Life is strange ✘ Lyra.

Chopin ~ Etude Op 25

Quatorze heures avait été donné comme horaire de rendez-vous. Le russe regrettait déjà quelque peu de s'atteler si tôt à la tâche, après avoir englouti un bon déjeuner : non pas qu'il redoutait de somnoler au sein de la bibliothèque, mais des symptômes étranges l'assaillaient dès lors qu'il s'approchait de Lyra Yaxley. Cela avait commencé avec des migraines légères ; néanmoins le russe, du fait de sa forte constitution, était passé outre sans s'en soucier d'avantage. Il avait laissé sur le compte de ses maux de tête une fâcheuse habitude de passer quelques nuits blanches afin de travailler son don de nécromancie. Mais au fil du temps lesdits symptômes avaient redoublés : les migraines étaient devenues plus soutenues, les tempes sourdes battaient la pulse d'un cœur malade jusqu'à la nausée. Yuri avait d'abord pensé au parfum de la jeune fille avant de se raviser : Lyra portait sur elle des effluves légères et douces, jamais écoeurantes. Puis il avait songé à la nourriture anglaise ; ce qui l'eut néanmoins fort étonné car le jeune russe raffolait de leurs tourtes à la viande. Ni intoxication alimentaire, ni incompatibilité culinaire ne put répondre à ses interrogations. Ce que Yuri pouvait encore affirmer avec certitude, c'était encore l'amplification de ses symptômes tel une partition en allegro. Pour autant Dragoslav affectionnait particulièrement la jeune Yaxley ; tous deux s'étaient improvisés camarades d'études, prompts à se donner quelques coups de main et à se perfectionner. Ainsi pouvait-il se targuer d'avoir de bonnes notes et de voir leurs niveaux s'élever peu à peu. Le jeune russe tournait encore quelques phrases dans un anglais approximatif (ce qui déclenchait souvent des rires amusés entre les deux jeunes gens), mais il avait vu sa plume progresser en compagnie de Lyra. Seul subsistait ce problème étrange dont il n'aurait pu établir la source, ne sachant comment en référer à sa camarade sans paraître indélicat. « Yuri ? » Une voix féminine, autre que celle qu'il put attendre, éclata sa bulle léthargique. Le concerné leva les yeux vers une demoiselle aux yeux émeraude, une chevelure rousse ondulant sur ses épaules. Là d'où il venait, l'éclat rubescent des cheveux demeurait aussi rare que fascinant. « Ca te dirait d'aller boire un verre à Pré-au-Lard après les cours ? » Dans sa gêne délicate colorant ses joues de pourpre, la jeune fille se précipita : «  Je sais qu'on ne se connaît pas, ça vient un peu comme un cheveu sur la soupe mais... » « Tu veux aussi aller dîner ? » s'étonna gentiment le concerné, prenant au mot l'expression de la jeune anglaise. Celle-ci, touchée par l'ingénuité du slave, eut un rire cristallin : « Non c'est juste une expression qui veut dire que c'est peut-être un peu... rapide. » « Non. Ca me va. » Sourire de connivence, la demoiselle esquissa un sourire ravi avant de lui décliner l'heure et de tourner les talons.

Dores et déjà se dressa au loin la longiligne silhouette de sa compagne d'étude ; peu enclin à extirper des mots de sa bouche, Yuri l'interpella d'un signe de la main. Et comme elle prit place auprès de lui, le jeune homme se sentit soudain pâlir, retenant avec politesse un haut le cœur lui enserrant le myocarde. Pour palier à son attitude étrange, Dragoslav envisagea d'attaquer sur un autre sujet : « J'ai un rendez-vous ce soir, après cours. » Bref sourire complice. Le mot qu'il eut mangé dans sa tirade manifestait ses notions encore hésitantes en anglais, polies par un fort accent russe qu'il tentait par tous les moyens de gommer.

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Back to the ordinary

La vie est faite de mystères, de connexions, de rapports plus ou moins conflictuels mais surtout de décisions. Certaines sont prises dans de mauvaises circonstances. Mais quand on ne peut revenir en arrière, on ne doit se préoccuper que de la meilleure façon d'aller de l'avant. Toutes les décisions que Lyra avaient prises jusqu'à maintenant, elle ne les regrettait pas. La vie était belle et valait la peine d'être vécue, et elle s'évertuait à penser qu'elle avait une belle vie. Bien plus belle que certains élèves de Durmstrang, rongés par la tristesse et le mal. Mais depuis quelques mois, la jeune femme avait de plus en plus de mal à penser qu'elle vivait bien. Elle n'arrêtait pas de tourner dans sa tête les choses qui avaient changées. Orion. Évidemment, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser à lui. Lui qu'elle avait longtemps rejetée, et qui l'évitait maintenant. Elle se demandait ce qu'il avait pu penser quand elle lui avait annoncé sa grossesse. Il ne lui avait même pas accordé un regard, s'en était allé, comme si elle ne représentait rien pour lui. Ça faisait mal, mais c'était bien fait. Elle le méritait, après tout ce qu'elle lui avait fait subir. Alors, elle n'était plus l'ombre qu'elle-même. Elle séchait quelques cours, elle ne parlait plus à grand monde. Elle qui avait été la meilleure élève de sa classe six fois de suite, elle était désormais invisible. Pourtant, elle continuait à essayer de se raccrocher à la vie, de se réfugier dans le travail.

Cette après-midi là, Lyra avait rendez-vous avec un jeune slave pour une séance de travail.  Yuri était quelqu'un de très sympathique, qu'elle avait appris à connaître au début de l'année, parce qu'ils partageaient un cours en commun. Il ne ressemblait pas aux slaves imbus d'eux-mêmes, qui ne cessaient de lui donner envie de vomir. Ou peut-être était-ce la grossesse ? Elle en connaissait certains, des slaves, notamment Teodor Azarov. Ce jeune garçon qu'elle avait rencontré lors du Tournoi des Trois Sorciers, avec qui ils avaient tissés une belle amitié, et qui avait tout rompu, du jour au lendemain. Depuis, elle avait l'impression que leur faire confiance relevait du miracle. Mais avec Yuri, c'était différent, c'était presque simple. Ils s'entraidaient sur certains points, formaient un très bon binôme de travail, et cela suffisait. Lyra ne le connaissait pas en profondeur, mais à chaque fois qu'ils se voyaient, les séances étaient agréables, c'était pour cela qu'elle avait décidé de ne pas les arrêter. Il ne fallait pas non plus qu'elle se coupe du monde. Et au moins, lui ne faisait jamais aucune allusion à son père mangemort. Quand elle arriva à la bibliothèque, elle devina tout de suite où il s'était installé, alors qu'une jeune fille venait de lui adresser quelques mots. Elle était plutôt jolie. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de la Serdaigle, et elle le rejoignit alors qu'il lui faisait signe de la main. Quand elle s'installa, toujours souriante, elle remarqua qu'il la regardait étrangement, comme si elle dégageait une mauvaise odeur. Elle sentit rapidement ses cheveux, elle les avait pourtant lavé ce matin, mais le gène ne pouvait pas venir de là. Elle essaya de passer outre, et Yuri entama la conversation alors qu'elle sortait ses parchemins. « J'ai un rendez-vous ce soir, après cours. » Lyra trouva que c'était une excellente nouvelle. Elle le corrigea gentiment toutefois « Après les cours. » Après tout, cela ne l'étonnait pas tant que ça. Yuri avait un charme fou, il était très attirant, et il devait avoir fait chavirer le cœur de plusieurs filles. Elle pensa aussitôt à son propre cœur, qu'elle avait noyé pour Orion. Leur premier rendez-vous, leur premier baiser... Elle secoua la tête et lança à son camarade : « Félicitations ! Elle est chanceuse ! Tu sais déjà où vous allez aller ? » Pré-au-Lard était parfait pour les rendez-vous, surtout en hiver où la neige recouvrait les toits. « Tu t'habitues bien à Poudlard alors ? Je t'ai préparé quelques feuilles d'exercices. » Lyra était plutôt d'humeur bavarde aujourd'hui, elle tendit les feuilles à Yuri, attendant de voir sa réaction.

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Chopin ~ Etude Op 25

Le regard qu'il adressa à Lyra, habituellement appuyé d'une forme de sincérité, se faisait aujourd'hui fuyant. Le jeune slave ne parvenait guère à la toiser trop longuement de par la gêne occasionnée par ce parfum étrange dont il ne put en deviner la source. Curieux par ailleurs, que Yuri ne soit autant incommodé par quelques effluves qui, au demeurant, ne semblaient déranger nul autre que lui. Lyra était pourtant la même qu'avant : bien apprêtée, le cheveu jamais hirsute et cette note de cerise narguant son cou de cygne. Dérangé par sa propre attitude – quelques gestes nerveux trahissaient son incommodation malheureuse – Yuri préférait ne poser sur elle son regard que pour quelques secondes, de crainte qu'elle ne devine chez lui un trouble palpable. Après tout, le malaise ne venait peut-être que de lui. Ainsi l'écouta-t-il le corriger, approuvant d'un signe de tête comme il sortait à son tour le reste de ses effets personnels.  « Félicitations ! Elle est chanceuse ! Tu sais déjà où vous allez aller ? » Léger haussement d'épaules trahissant non pas l'indifférence mais une certaine marque d'incompréhension : « Je n'en sais trop rien, elle m'a parlé de soupe... » Quelles coutumes étranges dans ce pays. Décidément, le Royaume-Uni et ses citoyens n'auraient eu de cesse de le surprendre. En dehors de leurs goûts culinaires particuliers, il décelait chez eux une forme de sympathie qui n'existait pas chez les pays de l'Est : là d'où il venait, les quidams étaient bien plus froids, presque méfiants envers les étrangers. Ici et sans entrer pour autant dans l'altruisme pur, les amitiés semblaient plus aisées à lier. Preuve en était de Yuri et Lyra, laquelle n'avait pas tant interpellé le slave malgré un patronyme dont il en avait bien sûr déjà entendu parler. A dire vrai, Dragoslav ne se sentait (pour le moment) guère concerné par la tragédie ayant confronté les sorciers lambdas aux mangemorts. Anatoly hantant ses pensées, il n'avait su y réfléchir à tête reposée, ni même ne l'avait voulu de toute évidence. « Tu t'habitues bien à Poudlard alors ? Je t'ai préparé quelques feuilles d'exercices. » Hochement de tête pour toute réponse, Yuri manifestait comme à son accoutumée son amour pour le mutisme soudain. Guère très bavard, on lui imputait parfois une certaine forme de condescendance  alors que le garçon était simplement de nature taciturne. Toutefois et après quelques secondes silencieuses, Yuri esquissa un bref sourire moqueur sans pour autant jamais toiser son vis-à-vis, préférant lesdites feuilles qu'elle lui tendit. « Ce sont des exercices d'il y a deux semaines ? Parce que dernièrement, tu manques beaucoup cours. » Raclement de gorge, prémices d'une gêne liée à son anglais mal assuré. « De cours. »

Et le jeune homme de passer une main dans ses cheveux puis sur son front. Il enroulait ses épaules, déliait sa nuque, s'agitant ainsi comme s'il allait courir un marathon malgré l'accalmie des lieux. C'est que l'odeur étrange (qu'il ne sut par ailleurs décrire, mais qui lui donnait quelques nausées) l'incommodait de plus en plus et qu'il ne sut comment y réagir. S'il était aisé de mentir à Lyra en lui affirmant qu'il était malade, Yuri avait pour autant conscience qu'il ne pouvait user de cette ruse trop souvent. Ainsi préféra-t-il dévier le sujet, poussant un soupir de malaise qu'il ne sut hélas retenir. « Je ne suis pas ton père, mais c'est dommage pour une bonne élève comme toi. Quelque chose est faux ? » Traduction mot à mot d'un 'something's wrong ?' que Yuri ne sut transcrire. Pour autant la lueur d'amitié lustrant sa cornée manifestait son réel intérêt pour elle, pour ce qui semblait ne plus aller correctement dans sa vie.

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Il était calme, comme les arbres dehors. L'hiver serait bientôt terminé, la neige allait fondre et le paysage quitterait son manteau froid pour laisser place à plus de couleurs, plus de chaleur. Lyra aimait le printemps habituellement. Elle aimait particulièrement traîner dans le parc de l'école pendant des heures, étudier sous les arbres, près du lac, se balader à l'orée de la Forêt Interdite. Tout cela lui plaisait énormément, et il y a quelques mois, elle aurait eu hâte d'être si proche de la fin de l'hiver. Mais aujourd'hui, elle n'arrivait pas à se réjouir du changement de saison. Elle savait que pour l'instant, elle ne pouvait vivre qu'au jour le jour. Elle ne pouvait pas faire de projets, pas sans Orion. Il fallait simplement qu'elle attende. Finalement, Yuri rompit le silence, glissant ses doigts sur le parchemin qu'elle venait de lui donner. « Ce sont des exercices d'il y a deux semaines ? Parce que dernièrement, tu manques beaucoup cours. » Il avait un petit sourire, mais au fond, elle savait qu'il devait s'inquiéter, comme tout le monde. Comme Mila, sa meilleure amie. Elle allait le corriger sur la prononciation, mais il le fit lui-même et elle hocha la tête, satisfaite. Il faisait beaucoup de progrès, elle en connaissait qui avait beaucoup moins de facilité à parler couramment anglais. Mais elle ne répondit pas tout de suite. Que pouvait-elle lui donner comme excuse ? Était-ce juste de lui mentir, alors qu'elle n'avait aucune raison de le faire. Mais personne n'était au courant, sauf Orion, et Mila. Dans les élèves autour d'elle, personne ne se doutait de la raison de ses absences. Et il fallait que cela reste ainsi. Mais parfois, Lyra avait envie que tout le monde sache, pour enfin être tranquille, pour ne plus avoir à mentir. Évidemment, elle savait que c'était une très mauvaise idée, cela ne ferait qu'attiser les rumeurs à son sujet, et il y en avait déjà assez. « La fille du Mangemort », « celle qui se tape un prof », toutes sortes de choses courent à son sujet, elle ne veut pas aggraver son cas. Elle préférait encore quand on l'appelait Miss-Je-Sais-Tout. Alors elle a décidé de ne pas répondre.

Elle regarde avec insistance les feuilles d'exercice pour pousser Yuri à s'en occuper, mais il insiste. Même si il la fuit du regard depuis le début, il semble vouloir lui tirer les vers du nez. « Je ne suis pas ton père, mais c'est dommage pour une bonne élève comme toi. Quelque chose est faux ? » Elle ne pense même pas à le corriger. Soudain, elle sent l'émotion la submerger. Elle sent au fond d'elle qu'elle ne peut pas fuir encore longtemps. Elle soupire. « Tout. » Il ne l'a sans doute pas entendu, tellement elle a parlé tout bas, mais elle essaye de se reprendre. Elle inspire profondément, le regarde dans les yeux, du moins essaye, car il ne cesse de l'éviter. Ses traits se crispent à chaque fois qu'il croise son regard. Alors elle sait comment échapper à la situation, aux questions permanentes de Yuri. « C'est plutôt à toi qu'il faut demander ça... Je n'ai pourtant pas de bombabouses sur moi ! » Elle se recule un peu de la table de travail. Elle ne veut pas faire éclater de disputes, mais les distances que prend Yuri ne lui plaisent pas. « Mes absences ne m'empêchent pas de rester au niveau de la classe, si tu veux tout savoir... » Elle est vexée la petite Serdaigle. Elle ne supporte pas qu'on puisse penser qu'elle sèche par plaisir. Elle ne le fait pas par choix. Bien au contraire.

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Chopin ~ Etude Op 25

Il avait cette vive conscience d'être quelque peu inclusif ; mettre son nez dans le parcours scolaire d'une tierce personne – laquelle était usuellement si assidue, par ailleurs – sans en chercher la cause mais en pointant seulement du doigt les conséquences. Yuri aurait du, sans doute, débuter son interrogatoire par un regard plus que des mots. Mais ses prunelles fuyant la gêne, cette incompréhension de ne pouvoir prendre place auprès de Lyra sans ressentir des hauts le cœur, rendaient la tâche impossible. Nombre de leurs camarades avaient vu la débandade de la jeune Yaxley d'un œil inquiet ; son absence brillait en cours, et l'on se demandait quelle vilaine fréquentation l'incitait à faire l'école buissonnière. Or, rien n'avait changé ; Lyra semblait toujours s'entourer des mêmes personnes, quoiqu'elle ourlait la lippe d'un sourire factice que peu parvenaient  à déceler. Yuri, trop habitué à la froideur russe et au franc parler incisif, n'avait guère remarqué le masque que portait sa jeune amie. Parfois, Yuri manquait de mots. Parfois de lucidité. « C'est plutôt à toi qu'il faut demander ça... Je n'ai pourtant pas de bombabouses sur moi ! » Mâchoire contrite et regard dur, Dragoslav sembla étrangler un grognement. Ce garçon calme d'apparence laissait pulser en lui une spontanéité parfois abrasive, un peu de lave dans ses veines, figée lorsqu'il prônait l'accalmie. Quelques palabres russes s'échappèrent de ses lèvres avant qu'il n'en traduise le sens, ses pupilles soudain braquées sur la concernée. « Je ne vois pas de quoi tu parles. » L'atmosphère jusque là sereine s'était glacée, cristallisée par l'agacement de Yuri d'avoir été ainsi découvert. Le jeune homme aurait préféré l'épargner de son indélicatesse, et voilà qu'elle la pointait du doigt en exigeant tacitement quelques explications. Lyra ne releva pas derechef, préférant prendre la défense de ses absences répétitives : « Mes absences ne m'empêchent pas de rester au niveau de la classe, si tu veux tout savoir... » « Arrête, ça n'a rien à voir avec ça. » Au loin, la demoiselle à la chevelure flavescente qui l'apostropha plus tôt, leur jetèrent un regard interrogatif. Yuri avait malgré lui levé son timbre d'un octave, ce qui put être perçu comme blasphématoire dans un lieu tel que celui-ci. Pour autant le russe estimait que son avis sur le sujet valait bien plus que des cacahuètes, et décida de poursuivre son laïus malgré les quelques regards tournés vers eux. « Si tu veux aller dans ce sens, alors quitte l'école. Puisque tu resteras toujours au même niveau. »

Conscient de sa réponse quelque peu directive, Yuri se rétracta aussitôt. Non par des paroles (de toutes évidences, le jeune homme était un piètre appui en la matière), mais par un soupir léger exprimant son regret. Le problème prédominent de Yuri n'était pas sa solitude ni la façon qu'il avait de parler avec les poings. Ce n'était pas non plus son obsession sinistre pour la mort et les cimetières, ni sa façon de se comporter parfois en connard égoïste. Non. Son problème, c'était les vivants. Et il y en avait partout. Incapable de communiquer correctement avec eux ; un mot toujours déplacé, un désintérêt total pour les conversations de bon ton. Il lui était difficile de demander à Lyra ce qui n'allait pas, et d'emprunter les chemins de la douceur malgré toute l'inquiétude qu'il ressentait en l'instant. « Malgré tout ce qui a pu t'arriver... » Pause de connivence ; Yuri était persuadé que quelque chose dans la vie de Lyra avait changé. « Tu es une bonne personne, et tu devrais te confier à tes amis. En Russie il y a un proverbe : 'Друзья познаются в беде'. 'On connaît mieux ses amis dans le malheur'. » Sans doute ne manquait-il plus que de porter un toast à la vodka  pour inciter la jeune fille à se confier et soulager ses maux, que ce soit à Yuri ou tout autre ami dont elle se sentait proche.

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Lyra regardait par la fenêtre. Imaginant le son des trompettes et des trombones. Le son d'une fanfare lointaine. La fanfare qui viendrait la sortir de ses songes, qui viendrait la réveiller et lui redonner le sourire, le goût de vivre. Elle détestait être dans cet état Lyra, parce qu'elle, elle avait toujours été forte. Elle avait voulu se sortir seule de ses soucis. Elle avait quitté les Yaxley, pour tourner la page, pour ne jamais leur ressembler. Elle était une battante, pleine d'énergie, pleine de jus, comme un pamplemousse. Mais elle avait perdue cet entrain depuis qu'Orion la fuyait. Elle méritait tout cela, elle le savait, mais elle n'arrivait pas à trouver d'alternative. Et elle détestait encore plus quand on lui rappelait sa situation. Plusieurs professeurs lui reprochaient ses absences, mais d'autres avaient été très compréhensifs. Certains lui avaient même envoyés quelques cours par hiboux, et elle leur était entièrement reconnaissante. Yuri, au lieu de répondre à son attaque, reprit le sujet concernant ses absences. « Si tu veux aller dans ce sens, alors quitte l'école. Puisque tu resteras toujours au même niveau. »  Elle ne comprenait pas ce qu'il lui prenait pour l'attaquer ainsi. Elle n'avait pourtant rien fait. Elle avait toujours été disponible pour lui, malgré la fatigue, malgré les hormones. Pourquoi était-il si irritable aujourd'hui ? Quelque chose clochait, et Lyra était bien décidée à savoir quoi. C'était une maniaque des mystères. Elle avait besoin de tout résoudre, de trouver la clé à tous les problèmes, et elle avait bien l'impression d'en être un pour le slave aujourd'hui. Il soupira, comme pour s'excuser, reconnaissant être allé trop loin. Mais ce n'était pas suffisant pour la jeune Serdaigle. Les choses devaient s'éclaircir.

Après quelques secondes, il reprit la parole : « Malgré tout ce qui a pu t'arriver... » Lyra ferma les yeux. Elle ne voulait pas revoir la guerre. Yuri devait certainement faire allusion à cela. La guerre a été pour elle un gouffre. Un gouffre dans lequel elle s'est enfoncée, attirée par une vocation qui lui donnerait la force et le courage, mais elle a aussi été le gouffre qui l'a enfoncé dans les ténèbres. C'est lors de la guerre qu'Orion a été mordu. Et il y a eu tant de morts... Lyra ne veut pas y penser. Elle secoue la tête pour chasser ces images, mais déjà, ses yeux sont de plus en plus humides. « Tu es une bonne personne, et tu devrais te confier à tes amis. En Russie il y a un proverbe : 'Друзья познаются в беде'. 'On connaît mieux ses amis dans le malheur'. » Lyra met ses mains sur ses yeux, se cache derrière, pour éviter qu'on la regarde, pour éviter qu'on remarque sa faiblesse. Elle n'en peut plus. Elle est exténuée par tout cela. « Je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi, je ne peux plus. » Alors elle laisse couler les larmes chaudes, qui s'échouent sur les parchemins. Elle se fiche de savoir qu'on la regarde. Parce qu'elle n'a plus rien à perdre désormais. La fille du mangemort est à terre, au moins, ils auront eu ce qu'ils voulaient. Le rat de bibliothèque se sent étrangère, même dans le lieu qui a toujours été un refuge pour elle. Elle n'arrive pas à regarder Yuri en face. Sait-il qu'il a déclenché en elle un tsunami ? Une vague de tristesse et d'émotion qui la submergent ? Elle a besoin d'aide, elle a peur, elle vacille. « Je suis enceinte... » chuchote-elle si bas, que cela semble irréel, que c'est presque indiscernable. Et pourtant, le bébé pousse en elle, vit en elle. Le dire est si dur, et à la fois si facile. Elle prie pour que Yuri n'ait rien entendu, et en même temps, tout serait plus simple si il savait. Il y aurait une autre personne pour elle. Une autre personne que Mila. Un homme, quelqu'un pour la protéger. Lyra délire, elle le sait bien, alors elle essuie ses larmes, relève la tête, les yeux rougis, les joues bouffies, prête à se remettre au travail.

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Chopin ~ Etude Op 25

« Je suis enceinte... » « Oh. » Son absurde réplique s'était échappée de ses lèvres sans qu'il ne puisse la retenir. Interdit devant la révélation de la jeune fille aux yeux rougis par le sel de ses larmes, Yuri ne sut dans l'immédiat comment répondre à une telle confidence. A force de côtoyer la mort, l'apprenti nécromancien se détachait de la vie, de son cycle comme de ses mystères. Il comprenait d'avantage le malaise alors éprouvé en la compagnie de Lyra depuis peu ; cette odeur lui paraissant désagréable n'avait au final rien de âcre ni de repoussante, elle portait en elle les effluves d'un nouvel être en devenir. Probablement trop habitué aux parfums mortifères ; poussière et terre rance, Yuri se retrouvait fort nauséeux en présence du germe de la vie. Ce qui de toute évidence aurait du l'alerter (était-il possible de vivre dans l'attente de la mort?) mais qui ne retint pour autant pas son attention. Son intérêt tout entier était alors porté sur Lyra, elle qui avait versé quelques larmes devant lui sans qu'il ne sache que faire sinon jeter des regards froids vers les curieux indésirables. Alors, pour mieux soulager son amie, le slave se leva avant de lui prendre la main, l'engageant à le suivre. « Viens. » susurra-t-il d'un timbre suffisamment glacé pour ne duper personne sur son ascendance russe (pour autant l'intention était louable et le geste affectueux). Ignorant les refus éventuels de Lyra, l'obligeant à obtempérer, Yuri la guida hors de la bibliothèque afin de la traîner vers les toilettes des filles. Deux demoiselles se poudrant le nez posèrent sur lui un regard offusqué, auquel le jeune homme répondit d'un timbre aussi provocateur qu'agressif – son statut protecteur, allié à son manque de finesse, achevèrent de lui ôter toute diplomatie : « Dans mon pays les demoiselles n'ont pas besoin d'artifices pour être belles. » Sur ces entrefaites acides, les deux jeunes filles quittèrent les lieux non sans une oeillade outrée et une démarche rapide.

S'appuyant dès lors contre le lavabo, Yuri se tourna vers Lyra non sans reprendre d'un timbre plus doucereux. « Ca te fera du bien de te rafraîchir le visage. » Et parce qu'il eut préféré fuir les commères dont les yeux vifs s'étaient braqués vers la Serdaigle, le garçon avait trouvé la bonne idée de les isoler un instant. Il se plongea dès lors dans ses réflexions, se souvenant avoir entendu ici et là quelques rumeurs à propos de la demoiselle sans y prêter attention. Puis il considéra ses larmes comme sa détresse, en déduisit que Lyra portait son secret comme un fardeau qu'elle ne partageait pas encore. Sans doute que le père n'était pas au courant, ou bien l'était-il mais avait décidé de la fuir. Ainsi Yuri préféra ne pas l'interroger à ce sujet, dans l'attente éventuel qu'elle ne se confesse au besoin. « T'en fais pas, ça va aller. » Il en était persuadé, probablement loin des réalités cependant. « Quoiqu'il arrive, tu peux compter sur moi. » Sauf changer les couches, si l'occasion se présentait. « Est-ce que tu as réfléchi sur le fait de le garder ou non ? » Pause de connivence. Plongés dans un mutisme lourd, Yuri dégoisa derechef, un accent fortement russe lacérant ses palabres : « Je peux garder.... » Battement silencieux de nouveau, le jeune homme cherchait ses mots, son vocabulaire anglais prêchant par moments. « ...secrets. » Hochement de tête opiniâtre, Yuri semblait déterminé à aider la jeune fille, quand bien même il ne comprenait rien aux joies et autres inconvénients de la maternité.

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Lyra craquait. Elle craquait parce qu'elle ne pouvait faire que ça ces derniers temps. Le silence d'Orion ne l'aidait pas à avancer, et finalement, elle errait sans but, comme le loup avait erré sans tanière pendant presque un an. Elle se sentait vide, et le silence qui s'installa entre eux n'arrangea rien. Elle s'attendait à ce que Yuri réagisse, qu'il éclate de rire, ou qu'il soit consterné. Mais il n'en fit rien. Son compagnon de travail était très calme au contraire. L'expression neutre, il se leva et lui prit la main, lui demandant de le suivre. Ce que fit Lyra, elle n'aurait rien pu faire d'autres de toute façon, et échapper aux regards réprobateurs qu'on lui jetait lui ferait le plus grand bien. Lorsqu'ils sortirent de la bibliothèque, Lyra se sentit aussitôt respirer. Elle qui avait élu refuge dans ce lieu depuis des années, elle ne pouvait pas y rester trop longtemps désormais. L'odeur des livres et des vieilles pages ne lui procuraient plus le même plaisir. Elle se demandait si elle le retrouvait un jour, si tout s'arrangeait. Yuri la guida dans les toilettes des filles. Elle allait protester, lui expliquant qu'il n'avait pas droit d'y entrer, par instinct d'ancienne préfète, mais elle n'en fit rien. Elle n'avait aucune leçon à donner concernant le règlement, même si elle le connaissait par cœur. Quand ils entrèrent, ils n'étaient pas seuls, et Lyra se cacha pour rire quand elle entendit le commentaire de Yuri à propos du maquillage. Une fois que les demoiselles furent parties, Yuri reporta son attention sur Lyra, et le sourire de celle-ci s'effaça. « Ca te fera du bien de te rafraîchir le visage. »

Ce qu'elle fit. Elle en avait terriblement besoin. Lyra alluma le robinet, et laissa l'eau couler quelques secondes. Il était inutile de régler la température, l'eau froide lui ferait le plus grand bien. Alors qu'elle passait ses mains humides sur son visage, ignorant le regard de Yuri sur elle, et l'état dans lequel elle devait être, celui-ci lui promit que tout irait bien. C'était ce qu'elle avait besoin d'entendre. Qu'un homme lui dise que tout irait bien. « Quoiqu'il arrive, tu peux compter sur moi. » Lyra eut envie de pleurer à nouveau. Mila lui avait dit la même chose, mais ce n'était pas pareil. Avoir un soutien masculin, ce n'était pas pareil. « Est-ce que tu as réfléchi sur le fait de le garder ou non ? »  Lyra regarda alors Yuri dans les yeux. Elle n'avait pas le choix de le garder, plus maintenant. Et au début de la grossesse, il lui était apparu évident qu'elle le garderait. Elle ne pouvait pas supporter de l'abandonner, pas comme sa mère l'avait abandonné. Elle soupira et referma le robinet, alors que Yuri lui promit qu'il garderait le secret. « Merci. Je sais que tu ne diras rien. » Elle se confiait rarement Lyra, elle était comme cela. Mais lorsqu'elle le faisait, elle ne le faisait pas avec n'importe qui. Et dès le début, elle avait senti que Yuri était quelqu'un de bien. « J'ai décidé de le garder oui... ça fait six mois... » En disant ses mots, la jeune femme posa ses mains sur son ventre bien caché. Derrière les sortilèges, il y avait un bébé qui remuait, et parfois, elle l'oubliait. À force de jouer la comédie, elle l'avait presque oublié, mais le soir, elle ne pensait qu'à ça. « Je l'ai caché depuis le début. Et au père aussi... » Orion ne savait que depuis récemment. Et il refusait toujours de lui adresser la parole. La dernière fois, il avait été odieux avec elle. Après tout, elle le méritait, elle ne pouvait pas le blâmer, mais ça faisait tellement mal. « Je ne sais pas quoi faire Yuri... La grossesse m'épuise, je n'arrive pas à étudier, j'ai honte, j'ai froid, j'ai peur. Je me sens seule sans lui. » Continuer sans Orion ne valait pas le coup, et jamais Lyra n'avait pensé ainsi. L'amour pour elle n'était qu'une chose futile. La connaissance et le savoir primaient. Et aujourd'hui, elle comprenait que ses convictions volaient en éclat. Parce que l'amour, son amour, était son moteur. C'était lui qui faisait battre son cœur.

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