True Colors [Pandore]

« Pourquoi tu la mates comme ça ? » Il grognait sa jalousie entre ses lèvres purpurines, toisant de biais son cousin Lydander dont le regard se faisait trop insistant envers une demoiselle. Blonde aux yeux bleus, plutôt jolie d'un point de vue purement hétérosexuel, mais d'une étrangeté absolue. Placid grinça des dents derechef avant de reprendre, face au mutisme de son cousin : « Elle parle toute seule, c'est une cinglée. Allez viens j'ai la dalle. » Le garçon l'agrippa par le bras sans que Lysander ne s'en offusque. Habituellement rembruni et engoncé dans son caractère abrasif, le ténébreux ne pipa mot ; trop absorbé dans ses pensées, trop intrigué, sans doute, par la jeune fille à la rêverie parfois douteuse. Les délicieuses saveurs émanant des plats chauds posés sur les tables ne l'aidèrent guère à s'extirper de sa léthargie ; Lysander prit place en silence, laissa vagabonder son regard noisette sur les couverts, s'accorda à penser qu'il trouvait cette jeune fille comme enveloppée d'un halo sibyllin. « Putain t'es amoureux ou quoi ? » « Ta gueule, t'es con. » Enfin le concerné montra signe de vie comme il fronça les sourcils, agacé par la jalousie déguisée de Placid. Ce dernier fit trembler sa jambe d'une mouvance nerveuse, prompt à se ronger les ongles ; il s'inquiétait des éventuels coups de cœur de Lysander. Assez rares pour être convoités. « Tu lui trouves quoi, franchement. » « Rien du tout. » Le ténébreux leva les yeux de son assiette, embrassa la salle de ses yeux vifs puis vint les poser sur la Gryffondor. « Elle a juste l'air... comme nous. » « Tu veux dire dérangée ? » Léger rire infect et sardonique. Lysander simula la surdité. Il s'évertuait à considérer l'envie charnelle comme une anomalie. Préféra l'interpréter comme un intérêt purement sociologique. Ce que Pandore suscitait en lui, il n'en avait la moindre idée. De la curiosité certes, et autre chose encore. Le garçon renchérit : « Plutôt paumée. Ca me fait marrer moi, quand je la vois parler toute seule. Pas du genre 'j'me fous de sa gueule', tu vois. Du genre 'c'est drôle, elle en a rien à carrer de ce que les autres pensent d'elle'. » Pour toute réponse, Placid renifla, irrité. Son courroux patenté n'affecta pas son cousin mais vint au contraire lui insuffler un courage qui lui manquait lorsqu'il s'agissait de la gente féminine. Téméraire face aux caïd, penaud face au beau sexe. « Hey. Qu'est-ce que tu fous ? » « J'en sais rien. » Et de se lever d'un bond, comme porté par un élan jamais anticipé. L'on pouvait voir son port de tête assuré, ses pas lestes et confiants, mais son regard se striait d'une étrange lueur angoissée. Comme un soubresaut de conscience s'inscrivant dans sa pupille : « Merde, qu'est-ce que je suis en train de faire. »

« Hey. Salut. » Merde, qu'était-il en train de faire. Penché auprès de Pandore alors attablée auprès des Gryffondors. Le quidam reçut quelques regards biaisés annonciateurs de défiance, mais pour une fois Lysander décida de les ignorer. Il ignorait même ce qu'il allait dire à la jeune fille, la gorge encrassée de malaise il tenta une approche en balbutiant. « C'est... heum... J'voulais juste te dire... » Puis il sentit les regards interrogateurs le fixer, ces oreilles indiscrètes et tendues, sa maladresse à la fois touchante et absurde. Lorsqu'il comprit sa gaucherie soudaine, sa spontanéité n'ayant pas aboutie, ses joues s'empourprèrent légèrement comme ses pupilles s'illuminèrent d'un dépit fâcheux. « Laisse tomber. Quel con. » Il tourna les talons sous le regard lointain de son cousin, lequel soupira de soulagement.

Il s'agit parfois de bousculer ses convictions : il était allé la voir, porté par un courage naissant au creux d'un palpitant endolori, sans que son cerveau ne s'en insurge. Il avait fallu que la gêne le rattrape lorsque, annihilée par le mutisme, sa langue n'avait su clamer la juste mesure face à la jolie blonde. Lysander s'était levé vers elle, prompt à lui porter un laïus qu'il ignorait encore. Sans doute, et était-ce là le plus probable, avait-il été porté par l'envie d'exister à ses yeux. Le Serpentard n'était pourtant pas le jeune homme le plus transparent de l'école : on le savait impulsif quand son attitude au Quidditch le portait en démiurge de la batte pour certains, en joueur trop agressif pour d'autres. Sa facette mauvais garçon intriguait, attirait ou repoussait, mais ne laissait guère indifférent. Fait paradoxal cependant, son caractère bien forgé s'estompait de temps à autres sous son côté réservé qu'il affichait parfois auprès de la gente féminine. Aujourd'hui en était l'exemple formel, et Lysander se détestait de s'être annoncé près d'elle de la sorte. De toute évidence, il n'avait jamais eu la verve nécessaire à toute forme de drague ; il bafouillait parfois lorsque la donzelle lui plaisait, fuyait au mieux celles qui lui tapaient dans le cœur, s'encombrait au pire de maladresse. Et puis il y avait ces autres jeunes gens, chalands probablement bien plus doués en matière de séduction, qui tournaient inlassablement autour de Pandore et avec qui il ne pouvait hélas rivaliser. Parfois, Lysander s'arrêtait mentalement sur le moment où il n'avait pas faibli ou failli, entrevoyant l'étendue du temps et de la fierté qu'il n'aurait pu ne pas perdre. Mais en cet instant, le jeune homme aurait tout donné pour plonger encore de longues secondes ses prunelles mordorées dans celles, virginales, de son vis-à-vis. "Tu... Tu voulais me dire quelque chose?" Il avait senti cette main sur l'épaule, ce qui l'avait fait légèrement tressauter. Le contact physique s'avérait immensément éprouvant malgré lui. « Ben c'est à dire que... » Ces regards posés sur eux, familiers ou scrutateurs, confirmaient la thèse du voyeurisme avancé. Lysander fronça les sourcils d'irritation, prêt à déployer un vocabulaire agressif voire vulgaire envers les indésirables, quand Pandore prit fort heureusement l'initiative de les mener à part. "Est-ce que... Tu veux aller ailleurs?" « Ouais ok. » Il aurait pu refuser la requête, prétexter qu'il n'avait rien à dire – ce qui était pour autant véridique – mais la jeune fille l'intriguait tant qu'il ne parvenait à s'en détacher. Quitte à brasser du vent, Lysander l'invita à le suivre au sein du Grand Hall.

Il lui fallait à présent engager la conversation, moins par commodité que par politesse. Pourtant embarrassé de ne savoir quoi dire, le Serpentard joua franc jeu, laissant sa spontanéité parler pour lui. Ce qu'il avait de touchant, dans son laïus un peu précipité, c'était encore cet émoi pragmatique, ce faciès trop sérieux malgré la légèreté sincère de ses propos : « Je sais qu'on ne se connaît pas beaucoup. En fait, j'crois bien qu'on a une personne en commun qui n'est pas dans tes bonnes grâces. » Rictus de connivence. Lysander ne prononça guère le prénom de Emeline mais sa présence flottait sur sa réplique. « Mais... J'te vois parler toute seule des fois. Le prends pas mal. » Ajouta-t-il précipitamment, de crainte soudaine d'avoir été inélégant. « Ca m'intrigue, en fait j'aime bien, t'es pas comme les autres. » Ce qu'il avait omis de préciser était encore le nombre de fois où il put l'observer lors des déjeuners à parler seule. Son regard noisette plaqué inlassablement sur les lèvres frêles de la jeune fille.

La méfiance de la jeune fille était tout à fait louable, pour autant la tournure que prit la conversation, entre crainte et suspicion, froissa non pas l'égo mais l'audace du garçon. C'est qu'il avait tant attendu de pouvoir enfin se lancer, lorsque la toisant au détour des couloirs il ne trouvait pas encore le courage de l'aborder, que les mots de Pandore s'échouaient en monceaux de verre tout contre sa peau. Sa spontanéité hélas n'avait pas payé, pour autant la démarche de Lysander était assez rare pour être convoitée : on ne le voyait que rarement s'avancer vers la gente féminine. Il eut fallu que la demoiselle lui plaise pour parler ainsi sans ambages, lui avouer qu'il la trouvait attirante à sa manière, risquer de prendre une déconfiture en pleine tête. "Est-ce que... C'est elle qui t'envoie?" Froncements de sourcils pour toute réponse. Assimilant avec peine la réaction inattendue de la Gryffondor, Lysander ignorait pour le moment ce qu'elle lui reprochait. "C'est une nouvelle blague qu'elle a inventé c'est ça?" « Quoi ? Mais non. » "Ecoutes... Dis-lui que ça ne me fait pas rire... " Instant de flottement le déstabilisant outrageusement. Il n'avait voulu que lui plaire, il ne récoltait que de sales accusations. Sans doute avait-il été maladroit, peut-être avait-il été trop direct... Qu'en savait-il. Ce qu'il savait des femmes, il l'avait appris sans son consentement et n'était pas même certain qu'il s'agissait là de bonnes choses. Alors Lysander se repassa rapidement en tête la conversation, tenta de comprendre où il avait vacillé ; son visage s'était étrangement détendu, écrivant les traits de la déstabilisation. Ses yeux posés un instant à terre cherchèrent une réponse qui ne vint jamais, ou peut-être était-ce sa gorge nouée qui s'engagea à le faire taire. Se sentant engoncé dans son propre piège, le Serpentard prit soudain conscience de ce qu'il faisait : il abordait enfin une fille qui lui plaisait, et rien de son entreprise ne fonctionnait. Ses démons le rattrapèrent alors bien vite ; son pouls s'accéléra quand son cerveau se troubla. N'arrivant plus à décrocher un mot, se sentant blêmir à vue d'oeil (par Merlin qu'il se sentait stupide. Lui le caïd des quartiers crasses moldus n'arrivait pas à mater sa peur devant une jolie blonde), voilà qu'il tourna les talons sans un mot. Peut-être était-ce cet ersatz de couardise qui l'avait mené chez Serpentard, mais dans tous les cas Lysander n'arrivait plus à contrôler la situation. Ce qu'il fallait faire, dire ou ressentir. Tout semblait flou lorsque son palpitant battait trop fortement contre sa poitrine.

"En quoi le fait que je ne sois pas comme les autres c'est bien?" Elle l'avait arrêté. Le jeune homme ayant fait quelques pas vers la Grande Salle s'était retourné derechef, observant la Gryffondor un instant sans savoir quoi dire. Sa gorge ne se desserra qu'après de longues secondes de mutisme involontaire. « Bon écoute, laisse tomber. » Recouvrant son aplomb car ne supportant pas d'avoir failli à la seule démarche qu'il pensait ne jamais pouvoir faire, il se sentit soudain vexé par les dires de Pandore. « J'suis assez grand et pas assez con pour jouer à ce genre de jeu. J'ai voulu être franc et j'me suis planté ok. Donc oublie tout ce que j'ai dit, ça sert à rien. » Demi-pause volontaire. Lysander vint renchérir avec une froide sincérité. « Désolé de t'avoir donné une sale impression. Faut dire que j'ai la gueule qui va avec. » Etrangement, un sourire amusé ourla sa lippe. Narquois et espiègle, son sourire s'émoussa aussitôt que Lysander eut tourné les talons, se blâmant d'avoir été aussi stupide. Finalement, son cousin Placid ne prêchait pas que la mauvaise parole quant à son malaise incurable auprès des demoiselles.

Mille pensées dans son crâne, toutes délibérant de son geste inconsidéré et le menant inlassablement à la moue moqueuse d'un Placid jaloux lui targuant un « je te l'avais dit » hautain. De fait, Lysander ne savait s'il était préférable de regagner la Grande Salle, là où les yeux marmoréens de son cousin le dévoreraient avec attention et une certaine appréhension. Ce n'était pourtant pas l'échec de l'entreprise qui refroidissait le garçon : Lysander n'avait jamais vraiment su s'adresser à la gente féminine. Il avait bien eu quelques aventures, assez rares pour être relevées, mais elles étaient toutes ou presque le découlement d'une désinhibition des sens dû à l'ingestion d'alcool lors de soirées. Sobre, il renouait avec ses démons et fuyait le regard face à une donzelle susceptible de lui plaire. Pandore était l'une d'entre elles, et pour autant le Serpentard trébuchait devant bien peu de jeunes filles. Rares étaient celles attirant son regard ou son attention ; sans doute était-il tatillon, ou bien pensait-il seulement à se préserver. Dans tous les cas, il se maudissait encore de lui avoir adressé la parole, se jurant de ne plus entreprendre de telles idioties le plongeant dans les affres de la honte. "Attends-je..." De nouveau, il se retourna. Surpris de la spontanéité de la Gryffondor, de cette sincérité striant son regard abattu. Elle avait les pupilles lourdes de ressentiments quand Lysander écrivit sur ses traits un étonnement non feint et bienveillant. " Je suis désolée." Mutique, le jeune homme se retourna totalement face à elle avant de décocher quelques pas à son encontre. Un peu d'espace vital (au minimum un mètre cinquante de distance) instauré entre les deux mésanges blessées qu'ils étaient, demeurait essentiel.  "Je ne voyais pas pour quelle autre raison tu aurais pu vouloir m'adresser la parole..." Lysander fronça derechef les sourcils. Aucune mésestime ni condescendance, juste un instant d'égarement et de réflexion. A la voir baisser les yeux tout en susurrant de telles paroles, il comprit que l'estime de la jeune fille, trop basse pour être redressée, avait poli sa langue durant tout son laïus. Persuadée ne pas pouvoir être au centre de l'attention d'une tierce personne, elle avait entrevu dans la démarche de Lysander un jeu cruel dont elle lui avait fait maladroitement le reproche. Comprenant ainsi sa réaction, le Serpentard détendit son dos, jusque là contrit par la frustration et un léger courroux. "Je sais ce qu'on murmure à mon sujet, les coups bas ici c'est monnaie courante... Alors j'ai seulement pensée que..."  « J'ai pigé t'inquiète. »  Il n'avait pas voulu qu'elle s'épanche et ouvre ainsi ses plaies. Sa voix, usuellement suave et chaude, avait quelque chose de rassurant malgré la rudesse de leur précédent échange. "Faut croire que tu n'es pas le seul à t'être planté..."

Et le silence demeurait. Puissant, fort dans sa sincérité, quelque peu inquiétant dans les non-dit qu'il portait. Lysander aurait aimé réagir aussitôt ; lui confier qu'elle ne devait pas se remettre aux coups bas d'Emeline, qu'il lui fallait se voir autrement que par le prisme du regard de l'autre. Mais il savait que de tels conseils avaient un arrière-goût âcre de facilité et de dires pré-conçus. Alors il chercha quoi lui dire, s'accorda à penser qu'il était préférable de lui confier dès à présent ce pourquoi il était venu la chercher. « En fait je voulais juste te dire que... »  Ces yeux à la fois rieurs et tristes, cette silhouette fine et ces longs cheveux. Lysander se remémora soudain pourquoi il avait tant hésité à venir lui parler : elle lui plaisait. Et de fait, il demeurait figé avec ces bonds incessants d'un cœur maltraitant sa poitrine. « Que... »  Il déglutit non sans peine, sentant le rose aux joues lui monter. Lui, le sale gamin des ruelles coupe-gorge de Londres, était troublé par une blonde fluette aux airs innocents. « Enfin que je te trouvais... »  Jolie. Il ne put achever sa tirade ; les portes de la Grande Salle s'ouvrant dans un grincement sonore. Placid venait de héler le prénom de Lysander, se dirigeant à grand pas vers lui, son regard jaloux foudroyant la Gryffondor sans pour autant s'adresser à elle. « Bon qu'est-ce que tu fous, tu viens ? »  « J'suis occupé merde, attends deux minutes. »  Et dans son injonction, Placid avait senti combien Pandore semblait importante aux yeux du garçon. Il la fustigea de ses yeux d'un bleu glace, prémisse de son animosité à son égard. Sitôt arrivé, Placid repartit donc d'où il était venu, non sans toiser la jeune fille en chien de faïence. « Fais pas gaffe, il est jaloux. On est proches, tous les deux. »  Léger coup de main par-dessus son épaule afin d'agir en toute nonchalence. Lysander continua derechef son laïus. « Tu sais, t'as pleins de trucs pour toi. Faut pas que tu te dévalorises sous prétexte que certains te poussent à le faire. Baisse pas les yeux, casse-leur le nez s'il le faut. »  Sourire de connivence. Ses conseils, bien que virulents, avaient au moins le mérite d'être sans ambages.