L'art de la réussite est celui des réconciliations. (Kata & Lou)

La jeune blonde tira doucement sur les pans de ses manches rouge et or. Elle avait été répartie à Gryffondor. Honnêtement, la russe ne savait pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose ; ça avait fait grogner son frère, qui aurait préféré qu’ils partagent la même salle commune pour mieux pouvoir la protéger, et en l’apprenant, ses parents avaient été mitigés. Son père aurait préféré Serpentard, seule maison de Poudlard à se rapprocher un tant soit peu de l’éducation de Durmstrang. Sa mère s’en fichait complètement. Ils l’avaient cependant félicité dans une courte lettre et ils n’en avaient plus jamais reparlé. Quoi qu’il en soit, le rouge et l’or lui allaient bien. Et l’ambiance de cette maison lui plaisaient. Les gens étaient vivants : ils plaisantaient, ils riaient, ils faisaient la fête, ils l’avaient accueillis sans se formaliser de ses silences et de son nom de famille. Et surtout, ils s’entraidaient. L’entraide était une chose nouvelle, pour elle. A Durmstrang, c’était chacun pour sa peau. Le plus fort est le plus fort, et le plus faible n’a qu’à mourir. A Poudlard, à Gryffondor, le plus faible pouvait demander de l’aide au plus fort, qui la lui offrait en souriant. Et si un faible était pris pour cible, un fort s’interposait pour le défendre. C’était nouveau, exotique et déconcertant.

Mais, bon sang, qu’est-ce que ça lui plaisait !

D’un bon pas, la blonde quitta son dortoir, descendant les marches deux par deux pour atteindre la chaleureuse salle commune. Le feu ronronnait dans le foyer, et quelques rares élèves traînaient qui dans les canapés rouges, qui autour d’une table pour terminer les derniers devoirs avant le début du cours. Ne s’y attardant pas, la jeune russe sortit de la salle commune, et grinça des dents face au changement brutal de température. Chez les Gryffondor, il faisait chaud. Au septième étage, c’était une autre histoire. Aussi se hâta-t-elle de trouver les escaliers magiques et d’en attraper un au vol avant qu’il ne décide de bouger quand elle avait décidé de mettre le pied dessus. Une chute de sept étages, ça risquait de faire mal. Sans compter que depuis le mois de Janvier, le château semblait littéralement péter les plombs. Les salles disparaissaient et apparaissaient, les escaliers devenaient fous, s’immobilisant parfois pendant des heures à mi-chemin, laissant un élève désemparé au milieu du vide, ce dernier devant se résigner à attendre. Ça lui était arrivé, une fois, avec d’autres Gryffondor. Elle n’avait pas pu aller en cours, mais n’avait pas été punie. Comment punir quelqu’un qui est coincé dans les escaliers lorsque ces derniers font une sieste entre le septième et le sixième étage ? Difficile de leur demander de sauter, et comme il n’y avait que très peu d’escaliers non mobiles qui reliaient les étages les uns aux autres, tout le monde était, au final, obligé de subir les sautes d’humeur de l’école. Heureusement, cette fois-ci, les escaliers semblaient de bonne humeur, et ce fut sans encombres qu’elle atteignit le rez-de-chaussée.

Elle ne savait pas trop ce qu’elle voulait faire. Se promener, peut-être. Mais ne plus rester enfermée dans la tour des Gryffondor. Il avait beau faire froid dehors, ce ne serait jamais aussi glacial et inhospitalier que le rude climat de Durmstrang. Et finalement, il ne pleuvait pas tant que ça, à Poudlard. Au temps pour ses clichés stupides, hein ! Resserrant le col de sa cape et remontant son écharpe colorée, elle s’engouffra hors des murs du château, appréciant l’air frais et le soleil. Malgré les catastrophes qui semblaient s’y produire en boucle, Poudlard restait un endroit accueillant. Finalement, elle avait bien fait de choisir cette école plutôt que Beauxbâtons. Elle s’y serait retrouvée seule, sans frère et sans amis, et elle n’aurait pas rencontré Aileas, cette Serdaigle qui s’était hissée sans peine parmi le cercle très fermé de ses amis les plus proches. Un cercle qui diminuait, depuis peu. Lou, sa meilleure amie, n’avait pas accepté ses fiançailles avec Kamen, et elle l’évitait depuis le début de l’été. Ca allait faire presque six mois qu’elles ne s’étaient plus adressées la parole, puisque la jeune brune de la Fratrie des Dragons s’obstinait à la fuir et à l’éviter. Cela dit, il y avait toujours un espoir, puisque le hasard avait fait que Lou se retrouvait également à Poudlard pour le reste de sa scolarité, à Serpentard plus précisément. Il faudrait qu’elle trouve le temps de lui parler. De vaincre sa gêne et sa culpabilité pour lui adresser quelques mots et lui demander des comptes, parce qu’il était tout de même injuste que son amie lui en veuille pour quelque chose qu’elle n’avait ni choisi, ni désiré. Mais ce moment ne serait pas pour tout de suite. Non pas qu’elle avait d’autres choses à faire, mais… Eh bien, disons que son côté lâche s’obstinait à blâmer Lou de sa prise de positions. Sans lui demander d’explications, elle lui en avait voulu et s’était éloignée du jour au lendemain, ne répondant pas à ses hiboux et ne cherchant pas à reprendre le contact. Si elle pensait que c’était mieux ainsi, eh bien soit, qu’elle boude. Quand elle aurait fini sa crise infantile, elles pourraient peut-être discuter comme deux adultes. Plus tard. Ou peut-être maintenant.

N’était-ce pas Lou, assise sous un arbre devant le lac de l’école ?

Progressivement, Katarina ralentit, avant de s’arrêter tout à fait. Lou ne l’avait pas vue. Elle pouvait très bien faire demi-tour et aller s’installer ailleurs pour laisser la Dragonne – pardon, la Serpentard – à ses études studieuses. Mais quelque chose la retenait. Le fait d’être une Gryffondor, peut-être. Elle n’avait passé que peu de temps dans cette maison, mais elle avait déjà commencé à changer, remplaçant ses habitudes de Dragonne par des habitudes de Gryffondor. Elle ne se tenait plus en permanence sur la défensive, et ne pensait plus que chaque personne venant lui parler voulait lui extorquer quelque chose. Elle cessait petit à petit de penser en terme de services rendus quand elle aidait quelqu’un. Ce n’était pas parce qu’elle aidait qu’elle devait avoir quelque chose en retour. Et puis, le descriptif des Gryffondor ne dit-il pas qu’ils sont courageux ? Ce ne serait pas très courageux de s’enfermer dans sa lâcheté et de tourner les talons quand, enfin, elle avait peut-être la possibilité de s’expliquer avec celle qui fut sa meilleure amie. Ce n’était pas comme si elle comptait lui extorquer des excuses. Elle voulait juste parler, et lui donner sa version des faits, puisque malheureusement, Lou avait appris pour ses fiançailles avant qu’elle ne puisse la mettre au courant, et ses nombreux hiboux étaient restés lettres mortes. Sans vraiment réfléchir, elle reprit sa route, obliquant vers la Serpentard pour aller s’asseoir à côté d’elle sans vraiment lui laisser le choix. Elle s’assit tout près, mais pas aussi près que d’habitude, comme elles faisaient à Durmstrang quand elles étaient meilleures amies. Sœurs de coeur. Lou n’accepterait peut-être pas qu’elle fasse comme s’il ne s’était rien passé.

« Lou… Je crois qu’il faut qu’on parle. »

Le plus dur était fait. Elle s’était assise pour lui parler. Reconnaître ses erreurs, s’excuser, c’était quelque chose qu’elle détestait faire. C’était comme avouer ses faiblesses. Et Teodor lui avait assez répété que les Azarov n’ont pas de faiblesses ; et que s’ils en ont, ils doivent s’assurer de les enterrer suffisamment profondément pour faire voir au monde que les Azarov n’ont pas de faiblesses. Mais Lou n’était pas n’importe qui. Lou était Lou. Sa sœur de cœur, qui l’avait épaulée à Durmstrang, un miroir de ce qu’elle avait toujours été. Les deux détestaient Durmstrang, son élitisme morbide et sa compétition sanglante, son éducation rétrograde venue du Moyen-Âge et l’ascension inégale pour qui n’était pas bien-né.

« Je sais que tu m’en veux. Je ne sais pas comment tu l’as appris, mais crois-moi, je voulais être la première à te le dire. Je n’ai pas choisi de l’épouser. Je n’ai même pas eu le choix du tout. Ça m’est tombé dessus comme ça, et après une discussion houleuse avec mes parents, tout ce que j’ai pu obtenir d’eux, c’est d’être celle qui l’annoncerait à Teodor, parce que je savais qu’il serait incapable de se contenir devant eux si ce n’était pas moi qui m’en chargeais en privé. Mais est-ce que j’ai eu le choix d’accepter ou refuser ? Pas vraiment. Je n’ai jamais voulu ça, et crois-moi, s’il existait un moyen pour que tu te retrouves à ma place, toi en fiancée de Kamen plutôt que moi, je tenterai le tout pour le tout. »

Mais il n’existait aucun moyen, et elle était coincée dans un mariage qu’elle ne voulait pas, prise entre deux feux quand elle aurait préféré qu’on lui fiche la paix. Lou lui en voulait parce qu’elle était fiancée à celui qu’elle aimait, et Teodor faisait sombre mine parce qu’elle était fiancée à celui qu’il considérait comme son rival. Elle ne savait pas ce qu’en pensait Kamen, mais à tous les coups, lui aussi devait lui en vouloir pour cette histoire de mariage, parce qu’elle lui volait sa liberté de choix.

« Cet éloignement, ces silences, ça me fait mal. Parce qu’on étaient inséparables, avant ça. Je comprends que tu sois fâchée, mais, comment dire… Ne penses-tu pas qu’il est assez… Injuste… Que je paie pour quelque chose que je subis autant que toi ? Que l’on paie toutes les deux les décisions de mes parents et des siens ? Je ne sais pas comment tu le vis, toi, mais moi… Je déteste ça. L’impression d’avoir perdu ma sœur pour toujours à cause de quelque chose que je n’ai pas voulu. Alors... »

Elle se tut. Si elle continuait, elle risquait de se mettre à pleurer. Mais elle ne le fit pas. Ravalant ses larmes et ses émotions, elle fixa la surface du lac, à peine ridée par le vent et la présence des créatures magiques y vivant, se manifestant quelques fois par quelques clapotis lointains. Elles étaient à bonne distance, de toute manière. Quand elle avait appris qu’il y avait un énorme poulpe – le calamar géant, l’avait-on corrigée la première fois – qui vivait dans ces étendues bleues, elle avait prudemment décidé de ne pas y faire trempette. Une fois prête, elle tourna à nouveau la tête vers son amie, et, pour tenter d’enterrer la hache de guerre, elle reprit la parole d’une voix qu’elle espérait assurée, même si elle tremblotait un peu. Un peu beaucoup, même.

« Ça… Ça a l’air bien, ce que tu lis. Qu’est-ce que c’est ? »

Comme elle s’y attendait, Lou était en colère. Mais pas contre elle, cependant. Plutôt contre le destin qui semblait rire de leur situation et en rajouter une couche quand il le pouvait. Tout ça pour un bête garçon, que la blonde n’appréciait pas plus que ça, les rumeurs sur son addiction à ses propres poisons l’ayant totalement découragée de s’intéresser à lui. Un garçon qu’au contraire, Lou aimait à la folie, au point de damner son âme pour être avec lui. Dans ce cas, pourquoi avait-il vraiment fallu que ce soit celle qui ne s’y intéresse pas qui finisse en future fiancée dudit garçon ? L’ironie était mordante. S’il ne s’était pas agi de Lou et elle, Katarina en aurait ri avec ses amis. Mais voilà. C’était elle. Et être privée de sa liberté pour assouvir la soif de pouvoir de ses parents, ça l’agaçait autant que ça la dépassait. Mais entendre Lou accepter leur décision avec un fatalisme qu’elle ne lui connaissait pas… Ca, par contre, ça la faisait enrager, et la seule chose qui l’empêchait de le lui faire vertement remarquer, c’était la détresse évidente de sa sœur de coeur. Alors elle se tut, et elle laissa Lou vider son sac, comme Lou lui avait laissé, quelques minutes plus tôt, le temps de lui dire tout ce qu’elle avait sur le coeur. Finalement, elle reprit la parole, avec l’étrange impression d’être en train de se battre verbalement. Katarina refusait de se voir mariée avec un homme qu’elle n’avait pas choisi, mais Lou les voyait déjà vivre ensemble une vie morne et ennuyante dans lequel l’une aurait le rôle de l’amante, et l’autre celui de la trompée.

« Tu peux avoir dessus toutes les vues que tu veux. Je te le laisse de bon cœur. Et ne prends pas ces paroles à la légère ; je ne compte vraiment pas l’épouser. Et si je n’arrive pas à faire entendre raison à mes parents… Ma foi, je dirai non au moment de la cérémonie. Ça fera scandale, certes, mais je doute qu’ils m’obligent à l’épouser si je ridiculise les Yordanov devant toute la société sang-pure de Russie en refusant la main d’un des leurs. »

La jeune Gryffondor esquissa un sourire tranquille. Son plan était bancal, mais elle savait qu’elle s’y tiendrait. Tant pis pour les punitions qui suivraient. Si elle ne parvenait pas à faire entendre raison à ses géniteurs, elle refuserait devant tout le monde. Ca ferait jaser la société sorcière, qui s’empareraient du scoop pour parler des mariages arrangés des familles de sangs-purs, ça entacherait l’honneur des Azarov en plus d’entacher celui des Yordanov… Mais tant pis. C’était sans doute pour ça qu’elle avait été envoyée chez les Gryffondor. Parce que quand les manigances de l’ombre ne marchaient plus, elle ne voyait aucun problème à se mettre en pleine lumière pour poser le doigt sur la vérité qui dérange. Cependant, elles ne poursuivirent pas cette conversation, Lou acceptant son changement de sujet un peu abrupt sur ce qu’elle lisait. La réponse ne se fit pas attendre, venant alors que la verte refermait distraitement le livre. De l’histoire de la magie. La matière préférée de la Gryffondor, toujours avide d’en savoir plus sur leur passé. Ce n’était cependant pas la tasse de thé de la Serpentard, qui lui avoua qu’elle trouvait ça affreusement ennuyant, lui tirant un nouveau sourire amusé. Elles étaient tellement différentes, parfois. Difficile de se dire qu’elles étaient pourtant amies. Mais il faut croire que le désamour pour Durmstrang attire les gens plus que les affinités…

« On pourra se mettre ensemble au prochain cours, si tu veux. Je pourrai t’aider, comme ça. Ce sera peut-être moins ennuyant. Qu’est-ce que tu en dis ? »

Enterrer la hache de guerre lui faisait du bien. Ca faisait longtemps qu’elle n’avait pas parlé à Lou, et son amie lui manquait vraiment beaucoup. Mais comme un papillon attiré par la flamme d’une bougie, Lou revint se brûler les ailes sur le sujet qui les divisait malgré elles. L’espace d’un instant, l’amusement le disputa à l’agacement dans l’esprit de la Gryffondor. La phrase de Lou aurait facilement pu être détourner pour la faire rire un peu. Mais Lou pleurait. Et elle détestait voir ses amis pleurer. Aussi, ce fut finalement l’agacement qui l’emporta, Katarina commençant à en avoir assez que tout le monde la voit déjà mariée à Kamen Yordanov. Elle avait son mot à dire, et ce mot était non. Qu’ils essaient, pour voir. Qu’ils essaient seulement. Même si elle devait se battre seule, ce mariage n’aurait pas lieu. D’ailleurs… Qu’est-ce qui lui disait qu’elle aurait à se battre seule ? Kamen aussi n’avait pas été enchanté d’apprendre que sa vie avait été décidée pour lui, et qu’il épouserait une inconnue qui se retrouvait, en plus, être la cadette de son rival Teodor. Sans réfléchir, la Gryffondor passa un bras sur les épaules de son amie, comme pour lui rappeler qu’elles étaient sœurs, et que ce n’était pas une histoire pareille qui les diviserait.

« Quoi que l’on fasse ? Justement, Lou. On n’a encore rien fait, que je sache. Alors ne te mine pas le moral en nous voyant déjà mari et femme. Je n’en ai pas discuté avec lui, mais je doute que Kamen soit ravi de savoir que sa vie est liée à la mienne et que son avis n’intéresse personne. »

La Gryffondor se fit songeuse. Elle avait raison. Ils n’avaient rien fait. Ils s’étaient contentés d’accuser le choc, de subir en silence, et de s’éviter à Poudlard pour ne pas avoir à affronter le regard de colère de l’autre. Mais la colère était passée. Maintenant, peut-être, ils pourraient se regarder sans s’en vouloir, sans se reprocher ce choix qu’ils n’avaient pas fait et qu’ils ne faisaient que subir. Doucement, une nouvelle détermination s’implanta en elle. Depuis son arrivée à Poudlard et sa répartition à Gryffondor, elle se sentait devenir plus forte. Plus indépendante. Et il était hors de question que l’égoïsme de ses parents y mettent fin.

« Tu sais quoi ? Je pense qu’il est grand temps qu’on fasse quelque chose. J’irai parler à Kamen, et on discutera sérieusement de cette stupide idée de mariage. C’est lui, le Serpentard. Avec son esprit fourbe, on trouvera certainement un moyen de le faire annuler en douceur. Sinon… Ma foi, j’imagine que ce sera la guerre, et que nos familles n'apprécieront pas de voir leurs héritiers se rebeller. »

Pensait-elle vraiment pouvoir leur échapper ? Dans toute sa détermination, elle n’en doutait pas une seconde. Elle leur échapperait, dut-elle s’enfuir le jour d’avant. Son frère l’aiderait, elle le savait. Un Polynectar, et plus de Katarina Azarova. Elle pourrait changer de nom et devenir qui elle voulait, pour peu qu’elle continue à prendre du Polynectar. C’était incroyablement naïf, elle le savait. Le coup du Polynectar, elle ne le pourrait jamais. S’enfuir non plus, car cela la séparerait de son frère. Si c’était si simple, il n’y aurait plus de mariages arrangés… Silencieusement, la Gryffondor ne put que maudire le fatalisme de sa meilleure amie, et s’empêcha de lui demander si elle préférait les voir mariés sans rien avoir essayé. Elle se battrait. Elle n’avait aucune envie de devenir une Yordanova, n’en déplaise aux parents de Kamen. Entrer dans la famille de ce pourri de Yassen et de cette sadique de Svetlana ne lui plaisait pas du tout. En vérité, ça la faisait plutôt frissonner. Tout Durmstrang savait ce qu’ils avaient fait subir à Zahari, le bâtard de la famille. Et s’ils décidaient de s’en prendre à elle, parce que ce mariage ne leur plaisait pas ?

« Il y a toujours un prix à payer pour ce genre de choses. En l’occurrence, un mariage, et trois personnes malheureuses. Je peux vivre en sachant que je suis une femme trompée, puisque je ne compte pas arrêter de vivre avec ce mariage. Mais toi, Lou, vivrais-tu heureuse en sachant que tu n’es que la maîtresse d’un homme marié ? »

Le regard de la Serpentard fut éloquent. Non, elle ne le pourrait pas. Elle ne le pourrait jamais. Et de toute manière, personne ne le pourrait. Même pas elle. Vivre en sachant que Kamen la trompait avec Lou ne lui poserait aucun soucis, comme elle l’avait si bien dit, parce qu’elle savait l’amour qui les unissait. Comme deux aimants, il s’attiraient et se repoussaient tour à tour sans rien pouvoir faire contre ça. D’une voix faible, Lou reprit la parole. Existait-il un moyen ? La Gryffondor resta silencieuse quelques secondes. Lou était fragile. Beaucoup moins qu’elle n’en avait l’air, mais toute cette histoire la rongeait, et Katarina craignait toujours qu’un mot de travers ne fasse exploser la bombe à retardement qu’était son obscurus. Contrairement à beaucoup d’autres, elle n’avait pas peur de Lou et de ses pouvoirs, persuadée que ce n’était que par l’amitié et l’acceptation des autres que la jeune fille finirait par accepter son pouvoir au lieu de le laisser la ronger, petits bouts par petits bouts. Elle savait que s’il sortait, elle n’aurait aucune chance contre lui. La main de la Serpentard serra doucement la sienne, et elle lui rendit son étreinte.

« Il y a toujours un moyen. Il suffit juste de trouver le bon. Je ne promets pas que ce sera facile… Mais on y arrivera. Et si Kamen refuse de m’aider, je lui rappellerai avec amabilité qu’il n’a pas le choix, sauf s’il veut avoir affaire à toi. »

A nouveau, elle sourit avec détermination, cette détermination qui manquait tant à Lou. Heureusement qu’elle en avait assez pour deux. Doucement, la Serpentard reprenait des couleurs. Elle souriait enfin, et reprenait doucement espoir. Katarina savait qu’elle le perdrait encore des centaines de fois, persuadée qu’elle était qu’elle n’avait pas le droit au bonheur et qu’elle n’avait aucune légitimité de se prétendre amoureuse de Kamen. Mais pour le moment, la flamme vacillante se relevait à nouveau, et Katarina devait bien admettre que ça faisait plaisir à voir. Comme elle le disait si bien, ce n’était jamais ennuyant quand elles étaient ensemble ! La blonde lâcha un léger rire amusé, heureuse de voir Lou se dérider un peu. Sa sœur de cœur lui avait manqué. Maintenant qu’elle la voyait sourire, qu’elle voyait que Lou ne lui en voulait pas, c’était comme si le poids sur son cœur s’envolait d’un seul coup. Elle se sentait heureuse. Adolescente qui ne se préoccupe pas de choses d’adultes, comme, ma foi, le mariage, par exemple. Redevenant sérieuse, Lou reprit la parole, pour l’assurer qu’elle serait avec eux s’ils trouvaient le moyen de se défaire de cette promesse conclue sans leurs accords par leurs parents respectifs.

« J’espère bien, tiens. Ce n’est pas n’importe qui qui peut me remplacer au poste de future femme de cet idiot de Kamen. Tu as intérêt à être là, même si je dois t’attraper par le col pour t’y placer de force. »

A nouveau, elle sourit. Cette légèreté nouvellement retrouvée lui faisait un bien fou, plus qu’elle n’aurait pu l’imaginer. D’un air complice, elle se pencha vers Lou, un sourire légèrement railleur aux lèvres.

« Et entre nous, je préférerais que ce soit toi plutôt que n’importe qui. Je ne te pousse pas dans le dos depuis un an pour que tu te fasses voler ta place par n’importe quelle autre sorcière, du genre moi, même si je ne l'ai pas voulu, ou, disons, Willa Lundgren. »

Oui, c’était méchant. Mais qui a dit que Katarina était toujours gentille, hm ?

« Voilà des années que je me bat contre ce que je ressens pour lui, je pourrais sans doute passer ma vie à faire pareil… » Tout doucement, la Gryffondor se décourageait. Lou était pessimiste, tellement pessimiste que ça sapait son énergie quand elle essayait de lui remonter le moral. Pour quoi faire, de toute manière ? Dans une heure, quand elle serait partie, Lou broierait à nouveau du noir et son travail n’aurait servi à rien. Des fois, la russe se disait que son amie se complaisait dans ces lamentations oiseuses, et qu’elle ne ferait jamais rien pour que les choses changent. Elle regarderait éternellement Kamen de loin, avec le même regard triste, qui ne pourrait que le contempler vivre sa vie. Se marier, avoir des enfants, vieillir et mourir. Sans elle. Alors que ça crevait les yeux qu’ils s’aimaient à la folie autant l’un que l’autre. Étaient-ils les seuls à ne pas le voir ? Katarina en avait assez de jouer les entremetteuses, et assez d’être coincée dans ce foutue mariage qui la plaçait en porte-à-faux entre Kamen et Lou, comme un obstacle gênant que l’un comme l’autre aurait bien pulvérisé pour se réunir enfin. Si sa détermination à choisir sa propre vie ne faiblissait en rien, sa volonté d’aider Lou se réduisait comme peau de chagrin au fur et à mesure que la Serpentard repoussait la main qu’elle lui tendait. Comme là, par exemple. « Et si c'est ce qu'il veut lui ? Je déteste cette fille vraiment, je crois que je préférais que tu l'épouses… » A nouveau, elle se fendit d’un long soupir, que la Gryffondor ne put s’empêcher de reprendre. Ça en devenait désespérant. Agaçant. Et considérablement frustrant, aussi.

« Je ne compte pas l’épouser, Lou. Alors j’imagine que ce sera Willa qui lui mettra le grappin dessus, malheureusement. »

Elle essayait de la faire réagir, mais plus faiblement qu’au début. C’est que c’est lassant, d’essayer de motiver vainement quelqu’un qui ne veut pas quitter son petit cocon de confort et de chaleur. C’est ce que faisait Lou. Elle s’enfermait dans son amitié avec Kamen sans comprendre qu’elle passait à côté d’une belle histoire en restant aveugle et sourde à ses sentiments, et de ce fait, elle était malheureuse. Tout le temps. Parce que Kamen était trop bien pour elle, parce qu’elle était un monstre, parce qu’il était fiancé avec sa meilleure amie, parce qu’il éprouvait quelque chose pour Willa… La différence, c’est que Willa, elle, prenait les devants, et très bientôt, ce serait elle qui lui tiendrait la main dans les couloirs pendant que Lou pleurerait sur son sort et sur son manque de réaction. « Pourquoi est-ce que je ne pouvais pas être réellement amoureuse de ton frère? » La Gryffondor, tirée de ses songes, tourna la tête vers son amie. Est-ce qu’elle était sérieuse ? Qu’est-ce qu’elles avaient toutes avec Teodor ? Pandore qui le regardait du coin de l’oeil, Cassandre qui ne voulait pas avouer que ce grand dadais lui plaisait, Lena qui en était folle amoureuse au point de se jeter dans un océan de feu pour le rejoindre… Et Lou, maintenant ?

« Parce que ce n’est pas celui que tu as choisi. » Elle haussa négligemment les épaules. « C’est comme ça, Lou, on n’y peut rien. Tu as préféré Kamen pour tout un tas de choses que tu as découvert chez lui mais que tu n’as pas retrouvé chez mon frère. Et quant à trouver une explication rationnelle… » Son regard se perdit dans le vague. « Ma foi, le cœur a ses raisons que la raison ignore. »

C’était aussi vrai pour elle. A Durmstrang, elle n’avait jamais trouvé chaussure à son pied, lassée de tous les voir s’intéresser aux arts noirs et à la nécromancie. Elle avait repoussé ses prétendants, qui ne venaient que parce qu’elle était la petite sœur de Teodor, et pas pour elle. Ils ne voyaient tous que Teodor à travers elle. Ici, à Poudlard, c’était différent, tellement différent qu’elle s’était rapidement entichée d’un Gryffondor plus âgé qu’elle, Skye. Mais elle ne s’était pas contentée de l’observer en silence. Elle avait pris les devants, était allée lui parler, ils s’étaient rapprochés, et de fil en aiguille, ils étaient devenus amis. Il l’avait même invité à la Saint-Valentin, en disant que ce serait plus sympa à deux célibataires plutôt que chacun dans son coin. Et effectivement, ça avait été plus sympa. Tellement sympa qu’elle avait fini par tomber amoureuse de lui. Plusieurs choses, cependant, l’empêchaient de lui en parler. Son fichu mariage avec Kamen, qui lui pourrissait littéralement la vie, et les rumeurs selon lesquelles Skye préférait les garçons. Helge Petterson, pour être plus précise. Helge… Comment pouvait-il s’intéresser sérieusement à cette tête de nœud pétrie de magie noire ?

En soupirant, elle se coucha sur le dos. Le ciel d’Angleterre était dépourvu de nuages, pour une fois. C’était rare. Elle ne savait pas trop s’il faisait meilleur à Poudlard plutôt qu’à Durmstrang, mais elle devait bien avouer qu’elle était bien plus épanouie ici qu’en Russie. Elle l’aurait encore plus été sans cette sombre histoire de mariage, cela étant, mais elle ne pouvait pas revenir dessus. Juste se battre pour que ses parents respectent son droit élémentaire à choisir sa vie, que cela leur plaise ou non. Et si Kamen se retrouvait fiancé à quelqu’un d’autre à cause de ça, tant pis pour lui. Ce crétin acceptait sa situation avec une fatalité agaçante et consternante qui lui donnait envie de lui coller des baffes jusqu’à ce qu’il se réveille. Cet abruti finirait marié avec la femme que son père aurait choisi pour lui, parce qu’il était trop effrayé par son paternel pour oser se dresser contre lui. Il y avait de quoi, cela dit, selon les rumeurs, c’était son père qui avait massacré Zahari, le bâtard des Yordanov. Il prenait ses précautions pour que ce genre de choses ne lui arrive jamais… Et Katarina ne comptait pas se retrouver sous le même toit que cette espèce de psychopathe, sans compter qu’elle devrait supporter Yassen et Oxana. Plutôt se tirer une balle dans la tête tout de suite !

« Tu sais, Lou… Je ne sais plus quoi te dire. Mis à part de prendre ton courage à deux mains et d’aller lui parler, je veux dire. A force de te persuader que tu veux garder son amitié, tu te dévalorises et tu te rends malheureuse. C’est tellement ambigu entre vous que c’est difficile de savoir si vous êtes amis, en couple, ou attirés l’un par l’autre. Au final, en ne faisant rien, tout ce que tu vas gagner, c’est qu’il va se trouver une copine qui ne sera pas toi, et tu n’auras plus que tes yeux pour pleurer. Alors si tu l’aimes vraiment… Je ne sais pas, moi, va lui dire, comme ça tu seras fixée. »

Katarina ne lâcha pas le ciel des yeux. A tous les coups, son dernier conseil serait un coup d’épée dans l’eau, mais au moins, elle aurait essayé du mieux qu’elle le pouvait.

« Ce n'est pas si facile Katarina... Si je ne le fais pas au bon moment, il me filera entre les doigts... » La rousse ne répondit pas tout de suite. Quelque part, elle s’en voulait de pousser Lou dans ses retranchements pour la forcer à assumer son amour pour Kamen. Mais quelque part, la vie serait tellement plus simple si elle y arrivait ! Avec Lou à son bras, Kamen retrouverait une raison d’annuler son mariage, une raison plus forte que l’agacement de ne pas avoir eu voix au chapitre. Ils seraient trois à se battre pour le faire annuler, quatre en comptant Oxana et son soutien silencieux, cinq en comptant Teodor qui grinçait des dents de voir sa sœur fiancée à ce crétin de Yordanov. Mais d’un autre côté, Lou avait vécu beaucoup de choses traumatisantes qui l’avaient fait grandir d’un coup en la privant de son enfance. Son abattement et son pessimisme venaient de là, et son fatalisme ne pouvait, de fait, que se comprendre. C’était sans doute pour ça qu’elles étaient devenues amies : parce qu’elles s’étaient reconnues dans l’autre. Katarina avait aussi eu ses épreuves qui, mentalement, l’avaient fait grandir plus rapidement qu’elle ne l’aurait dû. Mais elle avait su garder son positivisme, qu’elle s’efforçait de distiller au compte-gouttes à Lou pour qu’elle reprenne goût à la vie.

« Tu attends qu’il te fasse un signe ? Tu peux attendre longtemps alors. » La rousse pouffa doucement de rire. « Les hommes sont bigleux, Lou, il faut leur mettre l’évidence sous le nez pour qu’ils comprennent. N’attends pas trop longtemps. Provoque le destin, et toi, fais-lui signe. A plusieurs reprises s’il le faut, quitte à le secouer jusqu’à ce qu’il comprenne. C’est un mec, pas une lumière, ma chérie. »

C’était extrêmement misandre, et elle s’en fichait complètement. Après tout, elle avait été bercée de sexisme et on lui avait à de trop nombreuses reprises qu’en tant que femme elle valait prétendument moins que les autres. Alors c’était petit, bas et méprisable, mais elle se vengeait comme elle le pouvait… Et elle le pensait totalement, quand elle disait que les hommes n’étaient pas des lumières. Doucement, Lou se coucha à côté d’elle, et la rousse n’esquissa pas le moindre mouvement de recul quand les doigts de la Serpentard se saisirent des siens, et qu’un baiser de réconciliation effleurait sa tempe. Au contraire, ses lippes s’étirèrent en un sourire heureux. Lou lui pardonnait. Bien que ce mariage ne soit pas de son ressort, et qu’elle se soit irritée de la colère de son amie, son absence avait pesé sur son cœur, bien plus qu’elle n’aurait pu l’imaginer. « Merci Katia… Merci de me supporter, moi et mes histoires de cœur. Merci de me remonter le moral et d'être venue malgré nos disputes. » Il fallut quelques secondes à Katarina pour mettre de l’ordre dans ses émotions. Lou lui avait manqué.

« C’est normal, voyons. C’est difficile de tourner le dos à sa famille, et surtout à sa sœur jumelle. »

Ses paroles n’auraient pu être plus vraies. La famille, c’était le plus important, même quand cette dernière s’entêtait à faire n’importe quoi, comme Teo et sa fichue addiction à la magie noire. Mais sa patience avait des limites, et elle savait qu’un jour, qu’elle espérait lointain, il dépasserait les limites de sa tolérance, et elle lui tournerait définitivement le dos pour le laisser s’enfoncer seul dans l’obscurité dans laquelle il se complaisait. Ses doigts se resserrèrent autour de ceux de Lou, tandis qu’elle continuait d’observer le ciel et la course des nuages. « Tu m'as manquée... » Elle ferma brièvement les yeux. Les larmes ne viendraient pas. Pleurer maintenant serait étrange, bien que ce fut pour du soulagement, et non pour de la tristesse.

« Toi aussi, tu m’as manquée. »

Il n’y avait rien d’autre à dire. Alors elle ne dit plus rien, garda le silence, le laissant les entourer comme il savait si bien le faire. Couchée sur le dos, le regard rivé dans le ciel, elle profitait de cette proximité avec sa meilleure amie, de leur complicité retrouvée, de sa présence, tout simplement. Doucement, les pièces se remettaient en place une à une, et la charge sur son cœur se faisait moins lourde. Lou et elle étaient de nouveau unies. C’était tout ce qui lui importait, désormais.