Nos regards se sont croisés plusieurs fois, ici-même, depuis la rentrée scolaire. Ce lieu ne devrait pas être celui que je privilégie lorsque l'espoir de la voir tord mes entrailles. Contrairement à elle, je n'ai jamais été un adepte de la poussière, des vieux livres défraîchis ou même de lecture légère. Avant de succomber sous son charme, la bibliothèque représentait, pour moi, l'endroit idéal pour faire la sieste entre deux cours ennuyants ou, dans le plus catastrophique des cas, copier une ou deux pages d'un vieux bouquin dans l'espérance que le professeur n'y voit que du feu. En outre, je n'ai jamais été très intellectuel. De nous deux, elle a toujours été la plus brillante.
Si lors des premières semaines de la rentrée j'acceptais le fait qu'elle s'éloigne, ce n'est plus du tout le cas. Je lui ai permis de reprendre contact avec ses amis, je lui ai donné le temps qu'elle me demandait sans réellement me le demander, mais je n'en peux absolument plus. J'ai ressassé milles et une fois les possibles raisons de son détachement, mais une seule se démarque des autres ; elle n'en peut plus de moi, de ma lycanthropie, de mon attitude, peut-être? Sans doute me suis-je trop facilement apitoyé sur mon sort tandis qu'elle réclamait l'attention qu'elle méritait? J'ai la faible conviction d'avoir été berné par un amour d'été ; un amour qui n'était pas conçu pour durer. Quoi qu'il en soit, le résultat est identique ; elle s'est éloignée. J'ai l'impression que j'en suis l'unique responsable, mais je veux qu'elle sache que je ne baisse pas pour autant les bras. Surtout pas en cette période festive - la première que je passe seul depuis la mort prématurée de ma famille, depuis l'important changement qui s'opère tous les mois à l'intérieur de mon corps.
J'aimerais pouvoir la haïr de m'infliger une telle épreuve. J'aimerais tant qu'elle me parle, qu'elle m'explique ses réflexions, car en dépits de tous mes efforts, je n'y comprends rien. Nos échanges ne durent que quelques secondes, mais nonobstant la durée et la distance qui nous séparent, j'ose croire que ce que je vois à travers ses iris est l'onze d'amour qu'elle continue de me porter.
Sans surprise, je n'ai qu'à patienter quelques minutes avant de la voir passer le seuil de la bibliothèque. Fidèle à ses habitudes, je l'observe prendre place au siège qu'elle favorise généralement. Près d'une fenêtre, de manière à jouir pleinement de la lumière naturelle. La vue qu'elle m'offre en plongeant déjà dans son ouvrage m’emplis d'un sentiment de bien-être. Un sentiment que je ne ressens qu'en sa présence. Un sentiment que je ressentais jours et nuits, lors des dernières semaines d'août. Plongé dans ces tendres souvenirs, je n'anticipe pas son mouvement lorsqu'elle tourne brusquement la tête dans ma direction. Comme l'aurait fait un rat dès qu'une lumière s'ouvre, je disparais derrière une rangée.
L'incertitude me hante. J'ignore si elle a détecté ma présence, mais je décide de m'active histoire d'éviter un malaise lorsqu'elle me demandera pourquoi je me cache tel un trouillard. Un genou au sol, je me sers du plancher comme d'une table pour plier, à vitesse grand V, un bout de parchemin sur lequel j'ai pris soin d'écrire quelques mots. Rien d'extravagant, rien de compliqué. Que deux ou trois phrases que je tenais à lui dire.
Après avoir plié le morceau de papier en lui donnant grossièrement la forme d'une loutre – que je sais être l'animal représentant son patronus – j'anime l'animal grâce à un coup de baguette abstrait. Dans un bruit de froissement, l'animal s'élève maladroitement en gambadant dans les airs en direction de Lyra. Avant même qu'il n'est fait un mètre, je le rappelle à l'aide d'un petit sifflement, à peine perceptible. Aussitôt, la loutre revient et c'est à ce moment que je passe une ficelle de lin autour de son cou. Relié à un petit paquet, la lourdeur du cadeau déforme légèrement l'origami qui repart obéir à l'ordre de mon sortilège.
J'aurais aimé admirer sa réaction, voir son sourire, mais dès que l'animal s'échoue lamentablement sur le grimoire de Lyra, je décide de m'éclipser.
En m'éloignant le plus rapidement possible de la bibliothèque, je tente de m'imaginer sa réaction lorsqu'elle ouvrira le paquet inélégant. Lorsqu'elle découvrira la glace à l'ennemi en format poche que je lui ai dégotée en septembre lors de notre passage au Chemin de Traverse.
« Tu ne me permets pas d'être près de toi, mais je tiens à ce que tu sois en sécurité. Saches que je n'attends rien en retour si ce n'est qu'un sourire lorsque nous nous croisons dans les couloirs. Ce miroir anticipera tous les dangers à ta place.
Tu me manque.
O. »