Drink Up Me Hearties Yo Oh [Heath & Jojo & Salem-neko]

La cocasserie de la situation était tout de même remarquable. Le plus imbibé des trois était aussi le seul à connaître le chemin pour qu'ils rentrent tous entiers dans leurs appartements respectifs. C'était donc entre les mains d'Heathcliff que se trouvaient les trois compères, obligés de le suivre dans son pas approximatifs aux enjambées trop grandes, à travers les couloirs. C'était un miracle que personne ne les ait encore entendus avec le bordel qu'ils semaient à travers le château. Surtout que c'était essentiellement la faute de l'alchimiste et de son état d'ébriété aiguë. Quoi qu'il en soit, à présent, ils étaient résolument en route vers le couloir des appartements du personnel. Étonnement pour les deux collègues allemands qui gardaient un oeil sur le professeur, il n'avait aucun doute sur la direction à prendre, le côté à choisir à chaque intersection et les escaliers à dévaler à quel moment. Rapidement, tout du moins plus rapidement qu'auparavant lorsque le concierge et le professeur de Défense erraient dans le château avec Heathcliff en lévitation, ils arrivent au troisième étage. Heathcliff bifurque encore et les voila enfin arrivés à leurs appartements.

Le plus difficile restait à venir : retrouver quelle porte appartenait à l'alchimiste parmi toutes ses portes identiques. Evidemment, le grand clown triste était incapable de se souvenir de sa localisation exacte, et il n'était pas admissible, à cette heure avancée de la nuit, d'ouvrir à la volée les portes dans l'ordre jusqu'à tomber sur la bonne. C'est sans doute ce qu'il aurait fait mais un regard sur Johannes et son air réprobateur le motive à avorter l'idée dans l'oeuf. Finalement, il a une idée lumineuse qui lui permettrait de retrouver sa porte. Il sort sa baguette de son étui et la pointe devant lui. Le morceau de bois tremble un peu car la prise du sorcier n'est pas sur, et il se concentre en plissant les yeux pour lancer son sortilège. Il parvient à articuler suffisamment pour prononcer Accio oreiller en plume d'oie et quelques instants après, l'une des portes à quelques pas de la trouve, s'ouvre pour laisser passer le dit oreiller. Fou de joie, Heathcliff attrape encore le bras de Rosenberg et le tire jusqu'à la porte en question. En entrant, plus aucun doute, c'était bien l'univers du professeur atypique.

Sur la table basse du coin salon, un petit guéridon de style victorien entouré d'un sofa en velours amarante et de son fauteuil fétiche en cuir, il y avait une magnifique bouteille de gin pleine. Sans réfléchir, l'alchimiste défait sa poigne de l'avant-bras du concierge et fonce pour attraper sa précieuse alliée, abandonnant à Johannes l'oreiller en plume d'oie. Il avait tellement soif et elle était là, magnifique dans sa robe de verre translucide, à lui tendre les bras. Regardant amoureusement la bouteille, il l'attrape et la serre dans ses bras en commençant à lui parler d'une voix ridiculement niaise.

"Oh ma belle ! Ne t'inquiète pas, Papa est rentré à la maison. Papa ne te laissera plus jamais seule. Papa va bien s'occuper de toi, tu vas voir !"

Ignorant avec superbe ses deux acolytes de la soirée, il attrape un shot qu'il s'apprête à remplir avec un regard concupiscent. Il a déjà oublié sa faim et son envie de dévorer un énorme plat de pâte au fromage. Déposant sa baguette sur la table, il retire d'abord ses cuissardes avant de se reconcentrer sur la bouteille de gin.

Fatigué ? Oui un peu mais, par question de fierté et aussi pour faire bonne figure, Salem ne disait rien. Il se retenait de bailler ou bien de traîner la patte. Trop de choses ce soir pour que le professeur soit suffisamment en forme pour se montrer patient. Il l'était, plus ou moins en tout cas avec son collègue d'alchimie mais, plus le temps passait et plus il se demandait si sa présence ici était nécessaire puisque chacun était revenu à la bonne destination. Tournant son regard vers celui interrogé de Johannes, Salem semblait comprendre le message mais, toujours pas un mot. Il avait simplement fais un bref signe de la main pour montrer que tout allait bien. De toutes façons, il n'avait qu'une hâte, c'était d'aller se coucher et dès lors que le géant sera dans sa chambre, il pourra sans doute s’éclipser. D'ailleurs, en arrivant à l'étage des appartements, Salem s'attendait à ce qu'il retrouve sa chambre assez facilement. Mouai, l'espoir fait vivre après tout. Cela dit, à défaut de ne pas avoir fait porte par porte et déranger les autres, il avait fais preuve d'ingéniosité. La première preuve qu'il en était capable dans cet état de la soirée d'ailleurs. Le coussin révélateur avait fini par sortir de la chambre d'Heathcliff pour venir rejoindre son maître qui venait de l'appeler. Très bien, Salem n'ira pas plus loin pour sa part. Il ne voulait pas entrer dans une zone privée de son collègue et il s'était contenté de rester à la porte.
Une main était venue se plaquer contre son front en voyant le professeur d'alchimie appelait une bouteille de Gin comme s'il s'agissait d'une petite-amie. Navrant, totalement navrant même. D'autant plus que sa mésaventure ne semblait pas lui avoir servis de leçon puisqu'il voulait en remettre une couche. « Pourquoi, Seigneur, je ne les toujours pas étrangler … Pourquoi ... », totalement blasé, Salem ne pouvait que compter sur le calme et la compassion de Johannes pour reprendre la situation bien en main. Non, sérieux ? Il comptait vraiment lui faire ses pattes. Un sourcil relevé, l'homme-chat fixait son ami d'enfance dans le but de faire passer un message. Comme par exemple, qu'il était trop tendre avec ce grand dadet et qu'il avait le droit de dire non. Fatigué, oui. C'est certain maintenant puisqu'il ne se montrait plus aussi patient.

Cependant, les paroles de Johannes venaient de lui faire étirer un sourire. S'il a son accord alors, il n'a aucune raison de rester maintenant. « Merci, bon courage avec ce … gamin. » Salem avait accordé une dernière salutation à son meilleur ami avant de tourner les talons. Oh ! Oui, ces affaires n'étaient pas à lui alors pour remédier à ça, il s'était de nouveau changer en chat. Une tas de vêtement était dorénavant à la place du professeur et le chat noir s'en dégagé péniblement en passant la tête par le col du tee-shirt. Une fois démêlé de ce tas de tissu, le chat avait fini par trottiner dans les couloirs. Il avait fais cependant demi-tour. Certes, aller dans sa chambre était tentant mais, ses affaires. Il devait encore récupérer ses affaires à la Cabane Hurlante avant de songer à prendre son bain et se coucher. Résultat, le félin noir était repassé devant la porte pour prendre le chemin inverse. Il ne risquait pas d'oublier la route cette fois-ci, avec le nombre de mésaventure qui lui était arrivé, c'était dorénavant graver dans son esprit.

HRP:

Il a à peine le temps de retirer ses cuissardes, qu'Heathcliff se retourne sur la touffe attachée de Johannes, son expression à bout de nerf, son avertissement avant que sa baguette soit pointée avec hargne et détermination sur la bouteille de gin. Il ne semblait pas être du goût du concierge que l'alchimiste retrouve sa vieille amie d'alcool et de verre. Attristé, Heathcliff attrape l'air vide sur la table où la bouteille trônait quelques secondes auparavant. Il a l'air d'un gros panda malheureux et quand il lève sa moue devant Johannes, il n'y a que sa proposition de se concentrer sur le plat de pâte qui lui fasse considérablement changer d'avis. Un sourire lumineux éclaire son visage, comme si le concierge venait de lui offrir le Graal en main propre. D'un index approximatif, il désigne le coin cuisine avant de ramasser le coussin en plume d'oie par terre et de se pelotonner en boule sur le sofa. Il ramène ses jambes immenses sur son ventre et enfouit son visage maculé de terre et de coulées de maquillage sur l'oreiller avec délice. Ses muscles douloureux délassées par le simple fait de ne plus porter sa carcasse, il échappe un soupire de satisfaction. A l'adresse de son collègue, il balbutie :

"Là bas, y a tout c'qui faut. Des pâtes, de l'eau, du fromage et tout et tout. Mets plein de fromage, j'adore le fromage !"

Il remarque à peine que Salem n'est pas rentré dans l'appartement et qu'il vient juste de soupirer d'aise à l'idée d'enfin être libéré de la corvée par Johannes. Alors qu'il divague gentiment le visage dans son coussin, Heathcliff voit devant ses yeux le professeur redevenir un chat noir, s'extirper du tas de vêtements de mendiants et se carapater vers la sortie sans demander son reste. Il pousse un petit cri aigu sans pour autant bouger de sa position beaucoup trop confortable.

"Joh' t'as vu ! Engelmann ! Putain c'était lui le chat !!!"

Une sorte de soupire triste et frustré lui fend l'âme alors que le petit félin s'échappe, semble-t-il à tout jamais. La solitude du géant est telle qu'il est prêt à courser un pauvre petit chaton pour ne plus se sentir abandonné et il trouve la conclusion plutôt pathétique, même dans son état. Il soupire encore, se rassurant avec l'idée que bientôt, son gosier serait rempli par le met délicieux dont l'ébauche dégageait déjà de bonnes odeurs depuis la cuisine. Oubliant un peu le joli félin, Heathcliff geint :

"Joooooh, dis, tu mettras un oeuf aussi ! Juste l'jaune. Maman me mettait toujours un jaune d'oeuf dans mes pâtes quand j'étais petit ..."

Perdu dans ses pensées, Heathcliff se sent happé par le confort moelleux du sofa où il est pourtant tout recroquevillé, son corps entier ne tenant sur la banquette que les jambes repliées sur son ventre. Qu'importe, pour une fois, il ne se sent pas mal ainsi. Son visage tout sale laisse sur l'oreille une marque invisible car la taie de soie noire ne porte que quelques traces de cette poudre pâle qu'il se colle sur les joues pour protéger son teint cadavérique et sa pâleur de l'astre solaire. L'odeur du fromage fondu et de beurre parvient à ses narines alors que son collègue profite de la cuisson pour se changer. L'alchimiste ne s'en formalise pas, songeant simplement qu'il serait bien plus à l'aise tout nu que saucissonné ainsi dans ses vêtements. Mais il est trop feignant pour s'extirper tout seul de sa tenue de cuir et préfère rester vautré sur son sofa en attendant son repas.

"Yep Heathcliff Monsieur ! Tu peux même m'appeler Heath ou Heathy si tu veux. Maman m'appelait toujours Heathy. Mets un peu de paprika aussi dessus. Et du poivre. J'aime le poivre ! S'il-te-plait."

Il a les yeux dans le vague, ayant oublié sa bouteille de gin au profit des pâtes qui cuisent. Il se pourlèche les babines alors que Johannes retourne se débattre avec son oeuf. Finalement, il revient avec une assiette pleine à l'odeur alléchante qu'il dépose sur la table basse avant de s'asseoir sur son habituel fauteuil. Il est forcément trop grand pour le concierge puisque construit sur mesure pour l'alchimiste, mais pour l'état de fatigue de son collègue, ça devrait convenir. Heathcliff n'a pas besoin d'attendre le conseil de son ami du soir pour se ruer sur la bouffe avec appétit. Il ignore avec superbe fourchette et couteau et commence à manger avec ses doigts. Le goût du vomi de gin, de l'herbe et des poils de chat sur ses paumes ne dissimule pas l'arôme délicieux des pâtes au beurre, au fromage et au jaune d'oeuf. Il se régale, mangeant la bouche ouverte en déglutissant bruyamment, léchant avec gourmandise le bout de ses doigts. Preuve que malgré son état, sa magie sans baguette reste tout à fait correct, une large tranche de pain français arrive de la cuisine en lévitant et il l'attrape au vol pour saucer le fond du plat. Il ne lui faut que quelques minutes pour tout dévorer et se remettre dans le sofa, repu.

"Ma tête ? Ouais ça va j'crois. J'avais tellement faim !! Ton repas était tellement délicieux. Tu es un vrai cordon bleu. Je savais que j'aurais du me marier. Tu aurais été un bon mari. Enfin, t'as peut être déjà un mari. Ou une femme. Ou les deux ..."

L'incohérence de son discours révèle que son état ne s'améliore pas forcément autant qu'il le croirait, mais le tout reste tout de même mieux structuré que par le passé. Reprenant son coussin, Heathcliff déboutonne son pantalon pour pouvoir mieux respirer et retire rageusement sa chemise, dévoilant un torse blanc couvert de myriades de tatouages qui frémissent tous en coeur. Il se love à nouveau sur le sofa, retrouvant le moelleux de son oreiller en plume. Posant une main sur son flanc, il se gratte négligemment les côtes.

"Moi j'aurais pu avoir une femme. Et un enfant. Mais elle est partie. Et maintenant elle est morte. Mais j'ai retrouvé mon fils. C'est un grand gaillard, il a pas b'soin d'moi vu qu'il a presque trente ans. Mais c'est mon fils quand même. Je l'aime, mon fils !"

Il ne se sent pas mélancolique. Pas autant que son discours peut le laisser penser. Non au contraire, il est envahi d'une bouffée de bonheur en parlant de son fils. Et d'une fierté sans faille. Non pas qu'il y soit pour grand chose dans son épanouissement personnel, lui le père qui a brillé par son absence toute sa vie. Il se redresse un peu, geignant en se débattant à présent avec son pantalon. Il était vraiment, vraiment trop serré là dedans, ses couilles lui semblant avoir la taille de pamplemousse depuis le temps qu'il était enfermé dans son pantalon. En se tortillant comme une anguille démesurément grande et maladroite jusqu'à réussir à s'extirper de sa seconde peau. Il ne se formalise pas sur sa soudaine semi nudité et attrape sa baguette qui trônait passivement à côté de la fourchette inutile sur la table. Après avoir visé approximativement, il s'écrit Accio Pyjama en soie et vient à lui le vêtement aux dimensions gigantesques de son propriétaire. Il se contorsionne alors pour le mettre et apprécie le contact du tissu si agréable et moiré sur sa peau. Un vrai bonheur qui le fait soupirer d'aise.

Il finit par se reconcentrer sur Johannes et sa choucroute de cheveux qui l'hypnotise un moment dans son mouvement, même s'il les porte encore attachés. Ca et les ascendances germaniques de son collègue lui donne subitement envie de déguster une véritable choucroute et non pas un amas capillaire aussi envoûtant soit-il. Son esprit est encore entrain de divaguer quand le concierge finit par s'adresser à nouveau à lui. Heathcliff a bien du mal à croire qu'un type aussi gentil et dévoué soit célibataire et vive seul avec ce chat moche qui lui tourne autour. Crachant volontairement comme un félin à la truffe de l'animal qui approche, en montrant ses dents, Heathcliff éclate alors de rire en se rallongeant dans le sofa. Il rigole un peu mais s'arrête, loin de l'hilarité perdue qui l'avait fait s'écrouler près du lac plus tôt dans la soirée. Il porte ses mains à son ventre et recommence à se gratter le torse, dessinant le contour de ses tatouages par habitude.

"J'peux pas croire qu'tu sois tout seul. Tu es trop gentil et tu cuisines des trop bonnes choses pour être tout seul. Ca cache quelque chose de louche ... tu as peut être une petite bite ?"

Il adopte un air soucieux comme s'il était plongé dans une intense réflexion avec lui même, surement peu conscient qu'il vient de dire tout ça à voix haute et que ça pourrait être très mal interprété. Comme s'il avait les facultés de raisonnement nécessaires après tout ... Il soupire à nouveau alors que Johannes lui pose une question. Vraisemblablement, il s'exprimait avec pincettes comme s'il craignait d'offenser l'alchimiste. Mais Heathcliff n'était pas en état d'être offensé par quoi que ce soit. Il se contentait de répondre en hochant doucement la tête contre son coussin, comme si ça le berçait. Il pense un peu à Daire mais bizarrement, c'est un autre visage qui lui vient en mémoire. Tant pis pour ça, il y pensera à nouveau plus tard, quand il sera en état d'avoir des pensées cohérentes et organisées.

"Elle est morte, j'sais même pas comment. Si, enfin, mon fils m'a dit qu'elle avait été malade longtemps avant d'partir. Un cancer ou une connerie comme ça. Quand elle m'a quitté, elle est repartie vivre chez les moldus ... J'l'ai plus r'vu d'puis Poudlard. La dernière fois qu'j'l'ai vu, elle était censée aller avorter de Gowan ... Alors tu vois, j'suis un peu passé à côté tout pendant trente piges ou presque, tu parles d'un pauvre type !"

Il y a beaucoup de sagesse dans les paroles du concierge, et même à travers son ivresse, Heathcliff le perçoit. En effet, c'était la réflexion logique à avoir dans cette situation : si l'alchimiste n'avait pas conscience de l'existence de Gowan, pourquoi s'en voulait-il autant ? Il n'avait fait que respecter la volonté de Daire quand elle avait voulu avorter seule. Et par la suite, il l'avait cherché sans cesse et attendu longtemps sans parvenir à comprendre. Mais l'aurait-il laissé élever seule leur fils, s'il avait su ? Surement pas. Il aurait tout abandonné ce qui comptait pour lui pour s'assurer d'assumer ses responsabilités. Et avec le recul, c'était ce qu'avait voulu éviter Daire. Gowan le lui avait expliqué, sa mère aimant beaucoup trop Heathcliff pour le laisser gâcher sa vie pour une tâche qu'elle pourrait assumer seule. Condamnant par là même son propre enfant à souffrir de l'absence d'un père, pour protéger le père en question. C'était à la fois une preuve d'amour magnifique et aussi l'expression la plus crue d'un égoïsme profond. Et Heathcliff ne l'aurait pas supporté.

"Pour sûr, vaut mieux s'rencontrer à vingt quatre ans que jamais ... j'dis pas l'contraire. J'vois juste tout c'que j'ai manqué et tout c'que j'aurais du vivre avec ce gosse et que j'étais juste pas là. Alors ouais, comme tu dis, t'as sans doute raison, qu'est c'que j'y peux au fond, j'étais même pas au courant ... Mais j'arrive pas à digérer qu'y avait ma chair et mon sang qu'est né sur cette terre et qu'j'me sois rendu compte d'rien. C'est pas comme ça qu'j'voyais ma vie, tu vois ?"

C'était étonnant qu'il arrive à se montrer aussi cohérent dans son état, et il ne saurait dire s'il s'en sentait rassuré ou effrayé. Parler de son fils était toujours douloureux et pourtant extrêmement satisfaisant. Jusqu'à présent, Gowan était ce qu'Heathcliff avait fait de mieux, et comme il n'avait fait que fécondé sa mère, autant dire que ce n'était pas grand chose ... Il se gratte un peu plus fort le ventre, l'envie d'une nouvelle goulée de gin pour apaiser cette désagréable sensation de n'être qu'un bon à rien et chasser son impression de mal être qui grandissait à chaque instant. Il pose son regard sur Johannes qui fait une drôle de tête, les mains sur les joues, les coudes sur les cuisses.

"Non il m'en veut pas. Parce que sa mère était une sainte qui lui a toujours dépeint son père comme un homme extraordinaire qu'elle a voulu préserver pour qu'il fasse de belles et grandes choses dans sa vie au lieu de n'être qu'un père au foyer au job strictement alimentaire pour assumer une coucherie d'ado ... J'comprends pas comment elle a pu faire ça, mais en soit, Gowan, il m'a toujours considéré comme une sorte de héros, de modèle. S'il savait, l'pauvre gosse, s'il savait ..."

Se mordant l'intérieur de la joue, Heathcliff se sent subitement nauséeux et prit de vertiges. Ce genre de pensées lui retournait les entrailles et il préférait les chasser de son esprit. Surtout qu'il sentait ses yeux lui brûler. Il mit ça sur le compte des coulées de maquillage qui recouvraient son visage et renifle négligemment en s'essuyant le nez dans son coussin. Il force un sourire en se reconcentrant sur son ami du soir.

"Tu sais Johannes, j'sais que j'suis qu'une vieille crapule avinée et dégueulasse mais tu peux quand même me dire "tu" hein ! J'suis pas si vieux qu'ça, j'ai que quarante quatre ans, au fond ... Franchement, j't'aime bien comme gars, t'es un bon type. Tu dis des choses sages. J't'aime même si tu as une petite bite. T'inquiète pas, y a forcément quelqu'un à qui ça f'ra plaisir de t'avoir, j'suis certain !"

Il chasse la mélancolie de son coeur avec une facilité déconcertante. C'était pour cela surement que l'alcool avait toujours été un allié précieux dans sa lutte contre ses démons intérieurs. Parce que sous son emprise, il parvenait si aisément à oublier tout ce qui le tourmentait. Et s'il arrivait à se livrer à un quasi inconnu, avouer des événements difficiles de son passé ainsi, il réussit aussi à changer subitement d'humeur et de sujet. Ce qui valait sans doute mieux que de s'embourber dans le marécage nauséabond de sa culpabilité. Johannes a l'air bien mal à l'aise, mais l'alchimiste n'est guère apte à remarquer l'attitude d'autrui quand il se concentre sur le propre marasme de sensations contradictoires qu'il ressent tour à tour dans ses entrailles. Il s'amuse de le voir peiner à le tutoyer, et Heathcliff pouffe presque glousse alors que le concierge se reprend sans cesse. Il y a quelque chose de tellement bienveillant dans cet homme qui rend l'alchimiste simplement à l'aise à côté de lui. Ce qui est assez rare pour être souligné. Même s'il est complètement ivre.

"Qui parle de tes parties génitales ?"

Cette fois c'est un franc éclat de rire qui secoue le professeur d'alchimie. Parce qu'il fait exprès de ne pas comprendre de quoi il parle. C'était trop tentant. Mais c'était aussi une preuve que ça commençait à aller mieux. Alors que le concierge débarrasse la table et lui propose de manger à nouveau depuis le coin cuisine, Heathcliff se contente de hocher négativement la tête sans se douter qu'il attend surement une réponse verbale. Alors il se contente de grogner parce qu'il vient d'en profiter pour s'extirper du canapé. Une fatigue intense s'est emparée de lui alors qu'il vacille, peinant à se tenir debout. Il ne jette pas un regard vers le concierge, se concentrant sur son seul objectif : l'immense lit à baldaquin, aux rideaux de velours noir et aux draps de soie, son fidèle coussin en plume d'oie sous le bras. Quand il y parvient enfin, il se laisse tomber sur le matelas moelleux et familier avec un grognement de délice. Il n'y a rien de mieux que son propre lit, pense-t-il en enfouissant son visage dans la couette. Il rampe un peu à plat ventre, ondulant comme une anguille pour essayer de se glisser entre les draps, mais l'effort est trop grand.

Il geint un peu comme un enfant qui appellerait sa mère, pour attirer l'attention de Johannes. Tout cela n'a rien de très digne, mais l'étape de la dignité est révolue depuis un bon moment pour l'alchimiste. Dans son dos, un gigantesque tatouage représentant un serpent qui s'enroule autour de chaque vertèbre avant de disparaître sous l'élastique de son pyjama, ondule en rythme avec son hôte, comme pour lui donner un coup de main. Heathcliff lutte avec le rebord du drap qu'il attrape, et essaye de faire glisser tant bien que mal sous lui. Mais son poids est trop important pour qu'il y parvienne et il ne réalise pas qu'il devrait tout simplement se lever pour se mettre correctement en position pour une -courte- nuit amplement méritée. Sa voix est un peu plaintive lorsqu'il commence enfin à articuler un semblant de demande intelligible.

"Joh, j'arrive pas à me coucher, mon lit il veut pas ! Mais je suis si fatigué."

Il avait l'impression que son cerveau jouait aux claquettes dans sa boite crânienne. A force de geindre et de triturer sa couette pour réussir à entrer dans son lit, il avait fini par se donner le tournis. Le professeur d'alchimie voit donc arriver son compagnon du soir, les cheveux détachés, depuis le coin cuisine. Il a des airs de sauveurs du monde aux yeux d'Heathcliff qui désespère de parvenir un jour au sommeil. Johannes a un petit sourire quand il s'autorise une plaisanterie. Sans doute n'a-t-il pas complètement tord, mais l'alchimie a comme perdu le sens de l'odorat ce soir. Sans doute se sentira-t-il mieux le lendemain, et il réalisera combien il macérait dans son vomi, sa sueur et la quantité astronomique d'alcool qu'il avait bu, mais pour l'heure, il avait tout sauf l'envie de se glisser sous un robinet, même d'eau chaude. Au mieux, il supporterait une petite toilette de chat avec un gant humide pour le débarbouiller, mais il n'était simplement pas en état d'y parvenir seul. Quand le concierge tire d'un coup sec sur les draps pour le sortir de sa détresse, Heathcliff est emporté par la vigueur du geste et il roule.

Mais il roule tellement qu'il finit par atterrir sur le sol de l'autre côté du baldaquin. Son collègue qui était parti lui chercher un verre d'eau pendant qu'il se mettait au lit dû finalement entendre le boom sonore quand la carcasse du pauvre Heathcliff heurte le marbre adamantin par terre. Ce n'est pas la première chute de la soirée mais si le crâne déjà fendu du professeur cédait encore à un énième coup, il risquait l'hématome extra-dural. Sans mot dire, il entreprend d'escalader son lit qu'il ne pensait pas si haut, tirant sur les draps pour avoir une prise, puis les rideaux jusqu'à que le tissu se déchire dans un affreux bruissement. Il retombe les fesses contre le sol et cette fois, il perd espoir de réussir à se relever, la tenture tombant de sa tringle pour le recouvrir tout entier comme un immense fantôme de velours.

"Ouais autre chose. J'veux bien un coup de main ... Il fait tout noir là dessous et j'ai l'impression que je vais vomir. J'ai mal au crâne ..."

Il agite un peu ses grands bras désordonnés pour signifier à son collègue dans quelle détresse il se trouve. Il a l'impression d'un brocolis qui éclorait dans son crâne tellement la douleur commence à se faire mordante. Il a sans doute fini par se faire un véritable traumatisme crânien et il espère de tout coeur que c'est juste l'étourdissement de la chute et rien de plus grave. S'il devait sortir d'ici pour aller à l'infirmerie, il ne pourrait absolument pas s'y rendre dans cet état. C'était inconcevable. Le simple fait qu'il y pense pouvait être une bonne nouvelle en soit : ça signifiait qu'il recommençait à avoir des facultés de raisonnement avancées. Même si ses aptitudes motrices étaient toujours aussi catastrophiques. Quand finalement il arrive à sortir de la tourmente de velours qui le laissait aveugle et le souffle court, il réalise en posant la main à l'arrière de sa tête, qu'il a recommencé à saigner. Il grimace, toujours assis par terre comme un demeuré.

"Merde Joh' j'crois que je vais encore avoir besoin d'toi pour m'soigner. Ca pisse le sang ..."

Il sent le concierge s'agenouiller à ses côtés et tirer frénétiquement sur le rideau avec cette inquiétude dans le regard. Heathcliff l'a provoqué par la détresse de son appel et son ami d'un soir y fait écho en se précipitant à ses côtés. Lorsqu'il finit par s'extirper de son tourment, la vision de Johannes avec sa touffe gigantesque de cheveux et l'éclat circonspect dans ses yeux noisettes lui donne un air d'ange gardien hippie, tout droit venu d'une prairie verdoyante où pousse le chanvre. Il a presque envie de rire s'il n'avait pas aussi mal au crâne et que l'impression que ses os se fendaient à chaque fois qu'il sentait son coeur battre dans ses tempes. Le sortilège est prononcé avec le même aplomb que la blessure cicatrise sous la magie de son collègue. L'alchimiste passe finalement sa paume sur son occiput redevenu lisse, ne saignant plus. Les paumes robustes de l'allemand se calent sous ses aisselles et tout ce qu'il parvient à faire pour l'aider c'est pousser sur ses jambes et se faire le plus léger possible. L'infirmerie. Il lui fait promettre de s'y rendre mais Heathcliff déteste y aller. Vu la douleur qu'il ressent à cet instant, il lui semble pourtant inévitable d'y passer dans la matinée. Il hoche doucement la tête.

"Ouais ouais j'irais. T'façon j'pense pas qu'j'pourrais dormir ..."

La mélancolie est revenue. Pourquoi et comment, il n'en sait rien. La versatilité de ses humeurs n'a plus aucun sens et depuis un moment, lui-même ne comprend pas ce qu'il se passe en lui. Alors qu'il atterrit désespérément sur son lit, il se rend compte que la chaleur de Johannes dans son dos l'a réconforté plus que le soin à sa blessure ou son ascension laborieuse dans le baldaquin. Alors que le concierge esquisse une blague avec un sourire, l'alchimiste se tourne vers lui, le regard penaud. Il hoche frénétiquement la tête pour refuser mais il le fixe avec une moue anxieuse. De celles que prennent les enfants avant de faire un caprice particulièrement ridicule à leurs parents, sachant pertinemment la réponse encourue et comptant sur l'apitoiement que leur bouille provoquerait pour obtenir un "oui". Ca aurait sans doute mieux marché si Heathcliff était effectivement un enfant et qu'il n'avait pas la tête d'un fou furieux sorti de l'asile, le visage maculé de maquillage, de vomi, de sang et l'haleine gorgée d'un mélange insoutenable de gin, de fromage fondu et de jaune d'oeuf. Son odorat s'éveille un peu, c'est sans doute pour cela qu'il refrène à peine un haut-le-coeur terrible qui le fait dévier momentanément de son objectif.

"Tu peux r'garder dans l'placard là bas. J'ai confisqué une boîte à flemme à des gosses de mon cours. J'crois bien qu'y a un côté qui soigne la nausée. J'pourrais pas dormir avec c'qu'il s'passe dans mon bide Joh ..."

Il attend quelques instants que le concierge lui apporte la boîte à flemme, fourrage dedans à la recherche de la confiserie qui fait vomir d'un côté et guéri de la nausée de l'autre. Il l'étudie un moment avant de trouver le bon côté et croque dedans avec une certitude plutôt mitigée. Il mastique, déglutit dans un bruit écoeurant et attend presque sans respirer pendant quelques instants. Point de vomissements en jet à l'horizon et déjà il sentait les noeuds que ses entrailles faisaient autour de son estomac se détendre. Il souffle un peu, apaisé avant de reposer son pitoyable regard apitoyant sur Johannes. Il soupire un peu, gonfle sa poitrine et regarde ses pieds immenses qui dépassent de la couverture sous laquelle il s'est glissé.

"Dis ... tu peux rester avec moi un peu. Juste le temps que je m'endorme. J'ai ... j'ai besoin d'un gros câlin !"