Polyphème - Peut-être que devenir fou est la meilleure chose à faire, finalement.

MISE EN SITUATION :

Polyphème avait entendu pas mal de rumeurs sur le nouveau directeur de Poudlard. On disait qu’il était un homme cultivant le mystère, une ombre, un homme invisible qui ne daignait quitter sa tour que lorsque la situation devenait réellement inquiétante. On disait qu’il n’était pas humain, que sa voix était rocailleuse et son odeur étrange. On disait que ses yeux étaient perçants, que son visage était si laid qu’il refusait de le montrer. Maintenant que Polyphème se trouvait face à cet homme, il pouvait se rendre compte que certaines de ces rumeurs n’étaient que pures affabulations. Mais certaines semblaient plutôt conformes à la réalité.

Le directeur était installé derrière son bureau. Il faisait face à Polyphème et pourtant celui-ci ne voyait rien de plus que ses yeux scrutateurs, mystérieux, inquiétants. Le reste de son visage était plongé dans l’ombre d’une capuche noire. Polyphème n’aimait pas vraiment tous ces mystères. Il avait passé une grande partie de sa vie à élucider des mystères, alors, déformation professionnelle ou trait de personnalité marqué, l’idée de n’avoir aucune information sur son interlocuteur le mettait terriblement mal à l’aise.

« Peut-être pourriez-vous … enlever votre capuche ? Demanda-t-il, pas gêné pour un sou. J’ai tendance à penser que les sorciers qui masquent leur visage ne sont pas des sorciers de confiance. Surement un reste de ma carrière d’auror. »

Polyphème ne s’embarrassait pas de courbettes. Il disait, comme toujours, ce qu’il pensait, de la façon dont il le pensait, un trait de caractère qui lui avait posé quelques soucis avec ses supérieurs précédents. Le directeur ne broncha pas, se contentant de rester droit et immobile sur sa chaise.

« Non, répondit-il froidement. Je ne vais pas l’enlever. »

Polyphème eut une moue embêtée.

« Je suis désolé, reprit-il sans se laisser déstabiliser par la froideur de son interlocuteur, mais si vous me permettez d’insister … »

« Et si nous parlions plutôt de vous, le coupa le directeur en haussant légèrement la voix. Vous m’avez fait savoir que vous seriez intéressé par le poste de professeur de sécurité magique. Pouvez-vous m’en dire d’avantage sur vos motivations ? »

Comprenant le message, Polyphème n’insista pas. Mais il n’était vraiment pas à l’aise. Ce directeur trop mystérieux le rendait nerveux. Et puis, les objets posés sur le bureau étaient si désorganisés qu’il avait du mal à ne pas les attraper pour les ranger de façon correcte. Il aurait commencé par aligner les différents parchemins, en fonction de la longueur du texte inscrit dessus. Puis, il aurait également aligné les plumes, en fonction de leurs tailles et auraient placé les encriers à proximité des plumes dont la couleur correspondait au mieux, selon lui. Tout un programme. Mais, il était à peu près évident que le directeur ne serait pas vraiment ravi que son invité range son bureau de manière totalement hurluberluesque. Polyphème se força à détacher son regard des parchemins étalés sans ordre sur le panneau de bois. Mais peu impotait où se posait son regard, rien dans ce bureau n’était rangé à une place convenable et, la capuche qui masquait le visage du directeur continuait à l’irriter.

Garder son calme.

Il avait appris à le faire, en travaillant en tant qu’auror. C’était important, de savoir masquer son stress, son malaise, devant les suspects. Alors, Polyphème pris une grande inspiration, ferma un instant les yeux, et entreprit d’offrir une réponse satisfaisante à la question qui lui était posée.

« Et bien, depuis l’obtention de mes ASPICS, en 1982, j’ai pu explorer de nombreuses facettes du domaine de la sécurité magique. Après quinze années de services au ministère en tant qu’auror, j’ai voulu découvrir autre chose, je suis donc parti autour du monde, en tant que chasseur de créatures nuisibles et malfaisantes. Ainsi, je peux donc vous affirmer que je suis tout à fait polyvalent en ce qui concerne la sécurité. Une polyvalence qui a d’ailleurs été saluée lorsque je suis revenu à Londres et que j’ai été embauché à Gringotts. Aujourd’hui, j’aimerais transmettre tout ce savoir que j’ai pu accumuler durant mes différentes expériences. »

Il lui était impossible de lire la moindre expression chez le directeur. Il ne voyait rien d’autre que ces deux yeux qui le fixaient avec intensité.

« Travailler en tant que professeur, c’est tout de même … très différent de ce que vous avez connu jusque-là, Monsieur O’Connolly, poursuivit le directeur, de sa même voix froide. Vous sentez vous apte à gérer une classe de jeune étudiants à peine sortis de l’adolescence ? Vous sentez vous apte à leur expliquer encore et encore des choses qui, pour vous, sont d’une logique et d’une simplicité aberrante ? Vous sentez vous apte à les intéresser un tant soit peu ? »

Polyphème eut un petit sourire. Après avoir combattu des dizaines de mages noirs, chassé des créatures dignes des cauchemars les plus terrifiants, côtoyé de vieilles magies aux effets souvent inquiétants et travaillé aux côtés de gobelins, ces créatures qui n’utilisaient leur formidable intelligence que pour servir leur propres intérêts, Polyphème était à peu près certain que ça n’était pas une classe de jeunes sorciers qui allaient le mettre en difficulté.

« Vous savez, expliqua-t-il au directeur, j’ai de nombreuses fois eu l’occasion d’entraîner ma pédagogie. En tant qu’auror, j’ai plusieurs fois été amené à former les nouvelles recrues. Sur la fin de ma carrière, j’intervenais dans les cours que le ministère proposait dans le cadre de la formation des futurs aurors. J’ai même eu la chance et le privilège d’être le tuteur de deux jeunes en formation, qui ont depuis brillamment obtenu leur diplôme. Par la suite, lorsque j’intervenais autour du monde, c’était la plupart du temps dans des petits villages sorciers, aux pratiques ancestrales et à la magie puissantes, mais qui n’avaient pas toutes nos connaissances modernes sur le monde magique. J’ai plusieurs fois du leur transmettre ce que je savais des créatures qui les attaquaient ou les envahissaient, afin qu’il puisse remédier eux-mêmes au problème, la prochaine fois. Quand à mon travail pour Gringotts, en tant que chef de la sécurité, la formation de mes collaborateurs était un des aspect fondamental de mon travail. Je pense donc, vu toutes ces expériences, être bien placé pour gérer de jeunes étudiants, faire preuve de toute la patience nécessaire à leur apprentissage et, je pense être parfaitement capable de capter leur attention et leur intérêt. »

Impassible, le directeur n’avait aucune réaction qui aurait pu indiquer à Polyphème s’il appréciait ou ce qu’il était en train de lui raconter. L’entretien dura encore plusieurs minutes durant lesquels le directeur expliqua surtout à Polyphème le fonctionnement de l’école, s’assurant qu’il saurait s’y adapter. Finalement, il le congédia, lui indiquant qu’il recevrait un hibou pour l’informer de sa décision. Polyphème n’était pas du genre à douter de ses capacités professionnelles, et, en temps normal, il serait ressorti tout à fait confiant du bureau du directeur. Pourtant, tout ce mystère qui entourait cet homme altérait son jugement, le rendant nerveux et beaucoup moins sûr d’obtenir le poste.