« Le jeune maître ne devrait-il pas être accompagné ? » Thomas baissa un regard glacial vers l’elfe qui venait de lui faire la critique. Alors que, au beau milieu des cuisines de Poudlard, il venait de demander à être servit en chocolats, voilà que cette idiote créature jugeait opportun de lui faire remarquer que le règlement imposait la présence d’un adulte. Le serpent avait la voix coupante. « Tu es ici pour faire ce que je te dis, pas pour me dire ce que je devrais faire. » L’elfe s’inclina si profondément que son nez toucha le sol et il détala rapidement dans la réserve de nourriture. Thomas soupira. Il savait que s’il se faisait prendre à trainer seul, il aurait des ennuis. Il entendait d’ici les reproches que Moïra lui feraient si elle savait qu’il ne respectait pas les règles. Mais il s’en moquait. Il se moquait de tout et, à vrai dire, s’il se prenait une retenue, il se ferait un malin plaisir à imaginer la réaction outrée de ses parents. L’elfe revint avec une dizaine de barres chocolatées qu’il tendit au sorcier. Thomas les fourra dans sa poche en silence avant de franchir la porte de la cuisine sans un mot pour l’elfe. Sur le trajet de retour vers la Salle Commune, le serpent triturait nerveusement le chocolat, attendant de revenir dans le dortoir pour le consommer. Cela faisait maintenant trois jours qu’il s’était avoué à mi-voix qu’Alexandre était le premier responsable de sa propre mort, qu’il était un meurtrier. Trois jour qu’il étudiait jusqu’au bout de la nuit pour espérer tomber de fatigue et éviter aux larmes de couler, trois jours qu’il se réveillait pourtant chaque nuit et pleurait en silence sur la perte de son héros d’enfance. Il allait mal, très mal. Il évitait tout le monde et avait constamment la nausée. Il savait qu’il aurait dû aller à l’infirmerie pour demander des calmants ou des somnifères. Il en avait eu besoin lors de la mort d’Alexandre. Mais il ne pouvait se résoudre à aller trouver les infirmiers. Avec un peu de malchance, il tomberait sur cet imbécile de de Saint Hendré. L’infirmier était glacial avec lui et ne se privait jamais de lui lancer un regard sombre, pour une raison que le serpent ignorait. Pas question d’aller lui avouer qu’il se sentait mal et avait besoin de médication… Si un jour il croisait Izlechen, il irait lui en parler. Peut-être.
Arrivant à quelques mètres de la Salle Commune, le serpent se pétrifia en voyant une silhouette postée devant l’entrée. Il se détendit légèrement en constatant que ce n’était pas un Auror mais poussa un juron mental en reconnaissant Oktavia. Manquait plus que sa nouvelle fiancée pour le mettre de bonne humeur, tiens. Vous parlez d’une semaine de merde. Se retrouver fiancer, se disputer avec elle et, enfin, accepter que son propre frère est un assassin. Thomas avait connu des moments plus joyeux. Mais il avait déjà poussé le bouchon trop loin avec la Serdaigle, il n’était pas question de recommencer. Prenant une grande inspiration pour se donner du courage, il se composa un sourire avenant sur le visage et chassa la douleur qu’on pouvait lire dans son regard. Il s’approcha ensuite de l’aiglonne. L’entendant approcher, Oktavia se tourna vers lui et lui sourit avec joie. Thomas ne laissa pas sa surprise se montrer sur son visage. Malgré les lettres qu’ils s’étaient échangés, le serpent ne s’attendait pas une telle chaleur sur le visage de l’aiglonne étant donné leur dernière entre vue. « Tiens je te cherchais... » Le Serpentard ne put s’empêcher de lever un sourcil circonspect, cette fois-ci. Il comprit cependant vite la raison du comportement étrange d’Oktavia puisque, tentant de se rapprocher de lui, elle vacilla légèrement et dû se soutenir sur le mur. Elle était saoule et, visiblement, pas qu’un peu. Thomas sentit le premier sourire sincère depuis trois jours se former sur ses lèvres. Un sourire minuscule, un sourire moqueur. « Je crois qu'il faut qu'on parle de trois petites choses importantes si tu dois être mon fiancé. » Son sourire disparu, remplacé par un rictus ennuyé. Il n’était pas certain qu’une discussion avec une aiglonne bourrée était la meilleure des idées. Il n’avait cependant pas beaucoup le choix ; s’il voulait réparer sa gaffe de l’autre fois, il faudrait se montrer complaisant. Et puis, il ne pouvait pas l’abandonner comme ça, il faudrait peut-être l’aider à rejoindre la Salle Commune des Serdaigles. À tous les coups, c’était Alcyone qui avait poussé Oktavia à boire trop. Il jura mentalement mais acquiesça aux paroles de l’aiglonne pour lui signifier qu'il l'écoutait. « Premièrement je ne t'appartiens pas, je ne suis pas une chose avec laquelle tu peux jouer, je suis gentille, mais je suis pas bonne poire. Alors, je comprends que tu n'apprécies pas certaines nouvelles des choix de nos parents… » Thomas se mordit la lèvre du bas, nerveux. Il croyait avoir été clair avec elle en lui expliquant qu’il ne considérait pas qu’une femme appartienne à son mari. L’esprit brouillé de la bleu et argent ne devait pas voir percuté. De toute façon, les conversations avec les gens saouls n’avaient souvent aucun sens, ça risquait d’être fastidieux. « Tu crois que je suis ravie d'être fiancée ? » Thomas s’efforça de ne pas lui jeter le regard sombre qu’il aurait voulu. Putain, personne n’était ravi d’être fiancé de force, pas besoin de le rappeler sans cesse. Certainement pas au fiancé en question. « Non, mais je ne me venge pas sur toi, cette erreur que tu as fait l'autre jour, je t'en excuse, je ne t'en veux pas, ne t'avise juste pas de recommencer à me parler comme ça... » Le serpent acquiesça avec un sourire qui se voulait tendre. Se faire pardonner. C’était tout ce qui comptait pour l’instant, quitte à mettre sa fierté de côté.
« Je sais bien, Okta, je te l’ai dit ; je n’avais aucun droit de te parler sur ce ton et rien de ce que tu pourras jamais faire ne m’en donnerait le droit d’ailleurs. Jamais je ne recommencerai, je te le promets. »
C’était une promesse vaine, à laquelle il ne croyait pas lui-même mais il l’accompagna d’un sourire doux et s’approcha de l’aiglonne pour poser une main affectueuse sur son épaule. Il était violent et cassant quand il s’énervait. C’était rare qu’il perde ainsi son sang froid mais s’il devait passer une vie aux côtés d’Oktavia, bien sûr qu’ils se disputeraient à nouveau, bien sûr qu’il se montrerait à nouveaux injuste envers elle. Sauf que ce n’était pas exactement ce qu’elle voulait entendre.
« Et ne t’en fais pas, je ne considérerai jamais que tu m’appartiens. Je n’accepterai pas que le choix de nos parents brise ma liberté ou la tienne. »
Il sourit une nouvelle fois. Quand il parlait de liberté, il parlait de pouvoir avoir un amant, de pouvoir choisir une carrière ou des amis. Mais il savait très bien que sa liberté était de toute façon brisée puisqu’il avait décidé de ne pas s’opposer à ce mariage, puisqu’il était enfermé dans cette prison qu’étaient ces fiançailles. Il n’arrivait pas à savoir exactement à quel point Oktavia était saoule. Il lui jeta un regard soucieux mais fit mine de ne pas trop avoir remarqué cet état d'ébriété avancé.
« Ça va, tu te sens bien ? Tu as l’air… d’avoir un peu de mal à tenir debout. Tu as besoin que je te raccompagne à ta Salle Commune ? »
Ce qu’elle était belle. Dans cette robe trop sexy pour avoir été choisie par elle. Ses grands yeux bleus qui brillaient un peu trop et ses joues rosies par l’alcool. Elle était ce genre de personne que l’état d’ébriété rendait plus mignon, plus attachant, plus beau alors que pour le reste du monde l’alcool vous rougis les yeux, fait couler votre mascara et ébouriffe vos cheveux. Oktavia, elle, était belle. Elle était parfaite. Pourtant, Thomas ne la voulait pas comme fiancée. Alors qu’il la dévisageait en silence, il se demandait quel était son problème. Pourquoi n’était-il pas plus heureux du parti qui lui avait été choisi ? Pourquoi ne pouvait-il pas s’en contenter ? N’importe quel homme aurait dû être ravi de se voir promis une vie aux côtés d’une femme si douce, si belle, si sérieuse. Plus il y pensait, plus ça lui donnait envie de hurler. Cette perfection d’Oktavia, il n’en voulait pas. Il n’y avait aucune passion, aucune flamme entre eux. Juste cette amitié de plus en plus fragile. Or Thomas n’était pas un bon ami. Il n’était pas assez compatissant, pas assez intéressé. Il était loyal. Il serait loyal envers Oktavia. Mais c’était bien là sa seule qualité. À part ça, seule la peur de condamner son futur mariage à l'échec le poussait à se faire pardonner par l’aiglonne. Il essaya de rassurer Oktavia sur ses intentions. Il s’approcha d’elle et lui posa une main affectueuse sur l’épaule pour souligner ses propos. L’aiglonne vacillait et le serpent dû assurer une certaine prise sur le bras de la jeune fille pour la garder droite. Elle le dévisageait de ses yeux un peu floutés par l’alcool. Thomas y lisait une certaine détermination qu’il n’y avait pas vue avant. Comme si les promesses du serpent comme quoi Oktavia serait toujours libre ne lui suffisaient pas. Comme si elle en voulait plus.
« Je vais bien ne t'en fais pas. » Thomas leva un sourcil sceptique accompagné d’un petit sourire moqueur. Elle n’avait pas l’air malade, en effet, mais il doutait qu’elle puisse se débrouiller seule. Il aurait bien voulu ne pas s’en faire. La laisser seule dans ce couloir et aller s’installer confortablement dans son propre dortoir. Sauf qu’à la vérité, il s’en faisait quand même un peu. Il n’était pas un aussi mauvais ami que ça. Et il comptait bien prouver qu’il était un bon fiancé. Il la raccompagnerait jusqu’à son dortoir de force s’il le fallait. « Cela se voit tant que ça ? Je crois qu'on en a peut-être un peu trop profité des gallions que ma mère m'a envoyé pour faire passer l'histoire de nos fiançailles avec Alcy. » Thomas grimaça et la dévisagea un instant avant de détourner le regard pour se donner le temps de laisser glisser ces mots sur lui et ne pas sortir une remarque désobligeante. Imaginer la mère d’Oktavia payer sa fille pour qu’elle accepter d’être fiancée à lui l’irritait passablement. Parce qu'il y avait besoin de payer les gens pour qu'ils acceptent de se retrouver fiancée à lui ? C’était à la fois vexant et affligeant. Oktavia était-elle achetable ? Sa mère était-elle si pitoyable qu’elle pensait pouvoir régler tous ses problèmes par l’argent ? Leur mariage ne tiendrait-il qu’à ça ? Thomas inspira un grand coup et reporta son regard sur l’aiglonne. À vrai dire, les sangs-purs achetaient constamment l’obéissance de leurs enfants en les couvrants de cadeaux. Ça n’était pas différent. Sauf que là ça le concernait lui et qu’il n’appréciait pas l’idée d’être vendu à Oktavia de cette manière. Irrité, lorsque l’aiglonne gloussa à propos de la tenue qu’elle portait, le serpent baissa à peine les yeux pour la dévisager et esquissa un léger sourire. Elle était belle, elle était sexy. Il n’était pas d’humeur. Lorsqu’elle passa une main dans ses cheveux tout en le couvant d’un regard doux, il détourna le regard. Elle accepta sa proposition de la raccompagner et le serpent espéra que cela ne prendrait pas trop de temps d’atteindre la Salle Commune des Serdaigles.
« Bien mais soyons discrets, nous ne sommes pas censé nous promener seuls dans les couloirs et je n’ai aucune envie de me faire punir. »
Thomas avait lâché des meilleurs amis qu’Oktavia lorsqu’il s’était agi d’éviter des punitions. Son statut de fiancée la sauverait peut-être s’ils croisaient une patrouille d’Aurors. Peut-être. Le serpent passa une main dans le dos de l’aiglonne pour la pousser doucement en direction de la Salle Commune des Serdaigles. Après quelques pas son irritation concernant l’argent qu’Oktavia avait reçu de sa mère retomba. La démarche vacillante de son amie était bien trop amusante pour qu’il reste fâché plus longtemps sur un sujet qu’elle ne pouvait maîtriser. Il lui sourit.
« Pour tout te dire, je n’en reviens pas non plus qu’elle ait réussi à te faire porter ça. Mais ça te va très bien. »
De toute façon, c’était le genre de fille qui pouvait s’habiller n’importe comment elle aurait toujours de l’allure. Il fallait pourtant avouer qu’Alcyone avait du goût en matière d’habilement. En tout cas un goût qui plaisait particulièrement à Thomas et qui expliquait pourquoi le serpent avait toujours été plus intéressé par la vipère que par l’aiglonne. Il soupira doucement. Il se demandait ce qu’Alcy pensait de ces fiancailles. Il aurait sans doute dû lui en parler mais il n’avait pas eu le courage. Il n’avait eu le courage de rien affronter ces derniers jours. Est-ce que par respect pour Oktavia, Alcy refuserait désormais de rajouter le « plus si affinité » à leur amitié ? Il aurait bien demandé à l’aiglonne si elle savait ce que son amie pensait de la situation mais il n’était pas sûr de vouloir engager la conversation sur ce terrain-là. Parler avec sa fiancée de sa relation avec son plan cul c’était moyen. Oktavia ne tenait définitivement pas droite et le serpent ricana.
« Et moi qui croyait que les slaves tenaient mieux l’alcool que les autres. Alcyone t’a noyée sous l’alcool ou quoi ? »