You call it chaos, we call it family - Ariel & Zoya & Skye

Elle était là, au milieu d’un petit bosquet de buissons. Face à un petit bouleau, elle se tenait droite, les jambes pliées, le fleuret levé. Elle n’était pas bien grande, pas bien large. Et pourtant, elle en imposait. Ses mouvements vifs, sa souplesse, la rage contenue de ses mouvements. Tout en elle montrait qu’elle avait appris depuis longtemps à se battre et qu’elle pouvait écraser la majorité des élèves si elle l’avait voulu. Pourtant, ce n’était pas contre un de ses camarades qu’elle se mesurait à l’instant. Contre un arbre. Ça aurait pu faire sourire mais vu les coups qu’elle lui donnait, même avec ce si léger fleuret, ça n’avait rien de drôle. Derrière cette gestuelle emplie de violence, Skye ne voyait qu’une chose ; la bête.
Comment avait-il pu passer une année entière à observer sa cousine sans voir la bête qui l’accompagnait à chacun de ses pas, il se le demanderait toujours. Le loup transparaissait dans la rage qui brillait dans ses yeux, dans la violence difficilement contenue de ses mouvements, dans les grognements acerbes qu’elle crachait à son entourage. Même dans le fumet de chien qu’elle dégageait. Quelque part, ça l’impressionnait. Il connaissait parfaitement cette fureur brûlante qui vous habite tout entier jusqu’à vous définir. Il était bien trop semblable à sa cousine. Après tout, lui aussi était habité par une bête. Il sentait constamment ce deuxième cœur battre dans sa poitrine. Un cœur fiévreux, désireux de courir, de chasser, d’être seul. Un cœur qui avait peur de la bête qui habitait l’escrimeuse. Et rien de plus dangereux qu’un animal effrayé.

Skye tenta de refouler la panthère et ses sentiments. Il tourna la tête sur le côté pour observer sa sœur qui se tenait à ses côtés avant de reposer son regard sur Zoya. Cela faisait presqu’un an qu’il avait tout fait pour l’éviter. Depuis qu’il l’avait trouvé enchaînée dans la tente, depuis qu’il avait rencontré son oncle. Il avait une certaine peur et il semblait que Zoya aussi ne veuille plus l’approcher. Ça lui convenait parfaitement. Il n’avait jamais apprécié sa cousine. Mais c’était sa famille. Il ne pouvait s’empêcher de s’intéresser à elle, de s’inquiéter pour elle. Dès qu’il en avait l’occasion, il demandait à ses connaissances s’ils savaient si elle allait bien, si elle réussissait ses cours, ce qu’elle comptait faire comme GISIS. Cette ambiguïté de haine-amour le rendait perplexe mais il n’y réfléchissait pas trop. Sauf que… sauf qu’une idée grandissait peu à peu dans son esprit. Un sentiment,  ou un pressentiment. Lorsqu’il pensait à sa cousine, le visage de son père se dessinait trop souvent dans son esprit. Avec la quarantaine, ses amis enfermés, ses disputes avec Kat et ensuite le départ de sa copine, il n’avait pas eu le temps de mettre en place ces pensées. Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus y échapper. Il ne pouvait plus fermer les yeux, il fallait enfin se l’avouer ; la lycanthropie de Zoya et la mort de Mikhaïl un jour de pleine lune en Ukraine n’était pas une coïncidence. C’était impossible.

Skye avait fini par aller voir sa confidente de toujours ; Ariel. Il avait fini par lui exposer son idée, et plus il parlait, plus cela faisait du sens. Mikhaïl qui va en Ukraine, qui tombe sur Zoya un jour de pleine lune, qui l’attaque et la blesse. Mais elle n’est pas tuée, quelqu’un la sauve. Ou quelque chose.  Un animagus ; un tigre blanc. Le félin réduit le lycan en charpie et Mikhaïl ne rentrera plus jamais à la maison. Zoya est traumatisée, les félins la terrorisent. Désormais, la vue d’une panthère des neiges la pétrifie. Tout faisait sens. Grâce à la capacité d'écoute d'Ariel, à ses remarques intelligentes et pertinentes, les pièces du puzzle s’assemblaient enfin. Et Skye n’avait aucune idée de ce qu’il devait ressentir à propos de tout ça. La mort de son père s’expliquait enfin mais il avait l’impression qu’il n’était pas légitime de se sentir furieux. Zoya avait été la victime, pas Mikhaïl.

« Bon, on va lui parler ? » Skye dévisageait Ariel. Il comptait sur elle pour que la discussion ne dérape pas. Elle et Zoya ne s’étaient jamais détestées comme lui et sa cousine. Ariel n’avait pas cette relation d’admiration et d’amour inconditionnel pour Mikhaïl. Elle ne réagirait probablement pas de manière aussi impulsive que Skye. « C’est toi qui parle dans un premier temps, hein ? Sinon ça va tout de suite péter. » Il sourit à sa sœur. Ariel n’était pas reconnue pour son calme, pourtant. Aucun Krushnic ne l’était. Mais l’aiglonne avait quelque chose qui la liait fort avec Zoya. Peut-être qu’aucune des deux cousines ne s’en rendait compte mais elles possédaient un lien qui excluait le griffon. Elles étaient maudites. Alors que Skye avait réussi à devenir animagus, elles souffriraient à chaque pleine lune et subiraient des transformations sans rien pouvoir y faire. Et ce lien, cette souffrance commune, Skye ne pouvait pas le comprendre. Pas vraiment. Bien sûr, il avait sa propre malédiction. Il était devenu d’une grande violence et tout ce qu’il mangeait avec le goût du sang. Mais il avait l’espoir que ce ne soit pas permanent, il ne souffrait pas et ne voyait pas son corps se transformer contre sa volonté. Sans se l’avouer, il espérait que cette expérience commune qui liait sa sœur et sa cousine permettrait que la confrontation ne se termine pas mal. Inconsciemment, il désirait se rapprocher de Zoya. Il aurait voulu pouvoir apprendre l’escrime à ses côtés, et toute autre forme de combat. Car, ce qu’il ne s'avouait pas, c’est que Zoya et lui aussi avaient un lien invisible. Tous les deux étaient habités par une bête.