ces mots ne font que confirmer cette image qu'il a déjà du jeune Redford : il est créatif, suffisamment pour se lancer dans des expériences à son âge, ce qui est une bonne chose. En tout cas, il le pense.
Le concierge observe le Jaune et Noir alors que l'une de ses mains commence à pianoter sur le bois de la table, l'autre allant fouiller dans sa poche, en tirant quelque chose qu'il met un instant à distinguer. C'est au moment où l'objet accroche la lumière du dehors qui passe par la fenêtre qu'il réalise qu'il est face à une sorte de sculpture en métal, de statuette, ou quelque chose du genre. Il se penche un peu alors que l'élève laisse ses doigts s'agiter dessus, donnant subitement vie à ce qui ressemble clairement à un chien, et les lèvres de Johannes viennent rapidement imiter celles de Tim, s'étirant en un sourire discret. Il s'appelle Touffu. Je l'ai laissé chez mes parents. Il acquiesce doucement, ses doigts venant se glisser dans le pelage de Käse qui vient se rappeler à lui en grimpant sur ses genoux, l'impatience ayant finalement eu raison de lui. L'angora pose à son tour son regard sur l'animal miniature, la curiosité évidente dans ses yeux clairs. C'est vraiment intéressant, ce que vous avez là. J'imagine que vous l'avez réalisé vous même ? J'aime beaucoup. Des artistes, il en connait, dans ce château. Il en a vu passer plein, il en entend plusieurs quand il se trouve près de la salle où Miss Deslunes donne ses cours. Et à chaque fois, il est bluffé par les différentes formes de créativité qu'il peut observer. Ce soir, il lui est donné d'en voir une toute nouvelle, une qui place la vie au cœur de l'oeuvre d'une manière moins commune, et une pointe de fascination le gagne. Tout comme l'illumination subite. Les duels ! Vous pourriez vous inscrire au club de duels, non ? Voilà ce qu'il cherchait et qu'il a oublié. Et pour ces... Expériences... J'ignore de quoi vous voulez parler, exactement, mais vous devriez bien pouvoir trouver un adulte qui vous accompagnerait pour vous aider à les mener à bien, non ? Si vous expliquez les choses correctement... Des professeurs qui encouragent la curiosité et les expériences, il y en, non ? Il est certain qu'elle serait totalement prête à tenir compagnie au Poufsouffle, par exemple.
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