So why don't we go somewhere only we know? (ft. Kamen)

Il y avait dans Poudlard quelque chose d’assez magique. C’était vraiment différent de ce que j’avais toujours vécu à Durmstrang. Tout autant, j’adore mon école, tout autant, je la trouve assez froide et triste par rapport à l’école britannique. En soi, être ici ne faisait pas de mal. L’endroit était plutôt chaleureux et c’était quelque chose que je ne pouvais pas non plus reprocher aux élèves de ma maison. J’étais certainement dans la maison la plus familiale de l’école. Rien que la soirée de la rentrée aurait pu en être la preuve si nous n’avions pas été malades… Et bien que personne ne sache qui est le coupable, je sentais un vent de rébellion s’élever parmi les élèves jaunes pour le retrouver. Non, vraiment, de ce point de vue, on ne pouvait rien leur reprocher.

Pour ma part, ça me faisait un bien fou. Depuis cette fameuse soirée il y a un an, de nombreux sentiments négatifs m’habitaient. Je n’étais qu’une coquille vide, qu’une fille dont la vie semblait éteinte, sans goût. J’étais au total opposé des élèves de ma maison, on aurait pu croire que je n’y avais pas ma place. Et pourtant, leur joie, leur bonne humeur, leur accueil chaleureux… Toutes ces choses simples et presque insignifiantes me réchauffaient le cœur, me rappelait que l’amitié et la famille étaient des valeurs qui m’aideraient à remonter la pente. Je le savais parfaitement mais revoir Dimitrov ici m’avait fait redescendre au plus profond des abysses. Je ne pourrais pas m’en sortir tant qu’il était là, je le savais.

Il y avait cependant quelques jours, comme aujourd’hui, où j’avais l’impression que je pouvais trouver une demi-seconde de paix. Dans ces moments-là, j’essayais simplement d’éviter Dimitrov, d’éviter ce qui déclenche habituellement mes peurs. Le meilleur moyen pour cela était encore d’aller profiter de l’extérieur du château. Me voilà donc dans le parc, traînant les pieds dans l’herbe sans trop savoir où j’allais ni ce que j’allais faire. J’avance, profitant de cet air frais sur mon visage. Mes cheveux roux en bataille au-dessus de l’écharpe de ma maison, mes mains emmitouflées dans les bords pendants de cette dernière. Je n’aimais pas les gants, je n’aimais pas spécialement les poches mais j’adorais les enrouler dans mon écharpe. Je perds mon temps à traîner. Il n’y a rien à faire pour moi ici mais peu importe. Je regarde la buée qui s’échappe de mes lèvres alors que j’avance. J’erre dans le parc tout simplement.

Pendant un instant, je songe à rentrer. Puis l’instant d’après, à m’asseoir au pied d’un arbre pour lire le livre qui occupe le sac posé sur mon épaule. Je ne pars jamais sans un livre, ce sont mes seules échappatoires. Indécise, comme à mon habitude, j’hésite longuement et me voilà plantée en plein milieu du parc, sans trop savoir quoi faire, une fois de plus. Je finis par me décider et cherche le recoin parfait pour poser mes fesses. Je souris en voyant cet arbre, planté un peu à l’écart du chemin qui dessine le parc. Certaines branches sont basses et retombent, lui donnant un air triste. Comme moi. Comme si cet arbre m’attendait, je décide d’aller m’asseoir sous ses branches et sors mon livre. L’endroit est parfait et me ressemble. Ma lecture sera tranquille ici. Je finis par sentir du mouvement, proche de moi. C’est suffisant pour me faire sortir de ma bulle. Je lève la tête pour voir Kamen.

Kamen. Mon meilleur ami. Mon double, mon partenaire, mon duo. Il peut porter tous les noms qu’il veut, c’est lui qui me connaît le mieux. Et pourtant, je suis incapable de lui dire quoique ce soit. De dire ne serait-ce qu’un mot de cette nuit qui me hante. Et si cette journée qui semblait un peu mieux que les autres était celle qu’il me fallait pour tout lui dire ? Peut-être y arriverais-je aujourd’hui ? On verra bien. Je n’y crois simplement pas.

Le jeune Serpentard a appris la mort de son frère il y a une semaine maintenant. Mais il a l'impression que c'était hier. Que c'était hier qu'il lisait les mots de sa mère, alors qu'il était en compagnie de Lou. Que c'était hier qu'il avait vu tout son monde s'effondrer. Que c'était hier que les Yordanov étaient morts. Zahari n'était pas un Yordanov comme les autres, et pourtant, il les unifiait tous, sans le savoir. Même si la plupart des membres de la famille le haïssait, il était un pillier. Il était le bâtard, et il avait été tué. Kamen était persuadé que sa mort allait changer beaucoup de choses, mais pas forcément en bien. Il avait peur pour sa mère. Sa mère pour laquelle il se sentait coupable. Sa mère qui avait été violée pour le mettre au monde, lui et son frère. Une mère qui n'aurait jamais du endurer tant de souffrances. Kamen essayait de relativiser, mais ce n'était pas possible, il tournait en rond, et la salle commune l'empêchait de réfléchir. Il fuyait Oxana et Yassen. Ces deux-là ne semblaient pas aussi troublés que lui. Il aurait pu aller se réfugier auprès d'Ilia, mais leur relation n'était pas toujours cordiale. Il se sentait seul, et dans ces moments là, il n'avait que Lou à qui parler. Mais elle n'avait pas su trouver les mots pour l'aider. La seule qui le pourrait, il savait où la trouver. Antonina adorait l'extérieur du château. Depuis leur arrivée à Poudlard, elle ne parlait pas beaucoup. Kamen avait mis cela sur le compte de l'éloignement de la maison, sur le fait qu'ils n'avaient pas été répartis ensemble, mais il désespérait à l'idée de perdre son amie. Même à Durmstrang, elle n'était pas aussi distante, pourtant, elle avait ses moments de vide la jolie rouquine. Alors, il veillait sur elle, comme il l'avait toujours fait, mais de loin. Il savait qu'elle aimait beaucoup lire dans le parc certains après-midi. Son instinct le guida jusqu'à l'extérieur du château. Au moins, il pouvait profiter de l'air frais de l'hiver. Il avait passé noël loin de la Bulgarie, pour la première fois de toute son existence. Évidemment, à Poudlard, la fête avait été magnifique, mais souvent, il se demandait commence ce serait passé noël si ils étaient rentrés. Est-ce que Zahari serait resté en vie ? Il ne servait à rien de refaire le monde avec des si, il le savait bien. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher.

Il la vie sous un arbre, sûrement un châtaignier. Elle lisait, paisiblement. Il essaya de ne pas faire trop de bruit, s'approcha discrètement. Mais elle leva la tête et le démasqua. Un mouvement de surprise s'empara d'elle, et Kamen s'avança jusqu'à elle pour prendre sa main et la rassurer. « Ce n'est que moi Nina. » Ce genre de réactions arrivait souvent quand elle avait peur, mais Kamen ignorait pourquoi. Avant, elle n'avait pas peur. L'amitié qui les liait était une amitié pure, et c'était certainement l'amitié la plus improbable qui pourrait exister entre un sorcier et une sorcière. Elle est inoffensif, il est toxique, et pourtant, ils se sont trouvés pour ne jamais se perdre. Mais pour cela, il faudrait que Nina arrête de le fuir. Kamen s'assit près d'elle, dans la neige. Le froid de celle-ci est beaucoup plus doux que celui de Bulgarie. « Je ne te dérange pas j'espère ! » Elle était en pleine lecture, et Kamen sait qu'elle déteste être interrompue. Mais il ne veut pas s'en aller. Il l'a trouvé, et il veut lui parler, se confier, et qu'elle en fasse autant. « Je te cherchais... Je ne t'ai pas vu au repas ce midi. » Il savait que la jeune femme manquait quelques repas, pourtant elle lui avait promis d'arrêter sa grève de la faim. Il posa un bras autour des épaules de sa meilleure amie, geste réconfortant et protecteur. Rien ne les séparerait.

Il y avait deux choses que je n’aimais pas particulièrement. La première était d’être interrompue dans mes lectures. J’étais un rat de bibliothèque et j’avais tendance à rentrer dans un monde à part lorsque je lisais. J’entrais dans l’imagination, rejoignais un monde qui n’appartenait qu’à moi et vivais de nouvelles aventures aux côtés des personnages de mes romans. C’était quelque chose que je faisais depuis que j’étais toute petite, depuis que j’avais lu mon premier livre. La lecture était ma plus grande passion, tout le monde le savait. Je ne passais pas une journée sans lire quelques pages et interrompre ce moment qui m’appartenait était souvent une mission suicidaire. La deuxième était d’être dérangée de façon… Surprenante. Depuis l’année dernière, j’avais cette peur irrationnelle du moindre bruit, d’être seule dans une pièce, d’être touchée. Si les gens savaient ce qui m’était arrivé, ça leur semblerait peut-être logique. Mais personne ne savait et ne comprenait ce qui m’arrivait. J’avais trop peur d’en parler.

Pourtant, il s’agissait là de Kamen. Avec lui, c’était différent. Il savait que je n’aimais pas être dérangée mais je n’arrivais pas à l’engueuler. Il était la personne qui me connaissait le mieux et je savais que je pouvais lui faire entièrement confiance. Pourtant, j’étais incapable de lui parler. Il était le seul à avoir percé un morceau de ma carapace. Il avait réussi à me faire manger à nouveau alors que je n’en avais plus la moindre envie. Une partie de moi se laissait tout simplement mourir. Il l’avait empêchée de continuer. Un jour, je réussirai à lui parler, à lui dire tout ce que j’avais sur le cœur. Mais lorsque je regardais dans son regard, j’avais peur. Simplement peur. Il prend ma main pour me rassurer après s’être approché trop discrètement. Je ne peux pas retenir ma peur et il sait à peu près la contenir. On est assis dans la neige, peu gênés par le froid. Il faut dire que c’était habituel pour nous à Durmstrang. Je repose mon marque-page et ferme mon livre, consciente que je ne lirai pas plus pour le moment.

Je ne réponds pas lorsqu’il demande s’il me dérange. Bien sûr que non. Il ne dérange jamais. Si lui me dérangeait alors n’importe qui me dérange. Lui, c’est mon meilleur ami. Il n’aurait même pas besoin de frapper pour entrer chez moi tellement je lui fais confiance. Je n’ai pas besoin de répondre à ce genre de questions. Je me contente simplement d’attendre la suite. Qui ne tarde pas à venir.

« J’avais pas faim. »

Je sais que je lui ai promis de manger plus, de ne pas sauter de repas… Mais à force de ne pas manger, je n’avale plus grand-chose. Lorsque je fais un repas par jour, c’est déjà beaucoup pour moi. Je ne vais pas me forcer non plus. Je pense que de ce côté-là, il ne dira rien. Je fouille rapidement dans mon sac et lui montre des barres chocolatées avant qu’il ne dise quoique ce soit.

« J’ai prévu ça au cas où ça change. »

Je remets tout dans le sac, mon livre y compris, avant qu’il ne passe son bras autour de mes épaules. Je me raidis, je le sens. Je sais qu’il ne pense pas à mal mais j’ai du mal avec le contact physique à présent. En temps normal, j’aurais été la première à passer mon bras autour des siennes en retour mais je n’y arrivais plus. Me prendre la main comme il l’avait fait tout à l’heure pour me rassurer, ça passait. Mais là, je ne me sentais pas très à l’aise. Je me dégage de son étreinte doucement et me tourne pour lui faire face. Pour m’éloigner un peu.

« Tu me cherchais pourquoi au fait ? »

J’essaie d’agir normalement. Je suis dans une bonne journée, je peux faire des efforts. Il s’agit de mon meilleur ami, il faut que je prenne sur moi, que je parle un peu plus. Je ne sais pas si je m’intéresse aux autres pour qu’ils ne s’intéressent pas à moi et mes problèmes ou si c’est pour ne pas penser à tout ce mal qui me ronge de l’intérieur. Je suis consciente de tout ça et je crois que c’est là le pire. Parce que je ne sais pas comment m’en sortir.

« J’avais pas faim. » Kamen la regarde avec un air désapprobateur. Elle ne peut pas ne pas avoir faim. Il n'est pas dans sa maison pour la surveiller, mais il ne peut pas s'empêcher de vouloir la protéger, la réprimander comme une petite fille. Un instant de grand frère, alors qu'il a toujours été le petit frère. Il ne dit rien pourtant, parce qu'il voit qu'elle a dans sa main des barres chocolatés au cas où elle ait faim plus tard. Il lui sourit malicieusement, au moins, elle ne se laissera pas mourir de faim. Pas comme l'année dernière, où elle n'était qu'une épave. Elle a repris des couleurs la petite Nina, et Kamen veut à tout prix qu'elle les garde. Un jour il comprendra ce qu'il lui est arrivé, pourquoi elle a changé d'attitude ainsi, mais pour l'instant, elle ne veut rien lui dire, il respecte cela. Après tout, lui même ne lui a pas parlé de toute l'histoire de sa famille. Mais il a besoin de vider son sac. Puis, elle se dégage. Elle n'essaie même pas de s'appuyer contre lui, alors qu'il lui propose son soutien. Ils ont toujours été très proches autrefois, malgré les moqueries d'Oxana qui n'arrêtaient pas de poule mouillée. À Durmstrang il n'était pas rare qu'ils s'allongent dans l'herbe au printemps, et qu'ils regardent les nuages. Aux côtés de Nina, Kamen était plus calme, plus posé. Mais elle le rejetait. Elle le rejetait alors qu'il avait besoin d'elle, et qu'au fond, elle avait certainement besoin de lui aussi. Il tiqua en voyant sa réaction, mais ne dit rien, il n'avait pas envie de créer de disputes. « Tu me cherchais pourquoi au fait ? » Kamen la regarde, des yeux ronds. Elle lui parle sans douceur. Elle n'a pas le ton apaisant de d'habitude, et il ne sait plus si il a envie de lui parler comme il avait prévu de le faire d'habitude. Il se détache un peu d'elle, regarde au loin, et grommelle dans sa barbe. « Pour rien... » Kamen n'est pas quelqu'un de grognon pourtant, il ne montre pas ses émotions, mais là, il est vexé. Elle le repousse et il ne comprend pas.

Il regarde le paysage, les oiseaux qui volent au-dessus d'eux. Il voit d'un œil la forêt interdite, au loin. Il se dit qu'une petite balade au milieu des créatures, centaures, licornes, et autres bêtes pourraient être un moyen de se changer les idées. Finalement, il ferait mieux d'essayer de faire son deuil seul. Il l'a toujours été dans sa vie. Entouré, mais profondément seul. Dans son enfance, ils suivaient Oxana et Yassen. À Durmstrang, il était avec Lou, faisait quelques combats, mais n'a trouvé passion que dans ses poisons. À Poudlard, même ses plus proches amies ne pouvaient pas l'aider. Ne compter que sur lui même, voilà ce qu'il lui restait à faire. Il se tourna vers Antonina, les yeux pleins de colère. « Tu peux me repousser tant que tu veux, mais il faudra bien un jour que tu m'expliques pourquoi. Je suis là ! DEVANT TOI. Pourquoi me rejeter alors que j'essaye de t'aider ? Tu veux donner raison à ces gens qui disent qu'on ne devrait pas être amis ? Tu ne me fais pas confiance ? MERDE. » Il tape du poing contre la neige, fait un trou et laisse l'herbe gelée se dévoiler lorsqu'il relève le bras. Il peut facilement se mettre en colère, il n'est pas violent pourtant, impulsif oui, mais pas violent. Peut-être est-ce à cause du club de combat à Durmstrang. Il détourna le regard de Nina. Tant pis si elle ne voulait pas l'écouter. « Tu sais... moi aussi je vis des choses difficiles. Mais je n'ai pas peur d'avouer que j'ai besoin de toi. Parce que je sais que tu es la seule personne qui pourra m'écouter. » Sa voix tremble, il le sait bien. Il n'aime pas ça. Il redoute le moment de le dire à haute voix, et pourtant, il faudra bien que ça sorte. Mais pas tout de suite. Il ne s'ouvrira à elle que lorsqu'elle s'ouvrira à lui.

« Pour rien. »

Je baisse les yeux. J’ai à peine entendu sa réponse. Kamen n’est pas quelqu’un de grognon, pas avec moi en tout cas. Mais je sais parfaitement que je ne suis plus la même et que ça a atteint notre amitié. Je regarde le sol parce que je m’en veux, parce que je sais que je n’agis pas comme il faut avec lui, parce que ce n’est pas moi tout simplement. Je crois que le pire dans cette histoire, c’est que je suis consciente de ne pas agir comme je le devrais avec lui. Pourquoi avait-il fallu que cette nuit change tout dans ma vie, y compris ma plus belle amitié ? Pourquoi n’avais-je pas suffisamment confiance en nous pour tout lui dire, pour qu’on résolve tout ça ensemble ? A quel moment avais-je commencé à croire que garder le silence et porter ce fardeau seule ? Je relève la tête pour voir son regard empli de colère.

« Tu peux me repousser tant que tu veux, mais il faudra bien un jour que tu m'expliques pourquoi. Je suis là ! DEVANT TOI. Pourquoi me rejeter alors que j'essaye de t'aider ? Tu veux donner raison à ces gens qui disent qu'on ne devrait pas être amis ? Tu ne me fais pas confiance ? MERDE. »

Son poing s’éclate contre la neige, la marquant d’un trou. Lorsqu’il a élevé la voix, j’ai sursauté. Pour la première fois depuis que je le connaissais, Kamen venait de vraiment m’effrayer. Et il avait entièrement raison, je ne pouvais pas le contredire. Il y a tellement de choses que je voudrais lui dire, j’en suis incapable. J’ai peur qu’il ne me croit pas. J’ai peur de dire ces choses à voix haute parce que ça serait admettre leur existence. Leur vérité. Je ne veux pas. Je ne PEUX pas. Je sais pourtant que je vais devoir le faire parce que notre amitié devient critique. Je risque à tout moment de le perdre et je ne peux encore moins perdre Kamen. Je me tortille les mains, hésitante. J’ai envie de lui dire les choses. Je n’y arrive simplement pas.

« Tu sais... moi aussi je vis des choses difficiles. Mais je n'ai pas peur d'avouer que j'ai besoin de toi. Parce que je sais que tu es la seule personne qui pourra m'écouter. »

Sa voix tremble mais elle est un peu plus calme. Je relève le regard vers lui. Là encore, il a raison. Je n’ai pas admis avoir besoin des autres pour m’en sortir. Ai-je admis être venue ici pour éviter Dimitrov et tenter d’avoir une vie normale ? Non plus. Pas à ce moment-là. Peut-être qu’il est temps de l’admettre. Peut-être qu’il est temps d’admettre que Kamen est la seule personne qui m’écoutera sans me juger, sans me prendre pour une idiote et qu’il est le seul à pouvoir me sortir de là. Je baisse la tête vers mes mains, continuant ma nouvelle manie. Je suis angoissée à l’idée de parler. Je garde tous ses mots en tête parce qu’ils dégagent une force qui peut me rendre plus courageuse. Lui aussi a des choses à me dire. Il s’est visiblement passé quelque chose pendant les vacances. Et ce n’est plus à lui de faire le premier pas, j’en suis consciente.

J’ouvre la bouche. Je la referme. Je baisse les yeux parce que je n’arrive pas à le regarder. Je ne peux pas lui dire ce qui m’arrive… Les larmes me montent aux yeux d’angoisse. Je serre le pan de mon manteau un peu plus et me force à dire les choses. Il serait temps.

« Je… Euh… J’ai… »

Comment je lui annonce ça ? Franchement, comment je dis à mon meilleur ami que j’ai été violée l’année dernière ? Je ferme les yeux, contenant mes larmes. J’inspire un grand coup. Je continue de fixer le sol, la neige blanche dans laquelle j’ai envie de m’enfouir de honte. Je commence d’une toute petite voix. Je ne suis même pas sûre qu’il m’entende.

« Tu te souviens du bal du solstice d’hiver l’année dernière ? »

Ok, ça peut être un bon début. Commencer par là. Il savait parfaitement que j’étais avec Dimitrov à ce moment-là. Pourtant, j’ai l’impression que ma voix flanche. Je ne suis pas sûre d’arriver à continuer. Je lève le regard vers lui, je veux retrouver le courage dans ses yeux. Je vois qu’il veut m’encourager à parler. Il est temps de ne plus porter seule ce fardeau.

« Et bien on est allé dans une salle vide avec… » Je m’arrête un instant, bloque sur son prénom et regarde Kamen d’un air implorant. « Tu sais comment il est… » Ma voix devient plus hésitante à chaque phrase et je ne sais pas si je vais réussir à dire la phrase suivante. « Il m’a… » Je déglutis, reprends une longue inspiration et la phrase s’échappe de ma bouche dans un murmure à peine audible. « Il m’a violée. »

Je lâche mon manteau, remonte mes genoux et enfouis ma tête à l’intérieur. Je sens les larmes couler le long de mes joues. Oui, c’est ça. Il m’a violée. Il a pris ma virginité. Il m’a arrachée un morceau de ma vie, de ce qui me rendait moi. Ma voix tremble au gré de mes larmes.

« J’ai pas pu l’en empêcher, il m’effrayait trop. »

Il y a des millions d’autres choses que j’ai envie de dire mais mes larmes prennent le dessus. Mes cheveux les cachent mais pas ma voix.

« C’est pas toi le problème. C’est moi. Juste moi. »

Parce que j’ai été idiote et naïve de croire que Dimitrov pouvait être un prince charmant. Parce que je l’ai été encore plus en croyant pouvoir gérer ça seule. Je ne suis qu’une coquille vide, incapable de réfléchir finalement. Une coquille vide, idiote et naïve.

En quelques secondes, tout peut changer. Tout peut basculer. Kamen regarde Nina, des yeux encourageants, pour l'inviter à parler. Il s'en veut de s'être mis en colère, il sait qu'elle a eu peur, il l'a vu sursauter. Mais il avait besoin d'un déclic, qu'elle se décide enfin à lui faire confiance. Il n'aurait jamais pensé que la suite se déroulerait ainsi. Il savait que quelque chose s'était passé, mais il ne pensait pas à ça. Il l'écoute attentivement, sa voix tremble, il a envie de la toucher, pour l'inciter à parler, mais il la laisse prendre son temps. Elle lui parle du bal et il ferme les yeux pour visualiser l'évènement. Il se souvient très bien de cette fête à Durmstrang. Lui et Yassen avaient prévu d'y faire une petite apparition, puis de faire une fête clandestine dans les cachots de l'école. Les bals, très peu pour eux, ils étaient des adeptes des fêtes où l'alcool coulait à flot et les filles étaient en petite tenue sexy. Mais Kamen voulait y faire un tour tout de même, pour Lou. Il savait que cette fête était importante pour la jeune brune. Il avait aperçut Nina ce soir-là, en compagnie de Dimitrov. Kamen n'était pas vraiment proche du garçon, mais il n'avait rien contre lui. Il avait une mauvaise réputation, mais qui à Durmstrang n'en avait pas ? Il n'aurait jamais pu imaginer qu'il aurait... violé Nina.

Il la regarde avec des grands yeux, croyant à une blague, mais il voit bien qu'elle ne plaisante pas. Elle a l'air tellement détruite, ça lui fait mal au Serpentard. Il a envie de meurtre, il a envie de tuer celui qui a fait souffrir sa meilleure amie. Comment a-t-il osé ? Kamen sent la colère monter, se transformer en haine, en rage. Et Nina à côté se recroqueville sur elle-même, elle, même si elle ne lui raconte pas les détails, il imagine ce que l'autre salaud a pu lui faire. Il se sent impuissant, il s'en veut de ne pas avoir été là pour la défendre. Il comprend mieux son attitude. Et il veut que cela change. Il ne veut plus qu'elle ait peur. « C’est pas toi le problème. C’est moi. Juste moi. » Elle ne peut pas culpabiliser, elle n'y est pour rien. Alors Kamen se voit à la place de Nina, lui-même, quand il était plus jeune. Il se voit regarder par l'ouverture de la porte sa mère se faire battre. Cette scène a changé sa vie, car c'est après celle-ci qu'il a commencé à s'empoisonner. Il culpabilisait et il avait besoin de se punir, de se soigner. Mais Nina n'a pas besoin de s'en vouloir, elle est pure, elle n'y est pour rien. Elle ne peut pas contrôler les pulsions d'un pauvre idiot. « Non... Non Nina... Ne dis pas ça. Tu n'es pas un problème, tu n'y es pour rien. Par Thor, si j'avais ce salaud face à moi... je... je crois bien que je le tuerai. Dire qu'il faisait le gentil... si j'avais su... si j'avais su Nina. » Kamen a la voix qui tremble, parce qu'il a l'impression qu'il ne pourra jamais aider Nina. Elle est brisée, à cause d'un pauvre type, et il ne peut rien faire. Il s'approche lentement, et pose doucement ses bras autour de Nina, lui caresse les cheveux doucement. Il la frôle, ne s'appuie pas sur elle, si bien qu'elle ne peut pas sentir un poids sur elle, mais plutôt une plume, une douce plume prête à la réconforter. « Je suis là maintenant... Je vais te protéger. » Il aimerait lui demander si elle veut se venger, si il peut faire quelque chose, peut-être empoisonner Dimitrov... mais il ne sait pas comment s'y prendre. Il sait qu'elle veut oublier, et qu'elle n'y arrive pas. Il pourrait lui fabriquer une potion pour enlever ce mauvais souvenir, mais il n'ose pas lui proposer. Pour la première fois de sa vie, Kamen ne veut pas imposer ses idées.

« Non... Non Nina... Ne dis pas ça. Tu n'es pas un problème, tu n'y es pour rien. Par Thor, si j'avais ce salaud face à moi... je... je crois bien que je le tuerai. Dire qu'il faisait le gentil... si j'avais su... si j'avais su Nina. »

Je relève la tête et plante mon regard dans celui de mon meilleur ami. Si tu avais su, quoi ? Qu’aurais-tu fait ? Qu’aurais-tu pu faire pour empêcher ce que je n’ai pas réussi à empêcher. Qu’aurais-tu apporté de plus à cette soirée qui n’est qu’un cauchemar ? Qu’aurais-tu fait à Dimitrov ce soir-là pour me venger ? Parce qu’il s’agit bien là de vengeance. Le mal est fait. Tout ce qui suit, tout le mal qu’on peut lui faire n’est qu’une vengeance. Mais je ne veux pas me venger moi. Je veux simplement vivre. Je veux oublier tout ça et retrouver ma vie. Est-ce possible cependant ?

« Je suis là maintenant… Je vais te protéger. »

De quoi vas-tu me protéger ? De moi-même et des abysses dans lesquelles je me noie depuis que c’est arrivé ? De ce mal qui me ronge sans que je n’arrive à le contrôler ? De cette peur, ces insomnies, ce dégoût qui m’empêchent d’être moi au quotidien ? Il n’y a rien à faire… Je suis perdue, détruite. Et je sais que tu le sais au fond de toi. Me venger ne changera rien. Me protéger ne servira à rien puisque c’est déjà du passé. Ce n’est pas de ça dont j’ai besoin…

La voix de Kamen tremble. Je sens sa présence au-dessus de moi. Je sens ses caresses dans mes cheveux et pour la première fois depuis longtemps, je me laisse simplement tomber contre lui. Parce que pour la première fois depuis autant de temps, sa présence me fait du bien et me rassure. Je regarde dans le vide, devant moi. Mes larmes se sont calmées mais je sais que ma voix va défaillir.

« Je ne veux pas que tu le tues. Je ne veux pas de ta protection non plus. »

Je me redresse et lui fait face, avant qu’il ne réagisse mal.

« Ca ne changera rien… Ce que je veux, c’est que tout redevienne comme avant. »

Je veux qu’on trouve un moyen d’avancer. D’oublier tout ce temps perdu, qu’on rigole à nouveau, que je lise des livres à nouveau pour le plaisir. Je veux juste repartir en arrière et refuser de sortir avec lui pour que tout ça n’arrive jamais. Je ne sais pas si c’est d’avoir enfin eu le courage de dire tout ça à Kamen mais je sens que ça peut aller mieux. Parce qu’avec lui, tout est si facile, ça ne peut qu’aller mieux. Il saura rallumer la lumière de ces ténèbres qui m’envahissent, me tirer de ce néant dans lequel je vis depuis cette nuit. Si on peut passer au-dessus de tout ça, on pourra passer au-dessus de tout. Je le sais. Avec Kamen, je peux tout faire. Même aller décrocher la lune pour me sortir de cette situation.

« Tu sais, j’étais venue ici en espérant pouvoir tout oublier. J’ai vu qu’il était là… Et j’ai compris que je n’y arriverai pas. »

Pas sans toi. Mais ces derniers mots ne sortent pas. Pourtant, je suis sûre qu’il arrive à les lire dans mon regard.

Pendant un temps, Nina semble apaiser, elle se laisse aller contre son meilleur ami, et il la protège de ses bras maladroits. Il l'enlace et ne veut pas la lâcher,  il aurait voulu lui donner le courage, la force d'affronter ses démons. On en a tous, mais Nina ne mérite pas de souffrir. Kamen s'en veut de ne pas avoir deviner ce qu'il s'était passé, il s'en veut et il est prêt à foutre en l'air le monde entier. La colère gronde, mais pourtant il ne fait rien, parce qu'il veut que Nina se sente bien. Le câlin dure encore et cela leur fait du bien, à tous les deux, il a enfin retrouvé sa meilleure amie. Le jeune garçon sent pourtant qu'elle n'est pas prête à tout lui dire, qu'elle n'est pas prête à accepter la main qu'il lui tend. Elle se redresse, lui fait face, et lui dit avec des yeux suppliants : « Je ne veux pas que tu le tues. Je ne veux pas de ta protection non plus. Ca ne changera rien… Ce que je veux, c’est que tout redevienne comme avant. » Il comprend. Il comprend parce qu'il aimerait que la même chose se fasse pour lui et sa famille. Il comprend mais il ne peut rien faire. Il aura beau être puissant, riche, intelligent, ils auront toujours des difficultés à avancer. Mais il est prêt à le faire, pour Nina, pour lui, pour eux. Il ne veut pas la perdre encore. Maintenant qu'elle s'est ouverte, il faut qu'il la pousse à continuer. Elle lui fait confiance, elle a toujours pu compter sur lui, et cela ne changera pas aujourd'hui. Mais comment pourrait-il la protéger alors qu'il perd ses pouvoirs ? Même si elle est contre l'idée, il ira se venger. Il se rendra auprès de Dimitrov, et il lui fera payer son acte. « Tu sais, j’étais venue ici en espérant pouvoir tout oublier. J’ai vu qu’il était là… Et j’ai compris que je n’y arriverai pas. » Elle le regarde dans les yeux, et Kamen y voit de l'envie, du désir de s'en sortir, mais de la peur aussi. Il prend sa main doucement, et il chuchote, pour qu'elle n'entende que lui, pour qu'elle oublie ce qu'il se passe autour d'elle. « Je suis là maintenant, je te jure qu'il ne t'arrivera rien. N'aie pas peur, je suis là Nina. » Mais comment pouvait-elle ne pas avoir peur ? Elle doit sans doute trembler dès qu'elle le croise dans les couloirs. Kamen serre les poings, il le déteste. « Je pourrais t'aider à oublier tu sais... Mais je ne pense pas que cela serait une bonne idée. Ce qu'il s'est passé est horrible, mais tu dois avancer, tu as raison... Et je suis là pour t'aider, nous allons y arriver. » Il se redresse, tend la main vers elle et espère qu'elle va la prendre. Il veut l’emmener ailleurs, qu'elle se relève et qu'ils reprennent confiance tous les deux. C'est plus qu'un symbole, c'est un long chemin, une route pleine d'obstacles qui les attend, mais Kamen irait partout avec elle, c'est certain.

Lorsque j’ai rencontré Kamen, j’ai tout de suite noté le nombre de différences entre nous. Il y en avait pas mal mine de rien. Pourtant, je savais que je trouverais en lui le parfait allié. Celui avec qui je pourrais tout faire, celui à qui je pourrais te dire, celui avec qui je n’aurais pas besoin de me cacher parce qu’il ne me jugerait pas. Alors de quoi avais-je eu si peur ? Pourquoi étais-je si effrayée de lui avouer ce qui s’était passé ? Lui qui avait toujours été là pour moi… Je ne pouvais le dire. Mais aujourd’hui, lui avoir tout dit, le savoir à mes côtés de nouveau, j’avais vraiment l’impression d’entrevoir une lueur d’espoir dans cet infâme monde sombre dans lequel je vivais depuis trop longtemps. Je savais que le combat serait toujours difficile mais je savais qu’il était là maintenant. Et avec lui, je savais que je pouvais tenir le coup.

Et il me le disait, qu’il serait là, qu’il ne m’arriverait plus rien. Que je n’avais pas besoin d’avoir peur.  Je savais parfaitement qu’il était là. Je savais aussi qu’il aurait été là bien avant s’il avait su dès le début. S’il n’avait ne serait-ce que douter une seconde que ça puisse arriver, il ne m’aurait même pas laissé seule avec lui. Je le regarde et un petit sourire timide se dessine sur mes lèvres. Je suis soulagée de le savoir à mes côtés, de savoir qu’il ne me prenait pas pour une folle, qu’il ne jugeait pas. Je ne comprenais toujours pas pourquoi j’en avais douté… La peur sans doute. Il m’avait détruite ce soir-là et la peur m’avait envahie. Je ne voyais pas d’autres raisons. Cela dit, je la sentais s’affaiblir et je savais que c’était là le début de ma rédemption.

« Je pourrais t’aider à oublier tu sais… Mais je ne pense pas que cela serait une bonne idée. Ce qu’il s’est passé est horrible, mais tu dois avancer, tu as raison… Et je suis là pour t’aider, nous allons y arriver. »

Il était plein d’espoir. Plus que ce que je ne pouvais en avoir. J’appréciais ça chez Kamen aussi. Je hoche la tête.

« Je ne veux pas oublier. Je veux apprendre à vivre avec, à ne pas refaire cette erreur. Et… Peut-être qu’il y a d’autres personnes dans mon cas, je pourrais peut-être les aider un jour… »

Le son de ma voix avait diminué, comme pour faire s’éteindre l’espoir de cette phrase. Le chemin allait être long. Très long. Il fallait que je me pardonne et que je pardonne Dimitrov. Des deux, je ne savais lequel allait être le plus compliqué. Kamen se redresse et me tend la main. Je la regarde un instant avant de la saisir. Le chemin commence maintenant, avec lui à mes côtés. On quitte mon arbre et on avance au travers du parc. J’ai ce vieux réflexe de regarder derrière moi… Dans la neige se dessinent nos pas. NOS pas. Je ne suis plus seule à avancer et c’est là la véritable preuve qu’un pas vers la lumière a été fait.

Je recommence à jouer avec mes mains. Je prends une longue inspiration. Je sais ce qui se faufile dans ma tête mais l’idée ne me plait pas. Je sais pourtant que je ne vais pas avoir le choix. En parler avec Kamen me permettra de faire un pas en avant, à la recherche de ce courage qu’ont les Gryffondors… Et qui se cache visiblement bien au fond de moi.

« Je… Je crois qu’il faut que je parle à… Dimitrov. »

Je sens mon cœur accélérer. C’est peut-être la première fois depuis longtemps que je ne bafouille pas pour dire son nom. Ca me semblait tellement terrible à faire. Avant que Kamen ne dise quoique ce soit, je reprends :

« Je sais pas mais ça serait mieux non ? Et en même temps… Non, c’est pas une bonne idée, on sait jamais ce qu’il pourrait me faire et… »

Ca me semble tellement confus. Je sais qu’il faudra que je l’affronte un jour. Pour avancer. Et en même temps, me retrouver de nouveau seule face à lui… Je ne sais pas si j’en suis capable.

Elle a pris sa main faiblement, hésitante, mais elle l'a pris. Elle a fait ce premier pas, ce tout petit pas, mais si grand, si fort. Kamen est fier d'elle, et il sent qu'un nouveau temps est arrivé. Il sent que les choses iront mieux, pour elle, et pour lui aussi. Parce que voir Nina faire ces efforts lui donnent envie d'avancer lui aussi. « Je ne veux pas oublier. Je veux apprendre à vivre avec, à ne pas refaire cette erreur. Et… Peut-être qu’il y a d’autres personnes dans mon cas, je pourrais peut-être les aider un jour… » Kamen ne dit rien, mais à l'intérieur il sourit, victorieux. Ils avancent tous les deux, et leur pas se mêlent, comme ils l'ont toujours faits. Nina n'a plus le regard vide d'avant, elle semble soulagée, apaisée. Un poids lourd a quitté ses épaules. « Je… Je crois qu’il faut que je parle à… Dimitrov. » Kamen a envie de s'arrêter de marcher. Il ignore si c'est une bonne idée. Lui-même a envie de casser la gueule de ce Dimitrov, de ce traitre, mais il ne veut pas que Nina risque de rechuter. Et qui sait ce qu'il serait capable de faire ? « Je sais pas mais ça serait mieux non ? Et en même temps… Non, c’est pas une bonne idée, on sait jamais ce qu’il pourrait me faire et… »
Kamen glisse alors sa main dans celle de sa meilleure amie. Il la force doucement à s'arrêter et la regarde dans les yeux. Il tend doucement les bras vers son visage, caresse sa peau pâle qui rougit si vite, si facilement. Elle n'a rien à craindre. Elle n'a plus rien à craindre. « Si tu as besoin de lui parler, fais le, je te garantis qu'il ne te touchera plus. Il ne peut pas te terroriser ainsi, plus maintenant. Tu n'es plus seule Nina, tu ne le seras plus jamais. Et pour tourner la page, il faut que tu l'affrontes, le mettre face à ses actions. » C'est le Yordanov en lui qui parle. Et, même si Nina ne se sent pas capable de le faire, lui-même le fera. Lui-même mettra Andreï Dimitrov au plus bas, pour lui faire payer ce qu'il a fait. « Allez viens, allons au château maintenant, nous réchauffer avec un bon chocolat chaud ! » Kamen entoure les épaules de la rouquine, et l'attire vers lui.  

Ces derniers temps, il n’y avait que l’ombre. Je n’étais qu’une ombre parcourant les murs du château anglais, cherchant à se fondre dans la masse pour disparaître. Il y avait l’ombre de Dimitrov, pesant lourd au-dessus de moi, m’opprimant de toute sa hauteur et sa puissance. Il y avait cette ombre, grande et floue, qui m’entourait, m’observait. Le jugement. Ceux qui me jugeraient, prendraient le parti de Dimitrov parce qu’après tout, qui pourrait croire la petite Jdanova que j’étais ? Il avait bien plus d’influence que moi, c’était certain… Toutes ces ombres, je voulais les éviter, les éliminer ou me fondre parmi elles, m’oublier et oublier ce qu’il m’était arrivé.

Et parmi toutes ces ombres, il y en avait une qui se distinguait. Une qui avait repris des couleurs à force d’enfoncer les portes. Kamen. Parmi les ombres, il était la moins menaçante, celle qui tentait tant bien que mal de repousser les autres. Aujourd’hui marque notre premier pas en dehors du royaume sombre. J’ai pris sa main, je me suis confiée. Il a retrouvé une forme distincte et je vois enfin sa lumière qui se bat à mes côtés, qui ne s’éloigne jamais trop de moi et veille que je ne retourne pas dans ce royaume maudit.

Lorsque j’ai la force de lui avouer que je dois parler au roi des ombres, il arrête notre cadence qui nous menait au château. Je vois dans son regard cette haine pour le roi, pour ce qu’il m’a fait. Je le comprends. Moi aussi, je le déteste. Sa main caresse mon visage et je retrouve la douceur de sa protection. Celle de mon meilleur ami.

« Je sais pas mais ça serait mieux non ? Et en même temps… Non, c’est pas une bonne idée, on sait jamais ce qu’il pourrait me faire et… »

Et là, c’est encore une autre personne. Celui qui a grandi comme le Yordanov qu’il doit être. Je sais que je peux compter sur lui aussi pour veiller sur moi. Il sera toujours là, je le sais. Et je m’en veux d’en avoir douté. Je hoche la tête. Je vais le faire. Je parlerai à Dimitrov. Je ne serai plus la victime des ombres. Il est temps que je reprenne ma vie en main, comme je voulais le faire en arrivant ici.

« Allez viens, allons au château maintenant, nous réchauffer avec un bon chocolat chaud ! »
« Bonne idée ! Je meurs de froid… Tu crois que je peux demander de la guimauve aux elfes aussi ? »

Je souris avant même qu’il ne réponde. De toute façon, les elfes nous donnent toujours tout tant que c’est demandé poliment. Et il faut dire qu’ils adorent les Poufsouffles. Lorsque Kamen m’attire contre lui en passant son bras autour de mes épaules, je l’attrape par les hanches. Tel notre bon vieux duo, nous avançons vers le château, prêts à irradier de lumière les ombres qui s’approcheront. Avec Kamen à mes côtés, je n’ai plus peur.