Les cris l'attirent, attisent sa curiosité d'enfant. Elle se presse contre le battant, y colle son oreille avec avidité. «
TU ME FAIS HONTE ! Je n'arrive pas à y croire... COMMENT FAUT-IL TE LE PLANTER DANS LE CRÂNE ? Est-ce que je t'ai si mal éduqué, pour que tu deviennes aussi STUPIDE ? » Elle n'est pas la source de la colère paternelle, pourtant son cœur bat très fort dans sa poitrine au son de cette voix impérieuse. Oh oui, Jez se souvient de chacune des rares fois où papa s'est énervé contre elle.
«
Des impurs... Des maudits IMPURS... Ils sont pires que la vermine, je tourne le dos et les voilà qui touchent à ma famille, ces vautours ! Et toi, tu te laisses faire, tu t'en fais des amis... » L'enfant sursaute au son d'un objet se brisant, contre un mur sûrement. Il lui semble entendre une autre voix, plus étouffée, mais très vite le père Avery l'interrompt sans douceur. «
TAIS-TOI ! Sors d'ici, hors de ma vue. Je te laisse le plaisir d'expliquer à ta mère pourquoi tu ne sortiras plus de la maison pour le reste des vacances. »
C'est tout juste si Jezebel a le temps de reculer en trébuchant pour éviter la porte qui s'ouvre soudain, laissant apparaître Nathaniel. Son expression contrariée se transforme quand il la voit, le regard noir qu'il lui adresse la laissant muette. «
Tu n'as rien à faire ici. » Elle proteste mais déjà, il ferme la porte et l'attrape par le bras pour l'entraîner dans les escaliers. «
Lâche-moi ! » grogne-t-elle, tirant en vain dans l'autre sens. «
Tu veux te faire disputer aussi, c'est ça ? » La gamine lève les yeux au ciel, peste, souffle, jusqu'à ce qu'il cède. «
Je n'ai rien fait, MOI ! » scande-t-elle en croisant les bras, pleine d'aplomb bien qu'elle doive lever les yeux pour le défier du regard. Finalement, il abandonne la bataille avec un soupire, mais elle se doute bien qu'il viendra se plaindre à nouveau.
Nathaniel ne semble savoir faire que deux choses, après tout. Décevoir papa et maman, et lui dire ce qu'elle devrait ou ne devrait pas faire.
✦✦✦
Moment rare, arraché au temps qui passe, aux obligations, aux grandes responsabilités. Au diable les ambitions et le Seigneur des ténèbres, au diable le Magenmagot aussi ; au diable la pile de dossiers qui l'attend sur son bureau. Sur ses genoux s'est endormie sa seule fille, sa princesse. Elle ne l'attendait plus, ne l'espérait plus après tant d'années, et pourtant.
Elle se perd dans l'observation de ce visage paisible, oublie l'heure qui tourne et tout le reste. Les boucles brunes s'agitent enfin et les yeux emplis de sommeil se lèvent. D'un geste doux, elle lui effleure la joue. «
Dis-moi, ma princesse. Est-ce que par hasard, tu aurais encore malmené la nourrice ? Elle m'a laissé une note, elle ne reviendra pas. » Le regard de l'enfant hésite, entre sincérité et mensonge maladroit. Mais elle a la confiance tranquille de ceux qui n'ont jamais connu les regards désapprobateurs de leur mère, contrairement à ses frères, et finit par acquiescer.
Combien de nourrices avait-elle eut, depuis sa naissance ? Elle avait cessé de compter, madame Avery, agacée. Certaines ne supportaient simplement pas l'évidente supériorité de la famille - d'autres cédaient aux traitements méprisants de la cadette, le maigre salaire ne suffisant pas à l'endurer. Pour quelques unes, Jez avait failli s'attacher, mais c'était toujours la colère qui l'emportait sur le cœur ; la contrariété de passer après le travail de ses parents, de rester toutes ses journées seule avec une étrangère (et parfois son précepteur) surtout depuis que tous ses frères étaient entrés à Poudlard.
Mais nul besoin de mots pour s'expliquer, tout se lit dans ses yeux. Madame Avery reste muette, lui offrant un sourire tendre et coupable. Pas assez pour réparer le mal, mais peut-être cela empêcherait-il la solitude de se transformer en rancune.
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Elle sait très bien comment cela devrait se passer. Comment cela se serait passé s'ils n'étaient pas... partis. Plus de ce monde, disparus. Les autres enfants s'émerveillent autour d'elle, de tout ce que le Chemin de traverse étale sous leurs yeux ébahis ; elle-même esquisse un sourire devant certaines vitrines, sans jamais qu'il n'atteigne les yeux. Rien n'est normal, rien n'est logique. Rien ne se passe comme cela devrait. Contrairement aux autres petits sorciers venus faire leurs emplettes avant leur première année, ce ne sont pas ses parents qui lui tiennent la main dans la foule dense ; ce ne sont pas ses parents qui lui offrent des confiseries magiques dans l'espoir de lui faire plaisir. C'est Nathaniel, et chaque fois qu'elle lève les yeux vers lui, elle croit se perdre plus encore.
Plus de ce monde, disparus. Comment est-ce possible ? Elle ne dit rien pourtant, elle reste calme - et pas besoin d'être un génie pour savoir que quand Jezebel est calme, c'est que quelque chose cloche. Pour la première (et unique) fois de sa vie, elle suit Nathaniel sans broncher, écoute ses conseils sur la qualité des livres et le choix du matériel de potion. Elle attend d'être rentrée à la maison pour enfin poser cette question qui lui brûle les lèvres depuis des semaines, des mois. «
Il va revenir, Ares ? » Elle sait pourquoi il n'est plus là, elle a une vague idée des raisons pour lesquelles il ne vient plus, ni lui apporter des cadeaux ni la chatouiller jusqu'à l'essoufflement. Pourtant, elle a du mal à comprendre. Les subtilités lui échappent ; sa jeunesse crève soudain les yeux, tandis qu'elle interroge. L'apparent détachement de Nathaniel la blesse bien plus que ses mots. «
Il est parti pour longtemps. »
Ce n'est pas une réponse, et elle n'en est que plus confuse. Il évite la vérité avec adresse, abandonnant Jez à ses peurs.
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Les murmures ont commencé dès son premier jour à Poudlard. «
C'est elle... Ses parents sont morts l'année dernière... » Étonnant comme les enfants peuvent être bavards, sur des sujets pareils. Au début, Jez n'entendait qu'eux, tel un vacarme face auquel elle tentait de disparaître, de se faire minuscule. Puis les voix se turent, lassées de son absence de réaction ; les questions à ce sujet n'obtenaient que des regards assassins.
On apprit, souvent douloureusement, que la silencieuse Jezebel Avery n'appréciait pas qu'on s’immisce dans sa vie. Si elle était seule, c'était à dessein, dans l'espoir d'enterrer la douleur tout au fond de son être. Les rares fois où on vit la fratrie Avery se parler dans les couloirs, ce fut pour se hurler les uns sur les autres, souvent pour des raisons absurdes...
De cette année, Jezebel ne retint pas la nouvelle direction de Rogue, la récente mort de Dumbledore qu'elle n'avait de toute manière pas connu, ou encore les enseignants certes sévères mais pas plus que son père. D'autant qu'à une pure, et une enfant de mangemort de surcroît - comme le savaient les Carrow, on osa jamais infliger ce que d'autres subirent. Quelques élèves plus âgés tentèrent de s'en prendre à elle mais furent vite remis à leur place par les poings du plus jeune de ses frères, Ezechiel.
De cette année, tout ce que retint Jezebel, fut l'océan de peine dans lequel elle nageait - et les premières lettres d'Ares. Avait-il deviné, qu'elle en avait besoin ? Au début, ce n'était que quelques mots de réconfort, le discret rappel qu'il était en vie et pensait à elle. De tous ses frères, c'est lui qu'elle avait toujours affectionné le plus ouvertement et ce malgré leur grande différence d'âge.
Très vite, elle se surprit à attendre avec impatience le prochain courrier de ce frère soupçonné injustement du meurtre de ses parents, et chassé pour ses convictions.
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L'ennui. Le mortel ennui. La reconstruction de Poudlard est une malédiction pour les deux plus jeunes Avery, affalés dans les vieux canapés du salon. Ils connaissent à présent par coeur la pourtant vaste maison de leur tante, pour y avoir fait un nombre incalculable de parties de cache-cache. Ni Jezebel ni Ezechiel ne sont des passionnés de lecture, et même s'ils l'étaient, tout le monde se lasse après plusieurs mois à lire les vieux ouvrages d'une bibliothèque d'un autre âge... Les heures passées à étudier avec leur précepteur sont presque salvatrices, les coupant du silence pesant de la demeure et de ce face-à-face qui s'éternise.
L'avantage de l'ennui ? Il rapproche ceux qui autrefois, ne s'adressaient que quelques mots. Protecteur, Ezechiel l'a toujours été ; mais surtout par devoir familial. Et jamais Jez ne cessera de se moquer de son expression pincée. Il faut dire que de toute la fratrie, c'est sûrement lui qui a pris la mine la plus mortellement sérieuse - oui, il bat parfois même Nathaniel. Mais c'est surtout une façade, et livrés à eux-même, ils ont vite fait tomber les masques, pour se découvrir bien des points communs.
Longtemps de presque étrangers vivant sous le même toit, les voilà plus proches qu'ils ne s'y seraient attendus. Pour le plus grand regret de leur tante... «
J'ai une idée ! » La cadette bondit du fauteuil, un large sourire aux lèvres. «
Et si on échangeait les étiquettes du placard à potions ? La tête de tata quand elle mettra du sirop pour la dragoncelle dans son thé... » À son tour, le visage d'Ezechiel s'éclaire.
D'imagination, jamais ils ne manqueraient, même enterrés dans ce trou paumé.
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«
Miss Avery, j'aimerais vous parler une minute. » Le soupire manque cruellement de discrétion, mais elle n'essaye pas vraiment de cacher son agacement tandis qu'elle fourre ses affaires dans son sac, le balance sur son dos et s'approche en traînant des pieds du bureau. Certains élèves lui jettent des regards curieux en quittant la pièce, devinant sans doute que ce ne sont pas des compliments qui l'attendent.
Elle se plante devant l'enseignant, trop fière pour détourner les yeux bien qu'elle sache ses résultats catastrophiques. «
Miss Avery... Vous savez très bien ce dont je veux vous parler. Si vous continuez ainsi, vous n'aurez jamais vos BUSES et encore moins vos ASPIC. » Elle se retient de répondre qu'elle n'irait pas jusqu'aux ASPIC, s'épargnant le déplaisir qu'on la sermonne sur l'importance des études. C'est donc le silence qu'elle lui offre, et une expression d'indifférence butée. «
Je ne comprend pas, Miss. J'ai vérifié les archives, vous aviez de très bonnes notes en première année. » Il l'observe et elle comprend soudain qu'il s'attend à ce qu'elle donne des explications, qu'elle se justifie sur la raison de ce brutal changement dans ses notes. Avec un simple haussement d'épaules, elle feint la nonchalance mais songe brièvement à ses parents et à la déception qu'ils ressentiraient s'ils étaient encore en vie. Sa pauvre mère, qui la rêvait à son tour Juge au magenmagot.
Quelle importance, à présent ? Ils ne sont pas là pour assister à ce qu'elle fait de sa vie, ou plutôt, ce qu'elle refuse de faire. «
S'il y a quelque chose dont vous voulez me parler, revenez me voir. Je ne suis pas aveugle, Miss, je sais que vous avez du potentiel et que vous êtes en train de le gâcher. » Le discret hochement de tête qu'elle lui accorde n'est là que pour clore la discussion si vite que possible. Déjà elle s'empresse de tourner les talons, chassant le sujet de son esprit.
Plus personne ne peut lui dire quoi faire, pas même un professeur.
✦✦✦
La grande porte de la bâtisse grince en s'ouvrant, laissant passer les deux cadets hésitants. Ils ont pris cette décision ensemble, tous deux pressés de rentrer
chez eux. Mais les lieux prennent des airs de manoir hanté, les meubles couverts de draps et l'air imprégné d'une odeur de renfermé.
Jezebel se rapproche légèrement d'Ezechiel, et pour se rassurer, glisse sa main dans la sienne. Quand il a annoncé qu'ils pourraient revenir ici s'ils le voulaient, à présent qu'il était majeur, elle s'était réjouie. Sa tante était ennuyeuse, et ces murs entre lesquels elle avait grandi lui manquaient cruellement. À présent, le doute la saisit. Elle jette des regards angoissés à la porte du petit salon, comme dans l'attente qu'un monstre s'en échappe soudainement.
Ezechiel se rend compte de son comportement et sert sa main avec douceur. «
Tu veux qu'on la scelle ? » Jez lève des yeux presque suppliants puis hoche le menton une fois. Son frère sort sa baguette, vise le battant et murmure : «
Colloportus. » La porte émet un bruit sinistre en se verrouillant, et un étrange soulagement envahit alors la cadette.
À présent, ne reste qu'à faire disparaître le placard de sa chambre - et peut-être qu'un jour, le souvenir de la mort serait chassé d'ici pour de bon.
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La nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre, et les murmures ont repris pour scander une toute autre chanson : les parents Avery étaient des mangemorts, l'enquête l'a prouvé. Ils ont certes été assassinés il y a maintenant deux ans, mais ils n'en étaient pas moins des monstres et auraient sûrement pris part à la Grande bataille s'ils n'avaient pas rencontré ce destin funèbre.
Les regards, déjà méfiants, se font à présent accusateurs. Elle et Ezechiel ne peuvent plus traverser un couloir de Poudlard sans le remarquer. Un professeur les a d'ailleurs convoqué, pour leur demander d'éviter les esclandres et leur assurer que tout ceci finirait par se calmer, une fois que la masse des élèves aurait trouvé un autre sujet de discussion.
Mais un jour, un mot de trop, et Jezebel craque. Une idiote d'élève plus âgée la prend à parti au milieu d'un couloir, flanquée de deux acolytes. «
Eh, toi ! La fille Avery ! T'as pas honte ? D'abord ton frère, et maintenant tes parents ? Qu'est-ce qui nous dit que vous êtes pas tous des tueurs dans cette famille ? » L'autre la pousse et elle recule, sous le choc. «
Ma cousine est morte par leur faute ! C'est pas normal que vous soyez pas tous à Azkaban ! » La gamine sert les dents, tentée de répliquer avec les poings, mais elle résiste... et ne trouve rien de mieux que de provoquer l'autre. «
Tu dis ça parce que t'as peur d'être la prochaine, parce que t'es impure ! » Elle n'en sait rien, en vérité : elle ne connaît pas le statut de sang de tous les élèves, et contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer, elle n'y prête pas tant attention.
Sauf quand la colère l'y pousse, sauf quand on s'attaque à ce qu'elle est et ce que ses parents étaient. Le visage de l'autre se déforme de rage et elle tente d'attraper Jez par le col, mais celle-ci glisse entre ses doigts et s'enfuit en courant, sachant bien que ses chances sont maigres face à trois gamines plus âgées.
Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Déjà elle a un plan en tête, une vengeance sur le bout de la langue. Plusieurs semaines passent avant qu'elle n'arrive à l'attaquer par surprise et seule, à lui jeter de dos un mesquin sortilège qui l'envoie rouler dans les escaliers de la tour. De nouveau, elle prend ses jambes à son cou. Ce n'est pas de la lâcheté mais de la ruse, estime-t-elle.
Quand elle l'aperçoit à l'infirmerie, sa satisfaction est brutale et délicieuse, lui réchauffe les entrailles d'une manière inédite. Le plaisir se mélange à l'inquiétude d'être renvoyée. La victime l'accuse même sans l'avoir vu, mais aucune preuve n'est trouvée. Très vite, ce n'est plus qu'une rumeur, un soupçon qui plane au dessus d'elle et s'ajoute aux murmures.
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Leur tante est la seule de la tablée à montrer une joie presque excessive. Elle s'exclame sur la qualité des plats préparés par l'elfe de maison pour ce fabuleux repas de Noël, prétendant avec brio qu'il s'agit d'une famille normale. Ils ne sont pourtant que quatre autour de la table. Jez, ses deux frères et leur tante. En face de Jezebel, Nathaniel sourit parfois aussi, ce qui a le don d'énerver la cadette.
Comment peut-il prétendre que tout va bien ? Elle sait qu'il a commencé ses recherches sur le coupable, qu'il est encore persuadé qu'Ares les a tué. La veille, elle l'a entendu en parler avec leur tante. Les mots lui trottent dans la tête, la font bouillir de colère. Les épaules avachies, elle fait tourner sa cuillère dans ce qu'il reste de la bûche à présent fondue, dans laquelle un minuscule père noël nage joyeusement. Ridicules, ces décorations magiques.
Elle a toujours trouvé les repas dans ce genre ennuyeux, préférant faire du patin à glace avec maman et manger des marrons chauds au marché de Noël du Chemin de traverse. Déjà, elle a tâché la belle chemise que Nathaniel l'a forcé à porter pour l'occasion. Une robe aurait été plus adéquate, mais quand il a soulevé l'idée, Jez a hurlé si fort qu'il a cru perdre ses tympans et a abandonné aussitôt.
Tout à coup, les émotions qui pourrissent en elle ne sont plus supportables. Un mot de trop, un faux sourire qui la fait exploser sans préavis. Elle se lève brusquement, sa chaise basculant. «
TAIS-TOI ! » Tous restent interdits, la fixant avec étonnement, Nathaniel le premier. «
Tu crois vraiment que ça sert à quelque chose, ton enquête ? C'est pas Ares qui les a tué ! De toute façon, qu'est-ce que ça peut te faire ? PAPA ET MAMAN TE DETESTAIENT ! » Elle se tait abruptement, réalisant la violence de ses propos, et fuit la salle à manger en claquant la porte derrière elle.
D'un geste de la baguette, elle verrouille sa chambre et s'effondre dans un coin, secouée d’incontrôlables sanglots. Le monde est injuste, les gens sont idiots. Elle tape du poing contre le sol, les larmes roulant sur ses joues jusqu'à ce que la tempête finisse de se déchaîner, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau dans ses yeux et plus que le vide dans son ventre. Un creux énorme, que rien n'a su combler.
Elle se lève en trébuchant, s'approche de sa buanderie et la fouille jusqu'à en extirper une vieille boite en carton. La robe a pris une légère odeur de moisissure, mais le bleu pâle est intact ; la dentelle également, sur les manches et le col. Elle est toujours beaucoup trop grande pour elle, bien que pas autant que le jour où elle a demandé à sa mère si elle pouvait la porter. «
Plus tard, ma princesse. C'est promis. » Elle lui avait appartenu, et on pouvait remarquer les légères traces d'usure par endroits ; mais Jezebel n'y tenait pas moins, et quand les affaires de leurs parents étaient parties à la cave dans d'immenses caisses, c'est tout ce qu'elle avait récupéré. Une robe trop grande, à la promesse caduque. Elle l'enfile quand même puis s'approche du grand miroir dans le coin de sa chambre.
Ridicule. Elle n'a rien d'une dame, Jez. Ses cheveux sont fous, leurs boucles dansant dans son dos et devant ses yeux. Elle n'a pas encore le corps d'une femme, et pas du tout la posture d'une dame. Sa mère le lui aurait apprise, si elle était encore de ce monde. D'un geste rageur, elle retire le bel habit et le jette plus loin, puis attrape sur son bureau une paire de ciseaux.
Les mèches brunes rejoignent la robe au sol, par dizaines, jusqu'à être satisfaite lorsqu'elle se regarde dans la glace : elle ressemble à un garçon. C'est ce qu'elle aurait dû être, pour pouvoir rendre ses parents fiers. Peut-être seraient-ils encore en vie, ou au moins le coupable croupirait-il en prison, si elle avait eut les qualités d'un garçon. Le courage, la force. Non, Jezebel n'a rien d'un garçon, rien si ce n'est les grots mots qu'elle commence à apprendre, les grimaces qu'elle fait aux professeurs.
Ridicule, voilà ce qu'elle est.
Mais à 13 ans, il est encore temps de changer, non ?
✦✦✦
A,
Tu me manques tellement. Il y a que toi qui me comprenne. Ezechiel est de plus en plus ennuyeux, il arrête pas de parler des cours, de réussir dans la vie. Il ressemble à Nathaniel à force. J'aimerais que tu reviennes à la maison, même si je sais que c'est pas possible. Et t'es un peu trop grand pour ça je suppose. Mais j'en ai marre, et je trouve ça injuste de ne pas connaître ma nièce. Je t'envoie des chocogrenouilles pour elle, je sais que c'est pas facile d'en trouver dans ta situation.
Les prof m'énervent, avec leurs grands discours. Toi au moins, t'essayes pas de décider à ma place. Je suis sûre que face à toi, ils seraient morts de trouille, ces imbéciles. Comme les élèves qui croient qu'ils peuvent mal me parler sans conséquences. Je comprend de mieux en mieux ce que papa voulait dire sur les impurs. Ce sont des vautours, ils ont rien d'autre à faire que de profiter de nos malheurs. Je sais que c'est l'un d'entre eux qu'a tué papa et maman, un phœnix. Un jour, je trouverai qui, et je lui ferai payer. J'aimerais que tu sois là pour m'apprendre, tu sais. J'ai un peu l'impression de me répéter à chacune de nos lettres, mais ça me ronge de l'intérieur. Ensemble, on serait plus forts. Je voudrais devenir aussi puissante que toi, aussi déterminée.
Je m'ennuie à mourir dans cette école, avec ces gens. J'aimerais déjà que tout ça soit terminé. Je sais que tu veux pas que je m'enfuis avec toi, mais c'est ma seule envie. Au moins, toi, tu es libre.
Prends soin de toi et de la petite. Je vous aime fort.
J.