Sleeping at last [Yassen]

Elle se réveille un cri étouffé sur les lèvres, une vision devant les yeux. Des traits pâles, gonflés. Des yeux délavés, écarquillés. Des marques bleues sur un corps si blanc. Une main qui flotte délicatement, comme portée par des vaguelettes. Des mèches de cheveux éparpillées, semblables à s’y méprendre à des serpents. Dans les yeux un restant d’horreur. De peur. Et ce visage … ce visage si familier. Son reflet. Son miroir. Sa sœur. Le cri étouffé se transforme en gémissement. Des larmes viennent souiller son doux visage. Brume a envie de hurler. Brume a envie de s’enfuir. Mais les images sont gravées dans sa mémoire. Elles refusent de s’en aller. Refusent de disparaitre. Pourtant Brume les repousse de toutes ses forces. Avec des illusions réconfortantes. Tellement que pendant quelques secondes, la brune peut presque croire qu’il s’agit de la réalité.

Presque.

Car celle-ci revient toujours. Avec son lot d’horreur. Des horreurs que Brume ne peut pas oublier. Jamais. Pas même en le souhaitant de toute ses forces. Silencieusement les larmes continuent de couler sur ses joues. Et Brume retient de pathétiques hoquets qui risqueraient d’attirer l’attention non souhaitée de camarades qu’elle ne souhaite pas voir. C’est bien pour cela qu’elle s’est isolée. Au lieu, elle se lève, se glisse d’entre les draps comme une ombre. A pas de loup elle se dirige vers la porte. Elle fuit. Loin de ses cauchemars. Loin de sa réalité. Loin de cette douleur à laquelle elle ne peut pas échapper. Pourtant elle ne pourra jamais courir assez vite. Jamais courir assez loin. Ses démons sont en elle. Sont elle. Et ils ne partiront pas. Chevillés au corps. Il faudrait disparaitre pour ne plus jamais souffrir. Mais disparaitre c’est aussi détruire les dernières traces d’Astrées. Après tout ne sont-elles pas parfaitement identiques ? De parfaits doubles. Par conséquent tant que Brume vit, il en est de même pour Astrée. Et qui est-elle pour tuer une deuxième fois sa sœur ? Comment le pourrait-elle ?

Alors au lieu elle continue. Dans sa fuite éperdue. Dans sa cavale sans but. Ses pieds nus viennent frapper la pierre froide. La brune se moque totalement de qui peut bien la voir. Elle se moque soudain d’avoir l’air d’une folle, absolument désespérée. Elle espère juste stupidement être capable de courir assez vite pour dépasser toute l’obscurité et la douleur qui l’entoure. Un vœu bien idiot de la part d’une petite fille à peine grandie. Mais tellement compréhensible. Elle court pendant de longues minutes, l’univers autour d’elle réduit à un point situé au loin. Sur les lignes croisées de l’infini. Mais son souffle se fait court. Une pointe de souffrance vient percer ses côtes. Brume s’arrête pour aspirer goulument de l’air dans ses poumons. Se fige. Une statue dans l’air humide. Parce que ses yeux s’arrêtent sur l’eau mouvante du Lac.

Un signe ? Le destin ? Qui peut savoir … elle ne peut simplement pas s’en empêcher Brume. Elle s’approche un peu plus. Comme hypnotisée. Ses doigts effleurent la surface liquide. Froide. Une vaguelette vient lécher sa main. Et elle s’avance encore. Ses grands yeux bruns fixés sur son reflet. Et soudainement ce n’est plus son reflet. Plus vraiment. C’est Astrée. Astrée qui s’avance dans l’eau. Astrée qui court à sa propre perte sans vraiment le savoir. Et Brume ne peut pas laisser une telle chose arriver n’est-ce pas ? Pas une seconde fois. Sa main se tend d’elle-même. Son corps se propulse dans l’eau. Parce que la silhouette semble s’éloigner. Et Astrée ne peut pas se noyer, elle ne peut pas mourir. Pas si elle la sauve avant.

Elle s’enfonce dans son illusion aussi bien que dans les eaux sombres. Elle coule Brume, poussée vers le fond par son propre chagrin. Par ses propres regrets.