Costa Rica. Ta mère qui te tient la main. Ses yeux émerveillés qui observent l'univers qui l'entoure. La vie dont elle a toujours rêvé. L'aventure. Loin des ténèbres qui entouraient sa famille. Ton père qui saute de pierre en pierre, le visage apaisé. Son sourire heureux qui photographie toutes les bêtes qu'il a déjà vu cent fois. Ces petites créatures presque impossibles à voir si l'on ne se concentre pas. Tu marches, essayant de ne pas écraser le monde fantastique qui se trouve sous tes pieds. Ton regard émerveillé devant tant de magie. Tu n'as que onze ans mais tu as déjà l'impression d'avoir vu le monde entier. D'avoir vu ses merveilles les plus incroyables. Mais pourtant tu n'as encore rien découvert. Complètement rien. «
Alors Bebe contente d'avoir reçu ta lettre pour Poudlard ? » te demande ton père entre deux clichés, l'esprit presque ailleurs. «
Oui tu dois être impatiente ! » continues ta mère ». Tu hausses les épaules. Pas vraiment ravie. Ce que tu aimes toi, c'est découvrir le monde de tes propres yeux. Tu as toujours été ennuyé par les livres. Tu aimes tenir tes propres carnets de bord. Explorer, renouveler tout ce qui a été dit. Bien que du haut de tes onze ans tu n'es pas fait grand chose. Au fond Poudlard t'effraye. Tu n'es pas habituée à avoir des amis. Ta mère t'a bien donné des conseils : comme être toujours souriante, bienveillante et attentionnée. Tu arrives à être douce avec les animaux. Tu en as des centaines chez toi. Mais quand il s'agit d'humains, tu perds tous tes moyens. Ta timidité prend le dessus et tu ne fais que dire « oui » sans réellement comprendre ce que dit la personne. Tu es certaine que tu ne trouveras jamais la liberté que tu as dans les voyages de tes parents, à Poudlard.
Tu entends la porte claquée. Ton père et toi vous retournez au même instant. Ta mère est en larmes. Effondrée. Tu sens que ça n'a pas marché. Tu n'oses te lever, laissant ton père la prendre dans ses bras. Tu te souviens de son regard angoissé, de ses paroles stressées, à l'idée de revoir ceux qu'elle n'avait pas vu depuis des années. Ton père l'avait poussé à faire ce qu'elle voulait tant de temps. Tenter de se réconcilier avec ceux qu'elle aimait. Sa famille. Tu ne savais pas bien grand chose. Tu avais simplement compris que ta mère avait privilégié l'amour à l'honneur de la famille. Qu'elle faisait partie de cette lignée des Sheperd, la pureté du sang si étroitement liée à la magie noire. Elle voulait s'éloigner de ces ténèbres. Vivre selon ses envies. Vivre auprès de l'homme qu'elle a aimé dès le premier regard. Même s'il était un peu niais avec ses chaussettes montantes jaunes, même s'il ne savait pas laver les vitres sans en casser une, même s'il n'était pas un sang-pur. Ton père n'avait aucune noblesse. Il ne faisait pas parti de ces sorciers marqués par la magie depuis des générations. Il ne faisait pas parti de l'élite. Il était la tâche au tableau. «
Jamais je ne les retrouverais » et tu compris que jamais tu ne connaîtras tes grands-parents, tes oncles, tes cousines. Jamais tu n'auras de repas de famille. Parce qu'elle était reniée, officiellement effacée de l'arbre généalogique comme si elle n'avait jamais existé.
Vous êtes à la volière. Il t'observe donner la lettre à ton jeune hibou, Phil. Cet hibou qui n'était encore qu'un enfant lorsque tu l'as adopté. Tu es tombée amoureuse de sa petite taille qui ne changera jamais. De son gris sombre, de ses tâches marrons qui le rend imparfait. Tandis que Conan te regarde, toi tu n'as de yeux que pour Phil qui s'envole, toujours avec maladresse. Il te ressemble un peu. Peut-être trop. Mais l'on dit que les humains et leurs animaux sont les mêmes. Tu le crois. Tu sens qu'il t'influence comme tu l'influence. Alors que ce n'est qu'une petite bête. Tu t'assois sur un banc, légère. Conan prend appui sur le mur. Il te dévisage encore. Cela commence à t’agacer. Tu n'aimes pas ça. «
Quoi ? Tu vas encore me sermonner ? » Il rigole. Tu lèves les yeux vers lui. Il est encore plus grand, plus fort. Ça t’insupportes encore plus. Tu aimerais grandir toi aussi. Tu aimerais aussi avoir des muscles. Plus puissante. «
Je le ferais jusqu'à ce que tu arrêtes Berttie » lance-t-il entre la taquinerie et la menace. Il ne peut s'empêcher de jouer avec toi. Mais il ne peut s'empêcher d'être furieux contre toi non plus. C'est un Gryffondor après tout. Préfet-en-chef en plus de ça. 'Je me dois de maintenir la bataille contre les Serpentard' – tu l'imites dans ta tête. Tu sais qu'il voit ça comme une trahison. Que pour lui, toutes les maisons, toutes les âmes de ce château devrait se liguer contre ces Serpentard. Tu ne comprends pas. Il dit que c'est la tradition. «
C'était de l'entraide Conan. De l'entraide. » tu te justifies encore. Mais tes paroles, les mêmes, il les a déjà entendu une centaine de fois depuis deux jours. Depuis qu'il a sut que tu avais aidé dans un travail un Serpentard de ton cours. Depuis que tu as croisé son regard dans la bibliothèque. «
Il se sert de toi ! Bientôt il va te demander de lui faire ses devoirs ! » Conan monte le ton rapidement. Tu es fatiguée de t'expliquer, c'est une tête de mule. «
Il est différent. » balances-tu dans un dernier soupire. Conan parle mais tu ne l'écoutes plus. Tu es ailleurs, loin de ses remarques assourdissantes. 'Il faut que tu te forges ton caractère' 'Tu es beaucoup trop gentille'. Pas assez ferme, oui tu le sais. Mais tu avais vu assez de méchanceté dans ta vie. Tu avais vu ta mère se faire rejeter par sa famille. Tu avais vu son propre frère lui dire qu'elle n'était plus rien. Tu ne veux pas d'un monde comme ça. Peut-être trop tolérante -- «
tu es trop naïve » Il te coupe dans tes pensées. Tu détestes qu'on dise de toi que tu es naïve. Ce n'est qu'un prétexte pour les personnes qui ne veulent pas voir leur propre vice. Alors tu te lèves, et d'un seul bond tu le frappes au visage. Une faible claque qui ne laissera aucune marque. Il se moque de toi, encore. Il ne te lâche jamais Conan. Et tu le détestes encore plus.
«
Berttie écoute moins. Juste cette fois » tu le regardes de tes yeux féroces. Non tu ne l'écouteras pas. Non tu ne feras pas ce qu'il dit, peu importe les arguments. Tu entends les cris. Il y a quelques rires. L'instant est particulier. A la fois morbide et ironique. «
Je ne vais pas rester là ! » tu ripostes. De ta petite voix qui le fait habituellement rire. Mais il ne rit pas Conan. Non. C'est certainement la première fois que tu le vois aussi sérieux. Tu sais que tu ne devrais pas prendre ses paroles à la légère mais tes principes te poussent à être sourde. Il y a cette guerre, qui te file sous les yeux et tu es là à ne rien faire. Tu ne veux pas être comme certains de tes camarades à attendre que les autres se battent pour toi. Alors oui tu es peut-être encore jeune, tu ne connais quasiment aucun sortilège qui te permet réellement d'attaquer ni même de te défendre. Mais tu ne veux juste pas. Il y a Nils qui t'attend près de la porte, qui attend que tu rejoignes les autres à l'abri. Conan qui te pousse à y aller. «
S'il te plaît.. Je veux te savoir en sécurité » il grince des dents. Le temps presse. Nils vous dit de vous dépêchez. Mais tu es là, accroché au poignet du Gryffondor. Ses yeux de lion à demi clos. «
Personne n'est en sécurité nul part ici » tu réponds sèchement. Tu veux aussi lui montrer que tu es bien plus forte qu'il ne le pense. Tu n'es pas seulement la petite Berttie qui va dans la forêt interdite s'isoler avec les animaux, pas la frêle Berttie qui a du mal à monter sur un balais. «
Je reviens vite » il te sort en se levant, se détachant de ton emprise. Tu le suis mais il te pousse, trop forte que tu en tombes. «
Je.. Berttie.. » il se mord la lèvre, prêt à laisser filer quelques mots. Mais il ne le fait pas. Il ne le fait pas parce que c'est tabou entre vous, parce que tu n'es qu'une petite sœur aux yeux des autres élèves. Parce que tu es la petite Berttie et rien d'autre. Malgré lui.
(...) Le silence. Personne ne se regarde. Un malaise profond. La joie de vaincre n'est pas présente. Il ne peut y avoir de joie. Tu marches, baguette à la main. Non satisfaite d'avoir tenté de participer non frustrée d'avoir tenté. Tu rejoins une amie à toi qui est posée près d'un corps. Essayer d'épauler les autre. Leur dire qu'il n'y a que flou entre la vie et la mort, que la fin peut être le début et l'inverse. Essayer. Tu t'approches doucement, sans faire de bruit. Tu ne veux pas déranger. Juste lui dire que tu es là, pour elle au cas où. Lorsqu'elle sent ta présence elle lève la tête les larmes aux yeux. «
Je suis désolée Berttie.. Je, je n'ai pas su le protéger » Tu fronces les sourcils. «
Ce n'est.. » –
rien mais lorsque tu poses ton regard sur le défunt en question aucun son ne sort de ta bouche. Et tu t'écroules, aux pieds de l'homme. Ta tête qui vient tomber sur le sol. Tu ne fais que ressasser vos dernières paroles. Il aurait dû rester avec toi. Il aurait dû garder son rôle d'ami surprotecteur. Il aurait dû assumer rôle de grand-frère qu'il n'a jamais vraiment été, sinon ton amant.
Tu avances dans la salle. Encore en pyjama. Ton père t'a préparé ton déjeuner préféré. Un jus d'abricot, un thé aux épices. Des pâtes assaisonnés de piment et de fromage de chèvre. Des pancakes à la vanille. Tu fermes les yeux, profitant de l'odeur qui se dégage des plats. Installée sur le fauteuil, ton père ne met pas longtemps à te rejoindre. «
Merci.. » soupires-tu, un faible sourire aux lèvres. Encore un mal de tête. Il te caresse le crâne, les sourcils froncés. «
Tu as encore mal dormi Bebe ? » Il te surnomme ainsi. Tu aimes le son des syllabes. Sa voix qui se pose sur ce mot tendre. Tu hoches de la tête, incapable de répondre à ses questions. «
Je peux te faire un bain d'huile de menthe ce soir tu sais. Je suis sûre que.. » -- «
Non papa. Ça va aller. » Il haussa des épaules, insatisfait de ta réponse. Mais il savait qu'il ne pouvait pas plus soutirer de toi. Il savait que si tu avais besoin de parler tu viendrais par toi-même. Toi qui ne fait qu'écouter sans jamais te confier.
(…) Les minutes passent et tu n'as encore touché à aucun des mets préparés. Tu mords ta lèvre. Tu es fatiguée. Les mêmes paroles qui continuent de tourner en rond. Quitte à entendre des voix tu aimerais qu'elles se diversifient. Tu te sens piégée, dans des questionnements encore douloureux. Tu te sens encore trop jeune pour affronter ce genre de sentiment. Tu as seize ans et tu sais que tu es en plein de l'âge des réflexions. En pleine contradiction avec toi même. «
Conan disait que j'étais trop naïve » tu t'exprimes enfin. Ton père lève la tête de ses carnets. Surprit par tes paroles. «
Et bien, ce n'est pas un défaut Berttie » il marque une pause, cherchant les bons mots pour te rassurer «
on a parfois un peu besoin de naïveté pour être heureux tu sais ». Tu soupires, pas certaine que sa réponse résolve réellement tes problèmes. «
Et si je faisais comme les autres ? Que je pensais un peu à moi ? » Il se lève à nouveau, s'approchant encore de toi. Vous n'êtes jamais loin. Toujours tu es dans ses bras. «
Tu ne penses pas assez à toi ? » presque surprit par tes confessions, tu sais que ça le met mal à l'aise. «
Conan disait que l'égoïsme n'était pas un défaut. » Ton père lâche un petit rire. Il se revoit à ton âge. Aidant les autres en oubliant de faire ses propres devoirs. Rassurant ses amis en oubliant qu'il pouvait également avoir des histoires à raconter. «
Non ce ne l'est pas. » Tu lèves les yeux au ciel. Au final ton père ne t'a aidé en rien. «
J'aimerais écouter une fois pour toute les conseils de Conan. En souvenir. Je lui dois bien ça » conclus-tu en partant du canapé. Tu voudrais que ton ami défunt soit fier de toi. Qu'il voit cette jeune blonde pousser, dépasser ses limites. Tu voudrais être courageuse comme ta mère. Tu voudrais avoir plus de répondant. Tu voudrais être quelqu'un d'autre. En fait.