Try to stop me ❊ Jezaniel

Si stupide serait le mot le plus adéquat pour décrire son plan, Jez est convaincue de l'inverse. Si tenté qu'il existe un plan dans cet esprit chaotique, se lançant dans une quête insensée. Quitter ce trou à rats. Retrouver Ares. Et surtout, ne pas passer les trois prochaines années assise dans une classe à écouter des inepties. Alors qu'importe qu'elle ait un plan ou non. Comme lui disait toujours l’aîné, avec de la volonté, tout est possible. Mais cette volonté si précieuse semble flancher quand vient le jour J, celui où elle a prévu de prendre la clé des champs. Elle qui ne s'inscrit jamais aux sorties à Pré-au-lard, on la regarde avec des yeux étonnés dans ce groupe d'élèves de troisième année. Personne à qui elle n'a envie de parler, d'autant qu'elle est bien plus muette que d'ordinaire. L'objectif est d'éviter de se faire remarquer, mais ce changement d'attitude a l'effet inverse ; le professeur qui les accompagne lui jette parfois des regards suspicieux, surpris par son silence. Elle ne lui a pas manqué de respect depuis trop longtemps. Mais les premières boutiques de la ville enneigée apparaissent, et il oublie bien vite Jezebel.

La gamine jette des regards en biais à l'Auror qui ferme la marche, surveillant le troupeau d'un œil attentif. C'est bien la seule chose qu'elle ait vraiment prévu : attirer son attention ailleurs. Puis... qui vivra verra, ne dit-on pas ? Elle n'a aucune idée de comment échapper à la surveillance du village, comment quitter les lieux pour de bon, ni même comment retrouver le monde civilisé une fois qu'elle aurait fugué. Stupide, réalise-t-elle brusquement, ses poings serrés tremblant dans ses manches. Trop obstinée, elle n'abandonne pas pour autant et ravale sa peur. Elle serait lâche de ne pas essayer, après tout. Elle est petite, agile, rapide - l'idéal pour se faufiler entre les mailles du filet. Quand aux éventuelles protections magiques... elle trouverait bien une faiblesse, un endroit où se glisser.

Pour l'instant, détourner l'attention de cet Auror... Le minuscule feu d'artifice, qu'elle s'est procurée sous cape, file comme une flèche vers la vitrine proche et éclate à son contact, aussitôt renvoyé vers les élèves dans un crissement strident et une gerbe d'étincelles. Les adultes tentent de l'éteindre aussitôt, et Jez profite de cet instant pour filer dans la ruelle proche. Elle court plus vite qu'elle n'a jamais couru, sentant son cœur s'emballer au rythme de ses pas ; elle court sans s'arrêter, sans regarder derrière elle et sans surveiller sa direction, veillant simplement à croiser aussi peu de sorciers que possible. Elle ne s'arrête que de longues minutes plus tard, avec la sensation que ses poumons sont en feu et que sa langue est aussi sèche que du parchemin. De son sac légèrement plus profond qu'il n'y paraît, mais pas assez pour emmener tout ce qu'elle aurait aimé, elle sort un peu d'eau et une chocogrenouille. Puis elle marche cette fois, faisant des zigzags dans les rues les moins fréquentées du village. Elle se fige en apercevant la silhouette d'un homme en patrouille - un instant, elle pense qu'il s'agit de Nathaniel et son souffle s'emballe, mais lorsqu'il se retourne, elle réalise l'avoir imaginé. Ses traces dans la neige lui ajoutent une peine en plus, si bien qu'elle commence à maîtriser à la perfection le sortilège qu'elle utilise pour les faire disparaître.

Lentement mais sûrement, elle s'approche des limites de Pré-Au-Lard. Impossible de filer tout droit, elle évite tant de fois les Aurors que la sueur coule à son front. Le froid a commencé à traverser sa cape et son uniforme, ses bottes ont pris l'humidité; ses pieds sont douloureux et son ventre gargouille - sa volonté faiblissant à mesure qu'elle réalise quels obstacles l'attendent au delà du village.
Alors qu'elle n'est plus très loin, elle croit sentir un regard peser sur sa nuque et se retourne brusquement. Rien. Encore son imagination ? Elle tourne sur elle-même, cherchant à discerner ce qu'elle croit avoir aperçu.
Là ! Deux yeux qui brillent légèrement, tapis à l'ombre du mur. Elle se met à courir sans plus réfléchir, ayant très bien compris de qui il s'agit. « Laisses-moi ! » tente-t-elle d'aboyer, mais sa voix ressemble plus à un glapissement apeuré et fatigué. Par Merlin, ne cesserait-il jamais de se mettre en travers de son chemin ?

Le choc est si violent qu'elle a le souffle coupé, quelques larmes de douleur lui montant aux yeux. Mais elle se ressaisit bien vite, poussant un cri de colère. Elle se tortille dans la neige dans l'espoir de se débarrasser des liens magiques de cette manière, mais le sortilège est bien trop puissant. « Laisses-moi ! » répète-t-elle, avec plus de force dans la voix cette fois-ci. Il la surplombe, jamais il ne la laisserait partir simplement parce qu'elle le lui demande. Sans doute devrait-elle avoir peur, mais elle est bercée de la tranquille conviction qu'il ne lui ferait jamais de mal - du moins, pas plus que cette petite chute visant à l'arrêter. Ses doigts agiles mais engourdis par le froid parviennent enfin à attraper sa baguette dans sa poche, alors qu'elle crache en réponse à sa question : « Mêles-toi de tes fesses ! J'ai rien à te dire ! » Elle ne prête aucune attention à la rage qui se lit sur les traits de Nathaniel, estimant qu'elle n'a rien de différent de ses habituelles remontrances. Pourquoi en aurait-il quelque chose à faire, qu'elle file à l'anglaise ? Elle n'a ni affection, ni fierté, à lui offrir. Au contraire, elle lui rend souvent la vie pénible, estime-t-elle. Un poids, voilà ce qu'elle est pour lui. Il aurait sûrement préféré qu'elle le soutienne dans sa quête stupide de vengeance, qu'elle soit une bonne petite sœur obéissante. Elle pointe sa baguette sur ses chevilles avec un air déterminé. « Finite incantatem ! » Rien. Avant qu'il ne puisse lui arracher sa baguette, elle insiste en répétant le sortilège. Enfin, elle sent les liens qui la retiennent commencer à se défaire.

En quelques pirouettes, elle arrive à se lever, et se retrouve aussitôt nez à nez avec son frère. Enfin, Jez note la lueur dans ses yeux, qu'elle n'avait jamais vu briller aussi fort. Elle avale discrètement sa salive, surprise et un brin inquiète. « Tu vas faire quoi, Nate ? M'envoyer aux cachots ? » lâche-t-elle avec un rire sardonique. Même si cette vieille tradition de Poudlard existait encore, ce n'est pas ce genre de punition qui lui ferait passer l'envie de dégager loin d'ici. Ni les cachots, ni les colles, ni les discours moralisateurs. Elle hésite cependant, figée face à lui. Que faire ? Recommencer à courir ? Essayer de lui lancer un sortilège pour le ralentir ? Elle tient sa baguette vaguement pointée vers lui, avec le manque d'assurance de ceux qui se savent battus d'avance. Mais elle est prête à en découdre, animée par une sorte de fierté bravache. Tous ses vêtements sont à présent humides et s'il n'y avait pas l'adrénaline pour lui tenir chaud, sans doute claquerait-elle déjà des dents. Curieusement, elle se sent grandir un courage qui lui manquait quelques minutes plus tôt, quand elle cherchait à passer inaperçue jusqu'à la sortie du village. Elle n'avait pas vraiment de but alors, si ce n'est de rejoindre Ares. À présent, un obstacle s'est présenté, et de taille - réveillant une volonté, pour ne pas dire un désir fou et obstiné, d'en découdre. « Vas-y, attaques moi ! Papa et maman seraient fiers de toi. » Un immense sourire provocateur aux lèvres, Jez cherche à pousser le bouchon aussi loin que possible. Pour la énième fois, elle teste les limites de ce frère qui se donne des grands airs mais qui n'a jamais fait que cracher sur tout ce qu'elle aime.