(S+C) forgive me my sins

Toc. Toc. Toc. Une goutte, deux gouttes. C'est de l'eau. Peut-être. Toc. toc. La pluie, elle ne cesse pas ici. Jamais. Toc. Toc. Tes paupières sont closes, elles le sont depuis quelques jours déjà. Peut-être que c'est la fin Sabal. Enfin. Tu l'auras attendu celle-là. Ton corps, il voulait pas lâcher l'affaire jusqu'à présent. Il y avait toujours cette flamme d’imbécillité qui te faisait te battre. Te battre pour rester en vie, là, dans cette cellule qui t'empoisonne l'âme. T'es pas fait pour rester vivant, t'en es persuadé. Alors pourquoi tu as lutté tant de temps ? Les détraqueurs sont passés tellement de fois dans ta cellule, dans ton tombeau humide, que tu en as oublié le son du rire de ta mère. Tu sais que tu chérissais ce bruit du plus profond de ton être. Et maintenant c'est parti, envolé. Tu sais plus comment ta mère riait. Tu ne reconnaîtra plus l'odeur des murs de votre maison. Les arbres en hiver. Le trac avant de monter sur scène. La peau douce d'une partenaire, celle qu'on t'attribuait toujours pour les duos. Parce que l'alchimie était tel que même le dernier rang du public le ressentait. Tu ne sais plus comment elle s'appelle, son odeur, ses gestes emprunts de tellement de vie que t'en étais tombé amoureux maintes et maintes fois. Tu te rappelle juste que tout s'éteignait après que les rideaux se ferment.
Des partenaires de scène qui tombent amoureux, ça n'arrive pas, ou trop souvent pour que ce soit possible sur le long terme. La danse. Le Théâtre. Ce sont des arts de passion, du vivant, du vécu. Tu tombais amoureux sous les projecteurs et retrouvais ta solitude en coulisse. Parce que tout le monde aimait le danseur, l'interprète, mais personne ne supportait longtemps la mélancolie de l'homme. C'est beau la scène, c'est rempli de mensonges.

En fait, Sabal, peut-être que tu as entièrement ta place dans cette prison. Toc. Toc.

Le bruit ne s'arrête pas et des flashs frappent tes rétines. Tu vois la porte s'ouvrir. Grincante, elle laisse entrer quelqu'un. Quelque chose. Une silhouette. Tu sens tes muscles se contracter sous le poids des flashs. Pas la batte. Pas toi. Pas Avery....Tu sens ton âme se serrer contre les parois de ton corps. Ça va faire mal, ô si mal. La douleur physique, elle est toujours présente. Parce que le sol est dur, les murs sont glissants et la pierre coupe. Il fait froid, humide, et parfois tu trembles sans même plus t'en rendre compte. Toc. Toc. Mais il y a dans ta tête aussi, il y a cette ombre qui attaque tout les jours tes neurones et ta santé mentale. Aujourd'hui tu ne saurais dire si il te reste un brin de logique ou de quoi que ce soit qui ne soit pas conditionné par ton emprisonnement. Au début, tu rêvais du jour où on te sortirais de là. Maintenant, tu sais que tu ne sortiras pas. Parce que t'es cassé, parce que tu sombres et que chaque jour détruit un peu plus ton être. Tu peux plus sortir, tu n'y survivrais pas. Et là, ton corps, il est allongé, tu le sais, parce que tu sens le poids de tes os contre ta colonne et tes hanches. Tu sens la gravité, l'air autour de toi. Ca pue pas. Ton nez doit avoir lâché. Tu trembles, encore. Toujours. Mais c'est pas dur, le sol, il n'est pas dur. Tu deviens fou, t'es en train de partir. Ça doit être ça, le paradis.

Tu te réveilles en sursaut. Tu te redresses, les yeux grands ouverts. Tu es mort, c'est ça ? La pièce autour de toi, c'est pas ta cellule. C'est que soit tu es sorti, soit tu es parti. T'aimerais bien être parti. Tu pourrais enfin te reposer. Tu baisses les yeux vers tes mains. Elles sont couvertes de lignes blanches, tes doigts, certains sont tordus. La batte. Avery. Tes muscles se contractent et la douleur crame ton cerveau. Ta respiration se bloque, tu peux plus respirer. A l'aide, quelqu'un. Tu bouges. Tu tombes du lit, t'as pas mal. T'es trop paniqué pour ça. Tes pieds nus ne sont plus habitués au sol, alors tu tangues. Tu tangues, mais tu sors quand même. Là, en robe de patient d'un blanc dont ta rétine n'a plus l'habitude, tu titubes, tu tangues, le monde, c'est quoi ? T'es où ? Ta respiration revient, un peu. Faut que tu sortes. Tu dois retourner dans ta cellule, sinon ils vont te tuer. Pour de bon. Pas Avery, pitié. Quelqu'un, t'attrapes son bras. Tu sais pas qui c'est, une illusion peut-être ? " Ma cellule ! Faut que je rentre ! VITE ! " tu parles fort, tu hurles presque, les jointures de tes mains sont blanches, tu sers, tu forces. Faut que tu y retournes. Vite.

Les hurlements, les cris, ils ne s'arrêtaient pas. Pourtant, c'était terminé, n'est-ce pas ? Il n'y avait plus de raison de s'inquiéter. La guerre était finie. Ils avaient gagnés. Était-ce au moins réel ? Cette victoire a-t-elle réellement existé, ou était-ce le fruit de son imagination ? Cassandre imaginait beaucoup de choses. Elle avait toujours été comme ça, d'une grande créativité. Avait-elle imaginé le sang, les blessés sur le front, les pleurs, les cris ? Avait-elle imaginé le feu, les brûlures ? Avait-elle seulement combattu, ou avait-elle fui, comme beaucoup ? Était-elle lâche ? Était-ce pour ça qu'elle n'arrivait pas à se lever, qu'elle avait si mal aux articulations, que son genoux était en feu ? La jeune femme ne savait plus distinguer le vrai du faux. Cela faisait deux jours qu'elle était arrivée dans sa chambre d’hôpital, deux jours que la guerre était terminée. Elle n'avait pas de blessures graves, pas comme certains patients qui avaient perdu des membres. Elle, elle avait simplement le cerveau détraqué, mais ça elle l'avait déjà avant. Sinon, elle n'aurait pas essayé de se donner la mort déjà plusieurs fois, juste pour voir si ça déclencherait des visions. Maitenant qu'elle y repensait, cela lui semblait totalement stupide de tenter la mort ainsi, alors qu'elle aurait pu perdre la vie plusieurs fois ces derniers jours. Le souvenir de la bataille était encore vif, il lui tranchait la chair dès qu'elle fermait les yeux. Elle voyait tomber ses compagnons un à un, ne pouvant faire quoi que ce soit. Sa baguette à la main, elle se voyait essayer de sortir le corps de certains élèves, pour les amener jusqu'aux tentes de fortune où étaient soignés les blessés. Elle était jeune, beaucoup trop jeune.

À Sainte-Mangouste, la nourriture n'était pas si affreuse qu'on le pensait. Mais Cassandre avait pris l'habitude de s'acheter quelques confiseries, pour éviter de perdre la tête, pour sortir de cette chambre aux murs immaculés. Elle était pieds, nus, le distributeur était au bout du couloir. Elle pensait déjà aux dragées surprises et aux chocogrenouilles qu'elle allait se mettre sous la dent. Puis, quelqu'un lui attrapa le bras, un fou. Cassandre prend peur, elle le repousse, mais il s'accroche très fort à elle, si fort qu'il lui fait mal. « Ma cellule ! Faut que je rentre ! VITE ! » C'est un homme, d'une quarantaine d'années, plutôt bien conservé pour son âge. Il la regarde, les yeux vitreux, le front luisant de perles de sueur. Il ne sait pas où il est, et Cassandre s'adoucit aussitôt. Elle ne peut pas lui en vouloir. Elle non plus ne savait pas où elle était quand elle s'est réveillée. Elle non plus n'a pas tout de suite compris ce qu'il se passait. Alors au lieu de lui crier dessus pour lui ordonner de la lâcher, Cassandre caresse gentiment la main du malade qui tremble à son bras. « Ça va aller, je vais vous ramener à votre cellule... » Cassandre a toujours entendu dire qu'il fallait rentrer dans le jeu des fous. Il voulait sans doute dire sa chambre, mais elle ne savait pas vraiment où l'y conduire, et les infirmières étaient trop débordées pour leur demander de l'aide. « Vous pouvez me dire où elle se trouve ? Ou me donner votre nom peut-être ? » Cassandre oublie totalement ses confiseries, son seul moyen d'oublier ses angoisses, le traumatisme de la guerre. Il y a urgence, et dans l'urgence, elle est capable de tout.

La panique resserre ta peau contre tes os, tant et si bien que tu as l'impression d'étouffer. Chaque seconde n'est que torture, une torture qui grince et brûle tes neurones. Tu ne dois pas rester hors de ta cage, ou la batte retombera à nouveau sur tes phalanges et tes dents s'enfonceront à nouveau dans tes lèvres. Ta bouche est sèche, malmenée, des croûtes se sont formés là où les dents ne cessaient de creuser. Tu fais peine à voir. Un cadavre sur pattes, l'ombre d'un homme qui fut et qui ne sera plus jamais le même. Tu as changé tant de fois d'incarnation, d'âme. Tu l'as perdu la première fois quand ton père est parti, puis quand tu as intégré Beauxbâtons et que la cruauté des enfants devint ton pain quotidien. Puis la guerre, la mort de ta mère, les cavales, la peur. Tu es mort tant de fois Sabal, une fois de plus, une fois de moins, ça ne voulait plus dire grand chose.

La silhouette, l'illusion, c'est une jeune femme. Une adolescente, elle est jeune, trop jeune pour ça. Combien d'autres enfants ont dû essuyer la sueur de leur front et nettoyer le sang de leurs mains. Combien ont dû lever leur baguette pour protéger leur vie ? Trop. Trop jeune, trop douloureux. Tu fermes les yeux, une fois, deux fois, tu sers tes paupières pour effacer ce visage aux contours trop purs pour être enfermés eux aussi avec toi. Que fait-elle là, au sein de ta folie ? Tu ne la connais pas, ton cerveau débloque-t-il à un tel point qu'il se met à imaginer des inconnus ? Elle a l'air d'être une âme bonne, de ceux qui pourraient peut-être un jour te sauver. Mais non, ce doit être un piège. Dans deux secondes, elle remontra sa manche pour révéler la marque des ténèbres et tout sera fini. Personne n'est du côté des gentils, plus maintenant. C'est fini ça. T'es tellement perdu que tu n'entends pas ce qu'elle te dit. Ton cerveau, il ne suit pas, il se détraque, la panique ne laisse plus le choix au rationalisme. Si tu l'avais un temps soit peu été, tu aurais remarqué que tu n'es plus en prison, que tu es sauvé. Que la guerre, c'est fini.

" Non. NON ! Ramènes-moi ! VITE ! Avant qu'il ne revienne. " tes mots sont précipités, ils ne veulent rien dire. T'es qu'une âme perdue Sabal, tellement perdue que tu réalises pas avoir été sauvé. C'est qu'un rêve, non ? Plutôt un cauchemar. Il n'y a que les cauchemars pour créer de tels espoirs. " Faut pas leur dire que je suis sorti, je t'en pris. Pitié, leur dit pas. Je ferais plus de bruit, promis, je veux juste rentrer. " tes mains sont toujours agrippés au tissue recouvrant les bras de la demoiselle. L'illusion est tenace. Elle persiste. Est-ce qu'elle est avec toi ? Contre toi ? Tu regardes autour de toi, derrière. T'es perdu. " Où ils sont ? ILS SONT OU ? Il faut rentrer avant qu'ils ne reviennent, on doit pas rester dehors ! " tu ne veux rien dire, tu ne fais aucun sens. Est-ce que l'illusion te comprendra ? Ton cerveau peut-il encore comprendre ton âme ?

« Non. NON ! Ramènes-moi ! VITE ! Avant qu'il ne revienne. » Cassandre secoue la tête. Elle ne comprend pas. Qu'est-ce que le patient veut lui dire ? De qui parle-t-il ? Elle qui pensait demander de l'aide aux infirmières, la voilà complètement livrer à elle-même, un fou pendu à ses bras. Elle essaye d'avancer, mais l'homme est tétanisé, paralysé par la peur. Oui, c'est de la peur qu'elle voit dans ses yeux. Pourquoi a-t-il peur ? Elle a entendu que certains hommes avaient subis l'Imperium de nombreux mois, pour être sous les odres de Voldemort. Était-ce le cas de cet individu? Elle se sentait mal, parce que elle avait pu échapper au Seigneur des Ténèbres. Elle s'était cachée, jusqu'à réapparaître lors de la Bataille. C'était pour le bien de tous, c'était pour que sa famille puisse vivre, pour qu'ils puissent aidés l'Ordre. Elle s'en voulait, parce que lors de la Bataille, elle avait bien vu ses camarades mutilés, à cause des Carrow. Elle s'en voulait, et pour se faire pardonner, elle était en train d'essayer d'apporter de l'aide à un fou. Mais elle ne pourrait pas s'en sortir toute seule. La seule solution pour elle semble d'appeler au secours. Elle dirige son regard vers une médicomage qui passe par là, pressée, elle n'a même pas le temps de l'accoster. « Faut pas leur dire que je suis sorti, je t'en pris. Pitié, leur dis pas. Je ferais plus de bruit, promis, je veux juste rentrer. » Un lavabo n'est pas loin, c'est le seul salut que tu peux apporter à cet inconnu, un peu d'eau fraîche pour remettre ses idées en place. Il ne veut pas que les médicomages les aident, alors elle doit se débrouiller seule. Elle le guide vers le lavabo, et il continue de divaguer. « Où ils sont ? ILS SONT OU ? Il faut rentrer avant qu'ils ne reviennent, on doit pas rester dehors ! » Cassandre ne tient plus. Elle allume le robinet et porte ses mains sous l'eau. Avant que le fou furieux ne dise d'autres absurdités, elle lui éponge le visage. Il est complètement amorphe, le regard dans le vide, et elle veut le ramener vers elle. « Monsieur, s'il vous plaît, dites moi votre nom ! » Cassandre se sent désespérée. Elle n'est pas comme ceux qui n'ont pas hésités à soigner les blessés dans les tentes de fortune installés dans la Grande Salle de Poudlard. Elle, elle se bat sur le front, elle ne réfléchit pas. Mais pour une fois, elle veut l'aider. « Nous sommes à Sainte-Mangouse, ne vous inquiétez pas, personne ne vous fera de mal ! » Elle continue de lui mettre de l'eau sur le visage. Elle espère que ça le réveillera. « De qui avez-vous peur ? » Mais la réponse est évidente. Voldemort. Il a terrorisé l'ensemble de la communauté sorcière, et si cet homme retrouve la raison un jour, ce serait certainement un miracle.

Si vous ne vous en allez pas tout de suite, ils vont vous trouver. Tes mains tremblent de peur à cette idée. Non, pas encore. Tu n'as pas envie de goûter une fois encore aux échardes et au bruit du bois cognant les os et la chair. Tu en as assez de la douleur physique, puis de ton esprit mourant dans une cellule où même le désespoir n'est pas réceptif à tes complaintes. Azkaban est une prison du corps et de l'âme. Ses pierres te poursuivent et ses habitants te hantent. Pourquoi aujourd'hui te retrouves-tu dans cette illusion ? Est-ce que tu es vraiment en train de devenir fou ? Tu en as vu assez, des fous, pour savoir ce que c'est. Un fou c'est un corps qui ne sait plus quoi faire de son âme. Alors il la porte à bout de bras et la lance un peu partout. Tantôt contre les murs, tantôt sur le sol, il l'écrase du poids des souvenirs flous et des cris étouffés. Tu t'es jamais demandé ce qu'avait pu vivre les Mangemorts que tu as foutu en prison. Et là, dans cette prison d'os et de chair, d'air et d'eau...tu les plains. Tu as pitié, tu as peur. Pourquoi c'est à toi aujourd'hui de hurler à l'enfermement ? Tu veux rentrer, tu veux te rouler en boule dans un coin glacé, et attendre la mort. C'est tout ce que tu veux...

L'eau froide frappe ton visage, les mains de la jeune femme entrent en contact. Elle t'embrume d'avantage et brouille ta vue. Tu n'as pas le réflexe de reculer, d'échapper à cette emprise. Tu as toujours détesté ne pas avoir le contrôle de la situation. Vieux travers de danseur, si tu ne maîtrise pas ton corps, si tu ne maîtrise pas ce qui se passe sur la scène, alors c'est foutu. C'est la catastrophe assurée. Toujours alerte, toujours en pleine possession de tes moyens. Te faire attraper, emprisonner, enchaîné, ça t'a détruit ton assurance et une partie de ton être. Tu n'en avais déjà plus beaucoup depuis l'apparition d'un géant dans ta vie. La guerre ne change jamais. Elle ne meurt pas. Elle évolue, elle grandit, elle change de forme mais prolifère toujours les même malheurs. Tu te demande l'espace de quelques secondes si la jeune femme près de toi a perdu quelqu'un, si elle a du éponger le sang sur ses mains, si elle a entendu des râles de mort, si elle a vu les corps s'effondrer et les amis mourir. Tu voudrais que non, tu aimerais que les enfants comme elle n'aient jamais a croiser le regard vide d'un cadavre. Mais la guerre ne meurt jamais, et les victimes en ressortent toujours brisés. Du moins, ceux qui en ressortent vivants.

Es-tu vivant Sabal ? Est-ce que c'est réel ça ? Non. Ce n'est pas possible. Tu le saurais si tu n'étais pas enfermé, non ? Oui. Non. Peut-être. Tu ne sais pas. Tu entends encore au creux de tes pores les gouttes d'eau tomber la pierre et les détraqueurs roder dans les couloirs, frôler les murs, engendrer la crainte profonde dans le cœur des hommes et des femmes. Il n'y a plus de genre en prison, il n'y a que des teintes de douleur. Elle te dit que t'es plus là-bas, elle te dit que t'es à Sainte-Mangouste. Quoi ? Oui. Non. Quoi ? Non. Non. Où est la victoire ? Où sont les vestiges des combats ? Tu ne vois rien d'autre que l'eau coulant le long de tes joues. T'es figé. Tu réfléchis. Tu analyses. Tu essais, ton cerveau malade et ton esprit fissuré ne sait plus. Tu es totalement paumé. Perdu dans une réalité qui t'a oublié au fond dans le froid d'une cellule qui s'est forgé en dur et dans ta tête. Comment on fait pour s'échapper d'une prison érigé autour de ton âme ? Elle te demande de qui tu as peur. Quelle idiote, c'est évident ! Ils rodent, ils chassent. Ce sont des fauves décharnés qui n'ont connu qu la captivité. " Les détraqueurs... " c'est comme un murmure terrorisé qui t'échappe. Tes mains se crispent alors, un réflexe, un instinct de survie qui s'éveille. Tu recules, tu recules encore. Ton dos cogne le mur, là, si tu te fais assez petit...peut-être qu'ils ne te trouveront pas..

Depuis qu'elle est arrivée dans cet hôpital, Cassandre en a vu des fous. Elle en a vu des qui crient la nuit, des qui se cognent contre les murs, des qui insultent les médicomages, des qui refusent de manger. Mais l'homme face à elle semble si différent. Il n'est pas devenu fou à cause de la bataille, à cause de ce qu'il a vu sur le champ de mine. Il n'est pas devenu fou parce qu'il a échappé à la mort, à Voldemort. Il est devenu fou pour une toute autre chose, et Cassandre aurait été incapable de deviner quoi, si l'homme n'avait pas fini par murmurer ce mot, cette crainte, et désigner sa peur. « Les détraqueurs.. » Alors, dans ses yeux, Cassandre voit la peur. La véritable peur. Celle qui vous arrache des terreurs noctures, qui vous empêche de respirer, qui vous fait accélérer le cœur jusqu'à vous donner l'impression qu'il va exploser. Cassandre voit les détraqueurs à travers les yeux de cette homme, et elle le plaint. Et c'est là qu'elle comprend, pour qu'il ait autant peur des détraqueurs il faut qu'il les ai côtoyé. Les pièces s'emboitent dans sa tête, et Cassandre comprend qu'elle est aux côtés d'un prisonnier. Celui-ci vient d'Azkaban. Elle a un mouvement de recul, mais il ressert sa poigne autour d'elle. Alors, elle n'a pas le choix, elle continue d'avancer avec lui, essayant de l'empêcher de se cogner contre les murs. « Ils ne sont pas là, vous êtes en sécurité... Je vous le promets. » Elle essaye de le rassurer, mais désormais, c'est elle qui a besoin d'être réconfortée. Que fait-elle au bras d'un criminel ? Que fait-elle dans cet hôpital ? Où sont ses amis, sa famille ? Elle est plus seule que jamais, et elle ignore comment se sortir d'ici. Tout ce qu'elle peut faire, c'est attendre que quelqu'un vienne l'aider, qu'une infirmière se rende compte qu'elle est en danger. Parce que si elle n'est pas encore folle, elle pourrait le devenir, en restant trop près de cet homme dérangé.  

Se faire petit, tout petit. Ça te rappelle certaines parties de cache-cache qui te divertissaient tellement quand tu étais plus jeune. Maman ne mettait jamais longtemps avant de te trouver, elle savait toujours où tu courrais te dissimuler. L'infiltration, se fondre aux ombres n'a jamais été ton fort. Quand tu te battais encore, quand gagner la guerre était ton but ultime, tu étais de ceux qui encaissent et encaissent sans jamais faiblir. Un rempart pour ceux qui se faufilent, pour ceux qui empoisonnent. Tu n'es pas bon en potion ou en mensonge. Tu es trop honnête, tu es trop brute dans ta vérité et droit dans tes botes. Si tu attaques et veux la défaite d'un ennemi que tu juges atteignable, tu ne te caches pas. Tu te tiens droit et tu lui lances la plus belle panoplie de sorts que tu as. Petit tu te cachais d'une mère aimante, c'était un jeu. A partir de quand le jeu est devenu survie ? Depuis quand les maladroits y perdent la vie ? Passer dans la cour des grands, tu n'a pas aimé ça. Tu peux te cacher d'une mère. Le moindre recoins suffit. Mais tu ne te caches pas d'un détraqueur Sabal, et ça, peu importe ô combien tu essais de te ratatiner sur toi.

Tu dois avoir l'air d'un fou. Tu t'en fiches, l'idée de t'en préoccuper de te traverse même pas l'esprit. Tu es troublé, tu es perturbé. Ils ne doivent pas te trouver, c'est tout ce que tu te répètes. Tu ne tentes plus de rationaliser quoi que ce soit. Parler de Détraqueurs, ça fait de toi un prisonnier, ça fait de toi un criminel. Mais un criminel de quoi ? Pourquoi soudain ce regard presque affolé dans les pupilles de cette illusion si pure qu'elle te semble tout droit sortie d'un vieux compte pour optimiste désœuvré ? Au fond de toi, une voix rauque t'ordonnerais presque de la secouer, de lui hurler les vérités du monde et des guerres de sang. Qu'elle arrête d'être épargnée, que tu ne sois plus tout seul sur ton bateau d'insanités. Elle doit se réveiller l'ingénue, elle doit arrêter de trembler l'ingénue, elle doit te regarder l'ingénue. Elle doit cesser de l'être, l'ingénue. Ses mots frappent tes tympans, ils heurtent ta conscience.
- Pourquoi ? Pourquoi ? Personne n'est en sécurité ici ! Il faut trouver un moyen de sortir, vite. Ils sont là, tu les vois pas, mais ils sont là. Ils vont venir. Ils vont nous manger l'âme. Il en restera rien. que tu murmures sans chercher à être compris. Tes mots te bercent tandis que tes mains tremblent. Tu sens encore le bois contre tes phalanges et les cris contre tes pores. Il n'en restera rien. Rien du tout

Les fous ne sont pas que fous. Cet homme doit avoir beaucoup souffert, et Cassandre serait sotte de le juger, alors qu’elle-même a eu ses moments d’absence ces dernières années. Elle ne peut pas lui en vouloir de mourir de peur, il y a tellement de gens qui ont perdus lors de la guerre. Les dégâts sont considérables, et personne ne peut les énumérer, tout ce qu’ils peuvent faire, c’est essayer de panser les plaies. Mais elle n’est pas infirmière Cassandre. Elle tout ce qu’elle sait faire, c’est se faire du mal, elle ignore comment faire du bien aux gens. « Pourquoi ? Pourquoi ? Personne n'est en sécurité ici ! Il faut trouver un moyen de sortir, vite. Ils sont là, tu les vois pas, mais ils sont là. Ils vont venir. Ils vont nous manger l'âme. Il en restera rien. Rien du tout. » Cassandre n’imagine pas à quel point les détraqueurs doivent hanter ce pauvre homme. A quel point il a du souffrir de leur présence, de leur torture. Son âme est-elle encore là ? C’est peut-être ça la clé. Alors que le sorcier regarde de tous les côtés, Cassandre se rapproche un peu. « Si, il reste des petites poussières, et celles-ci vont survivre, et grandir, et se reformer, je vous le promets. Calmez-vous monsieur, et ouvrez les yeux, vous êtes libres ! » Au même moment, une infirmière arrive. Elle prend le relai et emporte l’homme qui semble presque calmé par les mots que l’adolescente lui a murmuré.