Shall we forgive? ♦ Kamen

La pluie frappait Poudlard aujourd’hui. Il faisait sombre et une bise des plus désagréables soufflaient au dehors. J’étais ravie que la semaine soit terminée, et de ne pas avoir à travailler par un temps pareil. Certaines salles du château encore en réparation étaient des nids à courant d’air. Nous avions beau calfeutrer certaines ouvertures, cela restait malgré tout un environnement plutôt désagréable. L’automne avait à peine commencé, je ne savais ce que cela donnerait pendant l’hiver. Je doutais que cette école soit aussi gelée que Durmstrang, mais, je ne pouvais pas y mettre ma main à couper non plus.

Recouverte d’un pull aux mailles épaisses et claires d’où dépassait une chemise d’un rouge sombre au niveau du col, je frottais mes mains l’une contre l’autre tout en avançant dans les couloirs. Je n’avais strictement aucune idée de ce que j’allais faire aujourd’hui. Sortir n’était pas la meilleure des idées. Je n’avais même pas le courage de filer jusqu’à la cabane du garde-chasse. Je savais pourtant qu’Andrew saurait occuper cette journée avec merveille, même avec ses questions, aussi épuisantes pouvaient-elles être parfois. J’aurais pu rester dans mon petit appartement, à lire. Chose que j’avais déjà fait la veille, sans grand succès. J’avais l’habitude de me fermer dans mes lectures pour oublier mes soucis. Cependant, cela ne fonctionnait guère ces temps-ci. Je n’avais pas de nouvelle de notre mère. Je n’arrivais pas non plus à récolter plus d’informations sur cette soi-disant épidémie, qui, apparemment, courrait sur le monde magique. C’était une journée sans. Il y en avait, aussi détestables que je pouvais les trouver, je ne pouvais rien y faire. Ainsi, j’avais décidé de marcher dans les couloirs pour aérer mon esprit.

Mes pas me menèrent bien vite au rez-de-chaussée, près de ces petites cours intérieures. Le couloir ouvert sur un côté, je ralentissais mes pas pour observer la pluie fine tomber en silence sur l’herbe verte. C’était agréable comme scène. Un peu mélancolique, je laissais aller mon esprit lorsqu’une silhouette à l’angle opposé attira mon attention. Une silhouette que je connaissais bien trop. Kamen. Lui qui n’était qu’un jumeau pendant de longues années, avait fini par trouver sa place dans ma mémoire. J’étais contente de pouvoir les distinguer à présent, bien que terriblement honteuse de ne pas avoir pu le faire plus tôt. Oxana avait toujours su les différencier, mais, je n’ai jamais pu pendant longtemps. Dorénavant, je remarquai une légère différence dans leurs démarches, dans les marques sur leurs peaux, sur leurs expressions.
Depuis que j’étais arrivée à Poudlard, je n’avais pas vraiment eu de grandes conversations avec eux. Kamen me manquait, c’était indéniable. Nous nous étions rapprochés durant mes dernières années à Poudlard, puis, le temps passant, notre lien s’était à nouveau fragilisé. Je n’étais pas douée en relation humaine, c’était un fait. Le problème étant que personne dans la famille n’était vraiment doué pour cela, donc, il fallait redoubler d’effort pour entretenir et renforcer nos liens.
Marchant calmement dans le couloir de pierres, je me rapprochai de plus en plus de mon cadet. Puis, je tendis la main alors qu’il me tournait le dos. J’aurais voulu poser ma main sur son épaule, dans ce geste doux auquel j’étais accoutumée mais me retins au dernier moment. Serrant la main en un poing, je baissais celle-ci. Elle alla rejoindre sa pareille en bas de mon corps d’où je plaçai croisées.

« Kamen… »

Son prénom, prononcé simplement. Je ne savais quoi dire de plus. Je craignais une réaction électrique de sa part. Réaction qui serait amplement justifiée d’ailleurs. Et puis, je remarquai qu’il était réellement seul. Ni Yassen, ni Oxana ne semblaient être dans les parages, ce qui me rasséréna légèrement.

Cette tonalité dans la voix. Cette façon froide de prononcer quelques mots à mon égard. J’en étais que trop bien habituée. Raison pour laquelle, sans doute, cela ne me faisait plus rien. Bien évidemment l’attristement était là, bien présent, lourd au plus profond de mon cœur. Toutefois, rien ne paraissait plus sur mon visage. D’une certaine façon, je méritais cette réaction. Je n’étais pas la digne sœur aînée que j’aurais dû être. Alors, je n’avais pas à me plaindre qu’il réagisse ainsi. Je ne méritais pas une plainte, alors, je restais paisiblement calme. Après tout, il m’avait parlé. Il aurait pu m’ignorer et continuer son chemin en faignant de m’avoir entendu.

« Est-ce une si mauvaise chose que celle de vouloir saluer son frère ? »

Ne pas poser ma main sur son épaule. Ne pas esquisser un sourire trop prononcer. Il me fallait simplement rester là, devant lui, un regard doux accroché au visage. J’avais l’envie terrible de lui parler. De profiter à nouveau de ce moment rien qu’à nous deux afin d’échanger quelques mots. Je voulais qu’il m’hurle dessus s’il le devait. Sa colère importait peu. Elle montrait tout simplement qu’il ressentait quelque chose, et c’était bien mieux que l’ignorance. Nous manquions de communication dans la famille. Nous ne savions pas discuter, calmement autour d’une table. Tout finissait toujours en bain de sang, avec des mots dits plus haut que d’autre. C’était éreintant, mais, c’était sans aucun doute la signature des Yordanov.
Toutefois, Kamen et moi avions pu nous prouver, pendant un petit instant, il y avait de ça quelques années, que nous pouvions parler. Nos conversations étaient plaisantes, calmes, avec quelques sourires parfois. Je savais que mon départ de Durmstrang n’avait pas aidé, et je me repentais que tout ait mal tourné par la suite. Que tout se soit volatilisé si vite. J’avais sans doute mis trop d’optimisme dans notre relation. Je pensais notre lien plus solide… J’avais été naÏve.

« Ne veux-tu pas me parler ? Ne serait-ce qu’un peu ? »

Dis-je alors, un peu incertaine. Je voulais entendre le son de sa voix. Je voulais savoir comment cette nouvelle vie anglo-saxonne se passait pour lui. Je voulais connaître son avis sur le système de fonctionnement de Poudlard. Etait-il aussi surpris que le fût Zahari ? Avait-il pu prendre ses marques ?

« Tu as le droit d’être énervé, tu sais. Je sais que je ne suis pas méritante d’autre chose pour le moment. »

Décidai-je finalement d’ajouter. Puis, je ne dis plus rien. Un frisson parcourut mon échine, et je frottai doucement mes bras avec mes mains pour me réchauffer un peu. Un gilet n’avait peut-être pas été suffisant. Je jetai un rapide coup d’œil sur la cour. Sur cette pluie incessante, qui rendait le moment si singulier. Puis, je reportai mon attention sur mon cadet, dans l’attente d’une réaction, quelle qu’elle soit, de sa part.

J’attendais que cette atmosphère lourde et tendue s’effondre. Je savais que cela ne saurait tarder. Je savais aussi que j’allais très certainement avoir mal. Cependant, cela ne me faisait pas peur. Je n’avais plus peur des réactions des membres de ma famille depuis bien longtemps. Je préférais bien plus une explosion à un silence de mort, rempli de secrets et de frustrations. Ainsi, je cherchais à provoquer cela en Kamen. Des mots simples. Des phrases pourtant sincères et remplies de sens. Des termes qui ne feraient qu’empirer la colère et le dégoût qu’il ressentait à mon égard. C’était le but. Je voulais qu’il déborde et qu’il explose. C’était ainsi que nous allions mieux après. Il fallait savoir mettre des mots sur des ressentis, quitte à les hurler avec rage. Avec mes petites questions, j’agissais comme l’enfant qui pousse le serpent de la boite d’un bâtonnet, qui attend de voir une réaction qu’il sait déjà par avance sera violente.

Je n’eus pas à attendre bien longtemps. Ses mains fermement posées sur mes épaules, il me poussa de toute force contre le mur le plus proche. Mon souffle se coupa pendant une fraction de seconde sous le choc. Je sentais déjà un hématome naître sur une de mes omoplates. Cependant, cela n’avait pas d’importance. Je laissais un visage neutre se peindre, serrant les dents sans rien dire. Kamen hurlait. La pluie même cachait à peine ses cris. « Le bâtard est un meilleur frère, n’est-ce pas ? » Le même problème revenait à chaque fois. Le même sujet houleux : Zahari. Que les querelles se fassent avec Kamen, son frère ou Oxana, c’était toujours la même rengaine qui revenait. Toujours cette même situation qui me faisait, une fois de plus, réaliser que personne n’y comprenait rien dans cette famille. Que notre père avait réussi à manipuler ses enfants avec brio, insinuant dans leurs esprits une pensée fausse. C’était écœurant. Je me battais maladroitement contre cela depuis toute petite. Et, je savais que je me battrais contre cela pour encore bien des années.

« Lorsque j’ai quitté l’école, Kamen, je ne le voyais pas plus que je te voyais toi. »

Dis-je simplement, d’un ton calme et posé. C’était la vérité. La différence était que Zahari m’avait accepté comme étant son aînée depuis bien plus longtemps que Kamen ne l’avait fait. Ainsi, les nouvelles clairsemées dans le temps avaient été plus supportables. Zahari m’avait ouvert une porte que le jeune homme avait tout juste réussi à entrouvrir. Je savais que j’aurais dû prendre plus de temps, être moins optimiste. Cela avait été mon erreur mais…

« Que crois-tu ? Que lorsque j’ai quitté Durmstrang, je suis partie faire des bouquets de fleurs dans une jolie prairie pendant des mois ? Que je me suis tourné les pousses pendant tout ce temps ? Crois-tu que pendant que vous étiez en train de vous saigner dans cette fichue école, j’ai ignoré vos situations ? Qui est restée au chevet de mère pendant ces longs mois tout en travaillant à coté ? Dis-moi qui, Kamen ! »

Ajoutai-je alors. Je n’étais pas en colère. J’étais sans doute un peu triste. J’étais également épuisée d’être celle définie comme ne faisant rien, comme réussissant tout sans lever le petit doigt. C’était éreintant.

Je voyais parfaitement dans son regard, dans sa posture, qu’il ne croyait pas un traitre de mes mots. La maigre confiance que nous avions réussie à construire entre nous deux s’était évaporée. J’aurais aimé penser que cela ne serait pas définitif, qu’il y avait encore de l’espoir… J’avais bien du mal. Toutefois, une partie de moi savait que je ne laisserai pas tomber. J’étais tenace, et terriblement têtue. Mais, malgré mes vingt jeunes années, je commençais, jour après jour, à me sentir épuisée par toute cette situation. Je n’étais pas parfaite. Je n’avais pas la prétention de vouloir l’être. Je voulais simplement me montrer forte, parce que c’était ainsi que j’avais été éduquée. J’étais à la tête d’une famille désuète de tout sens et de toute bonté. J’étais la première enfant, mais la plus invisible. Les efforts avaient difficilement payés, et cela me pesait de plus en plus.

Je ne voulais pas perdre patience. Pas face à Kamen. Mais que faire d’autre ? J’en avais assez d’être l’aînée envers qui les préjugés allaient de bon train. Pourquoi, tous autant qu’ils étaient, en étaient-ils venus à penser que tout m’était venu tout cuit sur un plateau ? Etais-je née avec une cuillère en argent dans la bouche ? Certainement pas. Alors, pourquoi ? J’avais bien du mal à comprendre. L’autre problème étant que pour se comprendre, il aurait fallu que nous communiquions, ce qui semblait plus qu’impossible à faire.
Kamen leva le poing, et je ne cillai pas d’un centimètre. Je restai persuadée qu’au fond, il n’en viendrait pas à me frapper. Il n’était pas aussi violent qu’Oxana. Il était également bien loin de l’image de notre père. Alors, je le fixai sans rien ajouter de plus, attendant la sentence. Le coup tomba, et ses phalanges allèrent s’écraser en un bruit sourd sur la pierre. J’aurais voulu saisir sa main ensanglantée, l’envelopper dans du tissu pour couper le saignement, mais ne fis rien. Je savais que cela ne serait pas bien reçu. Ce n’était pas le bon moment. « Tu crois être la petite sainte de la famille hein, tu veux une médaille ? Tu crois que tu es la seule à tout savoir ? ». L’imbécile. Quelles choses insensées il venait de dire là. J’avais été la première à savoir mais, au final, j’avais été celle qui leur avait fait part de ses terribles secrets qui rampaient dans les murs du manoir. Avait-il à ce point oublié ce repas où j’avais lancé, non sans penser aux conséquences, ce qui s’était passé et se passait encore dans la chambre de notre pauvre mère ? Il s’écartait de moi, et je décollai mon dos du mur, non sans une douleur aux épaules.

« Je n’ai jamais eu la prétention de dire que j’étais parfaite. Je ne le suis pas, et je ne le serai jamais. »

Dis-je simplement en retour. Je parlais à un sourd. Je me défendais d’arrache-pied en sachant pertinemment que de toute façon, je portai sur mon front une étiquette faussée depuis trop longtemps déjà.

« Je suis venue pour avancer, Kamen. Chaque jour est un supplice de savoir qu’elle est seule là-bas avec ce fou. Mais, plus rien ne peut être fait pour elle. Son âme s’est envolée, elle survit mais, pour encore peu de temps je le crains… »

La voix grave, le regard triste. Je ne savais que dire de plus. La décision avait été difficile. Je n’étais pas partie joyeusement lorsque Zahari m’avait proposé de venir avec lui. Mais, j’avais décidé de le faire malgré tout. Zahari avait été le seul à faire quelque chose pour me tirer de là. Sans sa proposition, je serai sans doute toujours enfermée dans ce fichu manoir à me battre contre un père noyée dans sa folie.

« Tu sais, je vais aller la voir. Aux prochaines vacances. Zahari veut venir avec moi, et, je pense que tu devrais venir aussi. »

Ajoutai-je alors. Je savais que présenter Zahari dans le tableau n’était pas une bonne idée. Mais, j’espérais malgré tout que l’idée ferait son bout de chemin. Qu’il crache sur l’idée aujourd’hui m’importait peu. Les vacances n’étaient pas pour tout de suite. Il aurait le temps d’y réfléchir.

J’avais failli. Une nouvelle fois. Une énième fois. Je ravalais mes larmes. Il était hors de question que je montre quoi que ce soit. Il fallait que je tienne bon, que je garde cette bonne figure. Les doigts crispés sur le bord des manches de mon gilet, je laissais la barrière de tissu protéger ma peau de mes ongles… sans quoi, mes paumes se seraient surement vues prendre une teinte rouge. Je ne voulais pas baisser les bras, et, d’une certaine façon son « Je verrai. » m’avait donné une once suffisante d’optimisme pour tenir encore debout.
« Je vais te laisser maintenant, nous n’avons plus rien à nous dire. » Il mentait. Lui-même le savait. Nous avions, au contraire, tant de choses à nous dire que nous étions incapables de tenir une conversation. Nous ne savions plus par où commencer. Il se renfermait, encore et toujours un peu plus. Toutefois, j’étais également à blâmer. J’étais presque incapable de montrer mes sentiments, de dévoiler cette douleur qui puisait dans mon sommeil chaque nuit. Cela ne pourrait durer encore bien longtemps. Je m’essoufflais, mais essayais tant bien que mal de ne rien montrer. Ils avaient déjà tous leurs soucis, et ma présence n’aidait en rien. Alors, je ne pouvais pas me morfondre. Je n’en avais pas le droit.

« Au revoir, Kamen. »

Dis-je simplement, plus bas que je n’aurais voulu. J’attendais qu’il tourne les talons. Je glissais mon regard sur sa main, voulant panser cette plaie. Il ne me laisserait pas faire, alors, c’était inutile. J’attendais qu’il soit à quelques mètres de moi pour me laisser aller. Mes jambes lâchèrent, et je dus me retenir à une colonne pour ne pas tomber. Mon regard se perdit sur mes mains tremblantes. Je calmais tant bien que mal ma respiration saccadée. J’étais seule. La pluie comme seule compagne après cet échange raté. Je resterai là encore quelques minutes, de peur de rentrer dans ce château. De croiser Yassen, ou encore Oxana. Je ne pourrais tenir à une seconde rencontre de la sorte, pas aujourd’hui en tout cas.