A peculiar encounter ♦ Cassandre

Ce soir-là je m’étais proposée pour faire la ronde dans le château. Le professeur qui devait s’en charger avait, bien malheureusement, eu une forte montée de fièvre en fin d’après-midi et ne pouvait donc effectuer la tâche qui lui avait été incombée. Je m’étais naturellement proposée. Bien que ne faisant en aucun cas partie du corps professoral, ma participation avait été la bienvenue. Pourquoi. Comment. Je n’en avais que faire. J’appréciais l’idée de pouvoir voguer dans les couloirs, découvrir ce château dont je peinais à connaître chaque recoin tant il était capricieux et aimait perdre son visiteur. Cela était également l’occasion rêvée pour pouvoir mener ma petite enquête, observer certains recoins, écouter quelques murmures. Les tableaux dorment la nuit, mais certains discutent et je restais persuadée que les rumeurs sur la soi-disant épidémie ne saurait tarder à venir jusqu’à leurs oreilles peintes sur toile. Il me serait peut-être possible de croiser quelques fantômes également, si ceux-ci n’étaient pas réunis pour une quelconque soirée dans un coin inconnu de l’école. Je les trouvais généralement bien plus agréables et généreux que ceux de Durmstrang… A bien y penser, bien de choses ici étaient plus agréables que là-bas. Ma scolarité aurait été si différente si j’avais été ici. Peut-être cette école était l’occasion pour mes cadets de construire quelque chose de plus positif qu’il n’ait jamais eu jusqu’alors. J’étais sans doute un peu naïve de penser cela, car, je savais avec pertinence que ce ne serait pas si simple… Toutefois, je gardais espoir.

J’avais ainsi comme idée de me diriger vers le cinquième étage, où le long couloir de tableaux m’attendait. Cependant, je n’en oubliais pas pour autant la raison première de ma présence en pleine nuit dans les couloirs de Poudlard : ma ronde. Ainsi, je tendais l’oreille au cours de ma marche et ne fus finalement pas surprise d’entendre quelques bruits non loin de moi. Retenant un soupir pour ne pas me faire remarquer, mes pas silencieux me menèrent jusqu’à la source de l’infime grabuge. Je ne savais si j’en viendrai à croiser Peeves ou bien si la silhouette d’un élève discret se détacherait dans la pénombre.
Je tournai dans un nouveau couloir, reconnaissant une aile interdite d’accès. Encore bien endommagée, les traces de la bataille étaient fortement visibles sur ses murs. Le lieu était considéré comme peu accessible, et certains gravas instables avaient forcés le décret interdisant son accès. Resserrant mon gilet autour de ma poitrine pour me protéger d’une fraicheur apparenté à cet endroit pour le moment abandonné, je sortais ma baguette.

« Lux. »

Soufflai-je en un murmure. La pointe de celle-ci s’éclaira d’une lumière douce et claire. J’avançai, toujours tranquillement, légèrement sur le qui-vive. Je finis enfin par remarquer à quelques mètres de moi la silhouette d’un élève, ou, d’une élève plutôt. Une demoiselle affairée à je-ne-savais-quoi. Il me semblait deviner son image, avoir une impression de déjà-vu. J’avais déjà croisé bien des élèves, mais ma mémoire me faisait défaut sur un point : si la personne ne m’était pas présentée avec un nom, je l’oubliais rapidement. Elle n’avait plus son uniforme, et je n’avais ainsi aucun moyen de savoir de quelle maison elle faisait partie. Finalement, je m’assis sur un amas de pierres bien empilées. Sans pointer ma baguette sur la jeune fille, je pris parole.

« Entre nous, je n’aurais pas choisi cet endroit pour une petite escapade nocturne. »

C’était une déclaration pure et simple de fait. Je regardai autour de nous. Le lieu était froid, poussiéreux au possible, et mourir écraser par une pierre faisant le double de mon poids n’était pas dans mes options. Après, peut-être était-elle extrêmement douée en sortilège, et, avec une bonne dose de reflexe, s’en sortir en vie était tout à fait possible. Finalement, je me décidai à porter mon attention sur elle. Je pointai ma baguette en sa direction, sans la pointer directement sur elle afin qu’elle ne soit pas éblouie et qu’elle puisse me voir sans mal. Croisant son regard, j’esquissai un sourire.

Les mots ne sont pas que des mots. Ils sont vivants et nous rendent vivants, ils nous rendent notre humanité et nous rappellent les sensations qu'on a pu oublier auparavant. Les mots sont des trésors précieux qu'il faut garder en mémoire, pour ensuite pouvoir les raconter, raconter des merveilleuses histoires pleines de mots qui pourront toucher les autres. Mais les mots peuvent blesser. Cassandre était une femme blessé. Et pour guérir ses blessures, elle avait petit à petit pris l'habitude de les noyer dans l'alcool. Elle y noyait à la fois ses peines, ses larmes et sa colère. Une colère si grande qu'elle lui était impossible de l'exprimer. Elle la contrôlait parfois, faisait d'elle un pantin, une marionnette dont elle seule pouvait être maître. Depuis plusieurs jours, son lieu fétiche s'était trouvé être les vieux couloirs de Poudlard, détruits et interdits au public. Bien sûr les années passées il adorait venir passer du bon temps dans les couloirs, bravant les règles, mais cette année c'était devenu son refuge. Les tableaux étaient finalement presque de bonne compagnie.. Mais, ce soir encore, Cassandre avait abusé de l'hydromel, et elle se réveillerait certainement avec un mal de tête monumental le lendemain. En attendant, la lune lui fit signe qu'il était temps qu'elle s'en aille. Mais elle n'en fit rien. L'aile nord était bien évidemment calme à cette heure de la nuit, la rouge pouvait être tranquille. Elle s'installa sur l'une des pierres tombée des colonnes, et commença à fermer les yeux. Elle aurait pu s'endormir et ne plus penser à rien, un sommeil sans rêve. Malheureusement, elle perçut un bruit qui la fit sursauter. Trop tard pour se cacher. Une lumière l'aveugla et elle sut qu'elle serait prise la main dans le sac, elle eut tout juste le temps de cacher sa bouteille derrière des pierres cassées avant qu'une femme ne fasse son apparition. L'étrangère n'était pas connue aux yeux de Cassandre, habituellement c'étaient les professeurs qui s'occupaient des rondes de nuit. Seulement la personne face à elle n'avait pas l'air d'un enseignant, ni d'un élève non plus. Elle pencha la tête, observant l'inconnue s'assoir sur la pierre face à elle. « Entre nous, je n’aurais pas choisi cet endroit pour une petite escapade nocturne. » Cassandre ne put s'empêcher de rire. Un rire accueillant et communicatif. Elle savait maintenant que l'inconnue ne venait pas de Poudlard, elle ne pouvait pas comprendre toutes les choses qu'il s'était passé au sein de l'école de sorcellerie l'année dernière. Cassandre ne lui en voulait pas, elle aussi elle aurait aimé ne pas savoir. L'étrangère bougea sa baguette, de sorte que Cassandre puisse voir son visage. Un visage angélique, doux et autoritaire à la fois. Un visage tiré par le passé. Cassandre lui rendit son sourire et s'expliqua : « Il fallait que je vienne, il fallait que je vois... tout ça. Même si un petit peu de chauffage n'aurait pas été de trop. » dit-elle en désignant des mains les cadavres de pierre et les fantômes des morts qui étaient invisibles sur le sol. Elle ne savait pas trop ce qu'elle allait prendre comme punition, si punition il y aurait, mais l'ambiance solennelle de cet instant lui plaisait trop pour l'arrêter.

L’atmosphère était paisible. Ce calme m’était si familier. La nuit était très certainement mon moment préféré. Dès le plus jeune âge, j’avais pris l’habitude de rester éveillée jusque tard le soir pour étudier, pour surveiller les alentours, sur le qui-vive, toujours attentive à un cri au loin… Père avait la tendance fâcheuse à être violent, mais, ces moments favoris restaient les soirs où plus aucun invité ne pouvait passer le pas de la porte ; où les secrets de notre famille pouvait être préservé sans trop de difficulté. Ainsi, même dans un lieu aussi lugubre qu’une ancienne aile de Poudlard en ruines, j’étais à l’aise. Adossée à des pierres, dont la fraîcheur arrachait un frisson discret à mon échine.
J’étais curieuse de la demoiselle présente sur les lieux. Elle ne semblait rien faire de bien malicieux, ce qui m’intriguait d’autant plus. Que faisait-elle donc ici ? Certes, elle était en dehors de son dortoir après le couvre-feu, ce qui était censé être ma préoccupation première… Toutefois, j’étais surtout intriguée par son choix de lieu. Les jeunes élèves allaient en général dans d’autres endroits pour passer la nuit à s’amuser. Et puis, les sorties se faisaient rarement en solitaire. C’était plus drôle à plusieurs, non ? C’était ce qu’observer mes cadets m’avait fait penser en tout cas. « Il fallait que je vienne, il fallait que je vois… tout ça. Même si un petit peu de chauffage n’aurait pas été de trop. » J’acquiesçais d’un signe de tête à sa première remarque. Je n’avais pas été présente lors de la bataille de Poudlard. J’en avais presque honte. Marcher sur un lieu détruit, hanté par un passé à la fois joyeux avec ses premières années d’étude, et en même temps douloureux avec ses morts et ses blessures. Je ne pouvais imaginer ce que c’était, que de revenir sur ces lieux. Cela aurait été bien trop prétentieux de ma part de dire que je comprenais, car, au fond, je ne comprenais pas. J’avais vécu bien des douleurs, fait face à un bon nombre de tortures mais, je n’avais pas connu la guerre. Cela m’était donc impossible à imaginer, même si j’avais de l’empathie. Alors, je me contentais d’esquisser un sourire, sans ajouter mot à ce sujet.

« Et alors, maintenant que tu es ici. Qu’en as-tu conclu ? »

Je décroisai mes bras, jusqu’alors placés sous ma poitrine. Je me redressai de ma peu confortable place, et m’avançai de quelques pas en direction de la jeune fille. Une voix dans mon esprit me soufflait de jouer l’autoritaire, de lui faire la morale sur sa présence ici et d’aller jusqu’à la menacer de retirer des points à sa Maison, quel qu’elle soit. Cependant, je n’en fis rien. L’aura présente entre nous deux étaient douce, bien que grave, et je ne pouvais me résoudre à tout détruire avec des paroles trop cassantes. Je n’avais pas à être sur la défensive, quelque chose me disait que cela serait totalement inutile.

« Il est vrai qu’il fait frais. Mais, j’ai l’impression que tu songeais à te réchauffer avec quelque chose de bien singulier… »

D’un geste minutieux du poignet, la fameuse bouteille qu’elle avait pris soin à cacher non loin d’elle s’éleva des pierres pour flotter non loin de nous. Songer était sans doute une belle ironie ; la bouteille semblait déjà bien entamée. Etait-ce une habitude ? Qu’importe, cela n’était pas mes affaires. Elle n’était malheureusement pas la première élève à s’inhiber, et elle ne risquait en aucun cas d’être la dernière. J’espérais simplement qu’elle n’avait pas la fâcheuse tendance à boire que trop souvent toute seule ainsi…

« Sois tranquille. Je ne dirais rien, alors, rien ne sert de la cacher. »

Je lui fis un clin d’œil, puis laissai la bouteille glisser doucement sur le sol, à ses pieds. J’abaissai ma baguette, et continuai ma marche parmi les pierres tombées. Lentement, je me déplaçai, sans ajouter un mot. Je ne savais quoi dire de plus. Alors, j’observai les alentours, remarquant les marques de quelques violents sorts lancés çà et là.

L'étrangère lui destina un sourire triste quand Cassandre évoqua la raison de sa sortie nocture. Habituellement, quand elle se faisait coincée, on ne cherchait à pas à savoir ses raisons, mais cette inconnue n'était pas comme les autres professeurs. Était-elle seulement un professeur d'ailleurs ? Elle semblait si jeune, et Cassandre ne se souvenait pas d'elle lors du banquet. Elle s'en voulait encore de ne pas avoir assisté à la cérémonie de répartition, elle aurait au moins pu entendre les professeurs rendre hommage aux victimes de la guerre. Non, à la place elle avait préféré traîner dehors. Cassandre croisa les bras, elle faisait souvent des choix stupides, et ce soir devait certainement en être un aussi, elle l'ajouterait à sa longue liste lorsqu'elle retournerait se coucher. « Et alors, maintenant que tu es ici. Qu’en as-tu conclu ? » La question la laissa de marbre. Elle était incapable d'expliquer ce qu'elle ressentait, se trouvant entourée de débris, de cadavres fantomatiques, de souvenirs douloureux, pas à une étrangère en tout cas. Elle avait déjà du mal à se confier à sa meilleure amie, alors à quelqu'un qu'elle n'avait jamais vu, cela serait encore plus compliqué. Cependant, elle n'eut pas le temps de réfléchir à une réponse que la jeune brune se levait de sa place. Elle avança doucement vers Cassandre et celle-ci pria pour qu'elle ne s'approche pas trop. « Il est vrai qu’il fait frais. Mais, j’ai l’impression que tu songeais à te réchauffer avec quelque chose de bien singulier… » D'un coup de baguette, la sorcière fit voler la bouteille d'hydromel que Cassandre avait caché, elle la rapprocha des pieds de Cassandre, pour qu'elle soit bien en vue. La gryffondor hésita, devait-elle se confondre en excuse, ou attendre la punition ? Mais encore une fois, l'inconnue la surprit énormément. « Sois tranquille. Je ne dirais rien, alors, rien ne sert de la cacher. » Un peu plus rassurée, Cassandre aurait pu boire une nouvelle gorgée de sa bouteille, mais elle ne le fit pas. Elle avait du respect pour cette fille qu'elle ne connaissait ni d'Eve, ni d'Adam, et pourtant elle sentait qu'une connexion s'était établie entre elles. Comme si l'inconnue était désormais une amie précieuse, une bonne fée peut-être. Celle-ci regardait les murs abimés du château, on pouvait y voir la trace de la guerre, partout. Des employés de ministère s'occupaient de prendre des photos de chaque fissure, chaque recoin, et l'inconnue leur ressemblait beaucoup quand elle prenait cet air d'observatrice. « Vous n'auriez pas aimé y être... » Cassandre hésita un instant, elle ignorait si elle pouvait vraiment faire confiance à cette étrangère, mais en même temps elle avait besoin de tout lâcher, de tout dévoiler. L'alcool délia sa langue et elle se mit à parler. « C'était à la fois horrible et tellement beau. Beau d'être tous réunis pour se battre pour nous, pour tous les sorciers, pour le monde magique et les futures générations. Mais en même temps, c'était l'enfer, je n'aurais jamais pensé perdre autant de gens... Je n'aurais jamais pensé m'y perdre moi-même. On est jamais préparé à ce genre de choses vous savez. » Cassandre ne put s'en empêcher, elle attrapa la bouteille et avala une gorgée qui lui piqua la trachée. Il fallait que tout cela s'en aille. « Finalement, tout paraît si calme. »

J’observais les pierres, leurs crevasses et leurs tâches plus ou moins claires, signe du sort qui les avait touchées. Elles étaient maintenant de ces détails dont je ne pouvais me lasser de regarder. J’étais naturellement observatrice, mais, depuis le bon mois de travail effectué au sein de Poudlard pour restaurer nombre de recoins, j’avais appris à voir au-delà d’une noirceur. Une tâche fine et linéaire. Une tâche éclatée en une multitude d’étoiles symétriques. Une tâche au contraire difforme et pâle. Il m’était à présent possible de deviner l’angle d’approche du sorcier qui l’avait jeté, quel sort il avait utilisé et avec quelle puissance. Plus la marque était faible, plus elle désignait un individu épuisé, se battant pour survivre jusqu’à son dernier souffle. J’avais envie de passer mes doigts sur ces pierres rugueuses, mémoires d’actions passées. Mais, je n’en fis rien. Nous devions garder le lieu le plus intacte possible ; pour les photographies, pour nos rapports et nos études, avant de tout remettre à l’identique.

« C’était à la fois horrible et tellement beau. » Mon regard se tourna vers la jeune fille. Je la regardai, sans dire un mot alors qu’elle me fit par du secret qui hantait nombre de personnes présentes à Poudlard à présent. Des individus, mineurs ou majeurs, qui, tant bien que mal semblaient vivre avec cette bataille au fond d’eux-mêmes. Certains devaient certainement faire bonne figure, en ignorant les cauchemars qui trempaient leurs nuits. D’autres ne cachaient pas leurs dérives. Certains parlaient, d’autres non. Etrangement, je doutais que la demoiselle présente en face de moi fasse partie des bavards. Toutefois, je ne savais trop pourquoi, elle avait décidé d’ouvrir un peu sa bouche pour me faire part d’une once infime de ce qui s’était déroulé sous ses yeux d’enfant.

« Le plus dur reste à venir. Lorsque l’adrénaline redescend. Lorsque le calme prend place et nous laisse alors l’opportunité terrible, mais nécessaire, de réaliser. Alors, c’est à cet instant que la seconde bataille commence… Celle contre soi-même. »

Dis-je simplement, alors qu’elle n’avait pu résister à l’appel de son hydromel au goût doux-amer. Je ne pouvais pas imaginer ce que cela avait été. C’en était frustrant d’ailleurs. D’un côté, je me sentais terriblement chanceuse de ne pas avoir été là. D’un autre, j’aurais tant aimé pouvoir apporter mon aide. La différence n’aurait pas été énorme mais, peut-être qu’une ou deux vies auraient été sauvées.

« Je te souhaite de pouvoir te retrouver, malgré cette expérience sans nom. La folie guette un grand nombre, mais peut être évitée par beaucoup. »

Soufflai-je alors. Je ne savais si je parlais pour elle ou pour moi. Le regard un peu dans le vide, je fixais les ombres dessinées sur le sol à la lueur de ma baguette. Elle semblait un peu rongée par la situation. Je n’en étais pas certaine, et, il n’était pas impossible que je me trompe. Cependant, je doutais être totalement dans le faux avec mon hypothèse. Le simple fait de venir boire seule en pleine milieu de la nuit au centre d’une aile en ruines était un argument suffisant. Je n’étais guère mieux, à ma façon. Je m’acharnais sur mes études, sur mes apprentissages. Je nourrissais mon esprit de données, d’informations, encore et toujours pour ne pas trop penser, pour ne pas trop me souvenir et pour éviter à la rage de remonter, pour taire les angoisses de devenir vide comme ma mère ou folle comme mon père. Un léger courant d’air fila contre le pan de mur vers lequel je me tenais debout, m’arrachant un léger frisson et me faisant brutalement redescendre sur terre. Je regardai à nouveau la jeune fille, esquissant un sourire doux à son égard.

On ne parlait pas de la Bataille. Personne n'en parlait. Pendant toute l'année où elle était restée chez elle, Cassandre n'avait pas une seule fois prononcé le nom de son école de magie à voix haute. Elle y pensait évidemment, tous les jours, mais c'était comme si la Guerre avait cassée quelque chose en elle. Elle n'était pas la seule dans ce cas-là, ses parents en parlaient rarement. Il en était de même pour sa meilleure amie, qui elle avait vécue l'horreur avec les Carrow. Non, Cassandre n'en parlait jamais, à qui que ce soit. Alors pour une fois, elle avait besoin de tout lâcher. Et cette étrangère à l'accent délicieux le lui permettait. Elle aurait pu la mettre en retenue, la renvoyer au dortoir, et à la place elle lui offrait une oreille. Cassandre ne se fit pas prier pour se décharger de tous ses poids, elle parla, parla, parla. « Le plus dur reste à venir. Lorsque l’adrénaline redescend. Lorsque le calme prend place et nous laisse alors l’opportunité terrible, mais nécessaire, de réaliser. Alors, c’est à cet instant que la seconde bataille commence… Celle contre soi-même. » L'inconnue semblait comprendre ce que Cassandre ressentait. C'était comme si elle avait partagé ses pensées, et qu'elle avait terminé la phrase de la rouge et or. Complètement dévastée, Cassandre ne put retenir ses larmes. Silencieuses, elles s'échouèrent sur les pierres froides. « Je te souhaite de pouvoir te retrouver, malgré cette expérience sans nom. La folie guette un grand nombre, mais peut être évitée par beaucoup. » Une parole sage et douce, qui donnait à Cassandre, la force qu'elle n'avait pas quelques minutes plus tôt, pour se relever. Elle savait que certains deviendraient fous dans quelques années, incapables de se remettre de la guerre. Beaucoup étaient toujours hospitalisés à Sainte-Mangouste, à cause de leur blessures parfois trop profondes. Mais Cassandre espérait que cela ne lui arriverait pas à elle. La jeune femme était pleine de vie, même si parfois on pouvait la prendre pour une excentrique qui risque sa vie sans arrêt. La douceur de l'étrangère lui fit un bien fou. Pour une fois qu'on la traitait comme une adulte, et non comme une adolescente écervelée qui avait inventé la dernière bêtise à la mode. Alors, comme par instinct, elle se jeta dans les bras de l'inconnue, pour venir y savourer un dernier instant de douceur. Demain, il faudrait penser à fermer les plaies. Demain, il faudrait avancer. Mais ce soir, elle avait encore besoin de temps. Elle murmura un faible « Merci » à la femme qui avait su lui parler.

Me voilà emplie d’un sentiment étrange. J’avais toujours eu de l’empathie. J’appréciais veiller sur les gens qui m’étaient chers. Toutefois, je le faisais surtout avec les membres de ma famille ; tout particulièrement Zahari et ma mère. Bien que sans être particulièrement froide, je n’étais pas la plus avenante avec les inconnus. J’avais cette image de jeune femme sage et érudite qui me collait à la peau, et que j’avais cultivée pendant bien des années, pensant que c’était la seule image qui pourrait apporter dignement l’attention escomptée. Cependant, je me retrouvais à présent noyée dans un doux sentiment à l’égard de la jeune inconnue. Je ne connaissais ni son âge, ni son passé et encore moins son nom. Mais, je ne pouvais empêcher une attention presque maternelle me submerger. Nous avions eu une conversation des plus solennelles, dans cet endroit froid et mémorable. Nos chemins pourraient parfaitement se séparer là. Oui, je pourrais tourner les talons sans souffler mot de sa présence à qui que ce soit. Je pourrais continuer ma ronde, aller punir un ou deux chenapans pour pouvoir lui éviter un souci. Néanmoins, je n’en ferai rien. Car, quelque chose avait changé. Cette inconnue avait à présent son image dans ma liste de gens à protéger… Je ne savais pourquoi.

Je regardai son visage se détendre et ses yeux se remplirent de larmes. Je ne lui dirai pas de ne pas pleurer. Je l’imaginais déjà retenir ses larmes depuis bien trop longtemps. Alors, je ne dirai rien. Je me contenterai d’être là, à l’écouter sangloter. Son geste me surprit, me prit de court. Les mains en l’air un instant, je manquais de lâcher ma baguette. Mes yeux s’ouvrirent en grand sous la surprise. Je n’étais pas une personne très tactile. Je ne faisais pas énormément de câlins, que ce soit en public ou en privé. J’étais plutôt maladroite avec les gestes d’affections. Bien sûr, je renouais une cravate de travers, j’époussetais une épaule poussiéreuse, je remettais une mèche au bon endroit. Mais, les embrassades n’étaient pas mon fort. Elles étaient prohibées au manoir… raison, sans doute, pour laquelle j’étais très gauche avec elles. Alors, il me fallut de longues secondes avant de poser mes mains sur son dos afin de terminer cette douce étreinte. Instinctivement, une main tapota doucement ; un rythme lent, calme. A son remerciement, je ne pus que sourire. Un sourire discret, presque invisible que mes yeux avaient du mal à cacher. Je n’avais aucune idée de combien de temps nous restâmes ainsi, dans le silence, alors que je lui glissais tout le soutien que je pouvais avec un simple geste.
Puis, tendrement, notre étreinte se termina. Je la regardai dans les yeux. Ces yeux rougis, par la fatigue, par les larmes et par l’alcool. De la poche arrière de mon pantalon, je sortis un mouchoir en tissu clair. J’étais sans doute bien une des rares personnes de mon âge à me promener avec une telle chose sur moi. Mais, il fallait croire que son utilité n’était pas à prouver, surtout ce soir. Je le lui tendis, glissant la pointe de ma baguette dessus. « Ilia K. Y. » apparut.

« Tiens. Cela nous fera une bonne raison pour nous recroiser. »

Elle pouvait ainsi s’en servir pour sécher ses larmes. Je savais qu’elle me le rendrait. Je savais que nous nous reverrions. Je ne savais ni quand, ni comment, mais cela arriverait. Alors, avec cet objet en sa possession cela ne pourrait arriver que d’autant plus. Je ne savais si elle me dirait son nom, mais, elle avait le mien et je saurais m’en contenter pour ce soir.