Pact with the devil ✞ CASSARI

Cassandre marchait dans les bois bordant le château La lune, pleine en cette nuit, se reflétait dans ses pupilles dilatées. Elle se sentait bien depuis sa dernière prise. Stone. Détendue. Soulagée. Une brise légère mais glaciale soufflait sur ses traits pâles et, sous la faible lueur de l'astre, ses cernes violacées luisaient disgracieusement. A plusieurs reprises, elle eut l'étrange impression que le sol se dérobait sous elle, la laissant s'engouffrer dans un néant, un vide infini. Cette sensation n'eut rien de désagréable pour la junkie qui, au contraire, s'amusait pleinement de la situation. Dans un rire rauque, elle s'arrêta brusquement dans la pénombre pour se tenir entre deux troncs, tout deux à distance restreinte l'un de l'autre. Elle tendit les bras de part et d'autre de son corps, afin d'en toucher les extrémités et de sentir l'écorce rêche agresser la peau de ses paumes endomagées de multiples heurts. Elle eut l'impression de revivre. La drogue engourdissait ses maux, faisait disparaitre chaque brûlure musculaire, chaque crampe que le manque et l'addiction lui infligeaient. Une délivrance, chaque fois que cette substance illicite se propageait à l'intérieure de ses veines. Incroyable.

Doucement, elle ouvrit les yeux et jeta sa tête en arrière, tout en fixant le ciel couleur encre. Les bras en croix, elle se mit à tournoyer sur elle-même, lentement. Puis de plus en plus vite. Encore, et encore. Jusqu'à ce qu'elle se retrouve en position désavantageuse. En déséquilibre, tel une funambule tentant de ne pas chuter et d'avancer sur son fil. Cette soirée était la plus belle depuis son retour à Poudlard. Pas de pleurs, pas de larmes, pas de souvenirs. La plus libératrice. Elle se retrouvait perdue en pleine nuit, dans une forêt grouillant de dangers divers et variés, totalement inconsciente et dans l'incapacité d'éprouver de la peur, de l'inquiétude. Même les frissons sur sa peau restaient superficiels ; elle ne ressentait pas la température dangereusement basse qui faisait rougir sa peau. Qui lui faisait cracher de la buée d'entre ses fines lèvres. Elle ne percevait aucune douleur, aucun déchirement qui habituellement la faisait hurler à mort. 

Soudainement, Cassie sentit son coeur battre sévèrement au creux de sa poitrine. Elle eut l'impression qu'il se tordit dans tous les sens, et ne pu s'empêcher de poser l'une de ses mains sur son torse, qu'elle agrippait fermement avec son tee shirt. Elle s'adossa à l'un des deux arbres ; son nez lui piquait, et alors qu'elle se l'essuyait avidement, elle pu constater un résidu de poudre blanche et un liquide rougeâtre étalé sur sa manche. Une odeur de rouille vint lui chatouiller les sens. Elle saignait. Allez savoir avec quoi sa dose avait été coupée, cette fois. Du verre, certainement, car elle avait les narines en feu. 

Successivement, des bruits de froissements retentirent. La jeune femme entendit les feuilles craquer sous le poids d'une démarche assurée, pressante mais pourtant discrète. Elle se sentit cernée, observée, et elle ne pu retenir l'anxiété de l'ensevelir de craintes. Les sens décuplés par la drogue, elle analysait chaque son étranger ou suspect, et se rendit ainsi compte qu'une source humaine (ou du moins vivante) provoquait toutes ses choses. En sachant de quelles créatures regorgeait la forêt, il fallait être sotte pour s'y aventurer de nuit et s'attendre à tomber nez à nez avec le petit chaperon des contes de fées. Impossible pourtant de savoir si ce n'était pas encore un de ces retours d'acides, ou l'une de ces nombreuses hallucinations. Tout en essayant de réfléchir plus profondément, la gryffondor tourna frénétiquement la tête en tous sens, pivotant inconsciemment sur elle-même, plissant les yeux avec insistance comme pour s'aider à trouver l'auteur de ce désordre. Mais seules des branches, et quelques ombres, bougeaient furtivement de temps à autres. Et alors que sa vue se troublait de plus en plus, elle se retrouva plaquée à même le sol en une demie-seconde. Son corps frappa la terre dans un bruit sourd, telle une masse, et un cri strident écorcha la gorge de la jeune fille.

Cassandre manqua de s'étrangler, sous la violence de l'attaque. L'heurt et la surprise l'avaient complètement sonné. D'ailleurs, la jeune femme mit un certain temps avant de comprendre ce qui lui arrivait réellement. Un jeune homme, grand et aux yeux d'un noir transcendant de froideur, venait subitement de lui tomber dessus afin de l'abattre volontairement au sol, le tout, sans une once de délicatesse. Les yeux écarquillés, elle ne bougea plus, attendant une réaction de son interlocuteur dans un silence de plomb.  Le sang de la junkie se mit à pulser sévèrement aux creux de ses veines. La tension et le malaise se rependaient tout autour, formant une bulle malsaine et effrayante qui ne faisait qu'accentuer les troubles infligés par les substances illicites ingérées par la gryffondor. « Pardon… »  Étrangement, Cassandre aurait pu reconnaître cette voix les yeux fermés. Elle vit l'homme se relever et le reconnut aussitôt. Zahari. Il y avait des centaines d'élèves dans cette école, et il fallait encore qu'elle tombe sur lui. Il était pour elle l'effet d'une bombe. Elle n'attrapa pas la main qu'il lui tendait pour se relever, préférant descendre aux enfers plutôt que de le toucher à nouveau. Toucher sa peau qu'elle avait tant aimée avoir contre elle, le regarder dans les yeux... Cassandre mentirait si elle disait qu'elle n'avait pas repensé à lui depuis leur rencontre sur le terrain de Quidditch. Il l'avait quitté sans un mot, mais d'un autre côté c'était elle qui l'avait congédié. Depuis, elle ne l'avait pas revu, même au moment des repas, elle s'arrangeait toujours pour s'installer dos à la table des serpentards pour ne pas le croiser. Elle était incapable de dire pourquoi elle agissait ainsi, mais cela lui semblait être la meilleure solution. En le regardant, elle se rendit compte qu'il n'était pas dans son état normal. Zahari était même presque plus mal en point qu'elle. Elle pouvait voir la sueur qui avait perlé sur son front, elle sentait l'alcool et les produits qu'il avait ingurgité à des kilomètres. Elle le voyait trembler, il était comme une brindille, prêt à se casser à n'importe quel moment. Lorsqu'il s'appuya contre un tronc d'arbre, elle se redressa sans pour autant se relever. Elle hésitait. Si il tombait, fallait-il qu'elle le rattrape ? Ou qu'elle le laisse dans sa merde ? Après tout, elle ne lui devait rien. Mais le voir ainsi, l'avoir entendu s'excuser avec autant de peine lui donnait mal au cœur. Ce n'était pas un combat équitable. « Et merde. »  Elle voyait bien qu'il n'avait pas envie de la voir non plus, qu'il avait simplement voulu être tranquille et qu'elle était encore là, pour l'emmerder. D'une fermeté sans égal. Un ton à vous glacer les sens. Un roc, dur comme la pierre, et des traits plus dangereux que jamais. Des traits à vous en donner des frissons partout dans le corps. Pourtant, en les analysant plus intensément, la jeune fille pu en déduire que Zahari était dans le même état qu'elle. Son aura ténèbreuse et intimidante titillait d'ailleurs la curiosité mal placée de Cassandre, qui accusait encore la douleur qui se répandait derrière son crâne. Elle était persuadée qu'elle saignait, car un liquide chaud se répandit derrière sa tête et dégoulinait le long de sa nuque. Tentant d'esquisser une phrase sans que sa voix ne flanche, elle répondit : « Qu'est-ce que tu fous là ? » Raté. Elle bafouillait comme jamais il ne lui été arrivé de le faire depuis longtemps. Terriblement mal à l'aise, elle détourna les yeux et son regard se posa plus loin, sur des fleurs lumineuses. Une odeur très forte et particulièrement agréable s'en dégageait.  Son coeur loupa un battement et elle ferma fermement les yeux sous le choc, tout en essayant de chasser toutes éventuelles pensées morbides de son esprit. Prise d'une pulsion inconsciente, et alors que son tortionnaire oscillait en déséquilibre près de l'arbre, Cassandre pivota avec force sur le côté. Instinct de survie complètement stupide, elle se prenait pour une championne d'arts martiaux, se battant contre un ennemi fantôme. C'est seulement lorsqu'elle vit qu'il ne lui répondait pas qu'elle s'arrêta dans sa bataille invisible. Elle se releva pour se mettre à sa hauteur cette fois-ci, et elle vit l'impossible. La tristesse dans ses yeux était débordante. Cassandre s'approcha de lui au plus près, elle tendit une main vers sa joue, oubliant tout de lui, oubliant leur différents, et s'arrêta au dernier moment. « Qu'est-ce qui a bien pu te mettre dans cet état Zahari ? » Elle se recula, pour éviter de commettre l'irréparable et repris son expression froide et nerveuse. La drogue ne ferait bientôt plus effet, et lorsque ce serait le cas elle serait complètement déchaînée. Les descentes étaient toujours très difficiles. « Tu peux pas te passer de moi en fait ? » Elle éclata de rire, complètement hystérique. Passant du jour à la nuit, Zahari ignorait ce qui l'attendait.

Souffler, respirer, encore plus, toujours plus loin, toujours plus vite. Ses pas se glissaient dans la l'herbe, s’en extirpaient. Elle s’était habituée voilà longtemps à courir dans ces conditions, à oublier tout ce qui se passait autour d’elle, à ne plus se concentrer sur autre chose d’autre. Rien n’importait, personne n’importait. Et pourtant, c’était tous ces petits tracas de la vie qui la motivaient, qui la poussaient à courir tous les jours un peu plus. Le noir ne lui faisait plus peur, le froid ne la ralentissait plus. Chaque goutte de sueur était un tracas qui s’envolait, pour quelques instants du moins, le temps de la course, avant de lui revenir en mémoire, avant de se frayer un nouveau chemin vers son cœur. Zahari, Stanislaus, Fred, Sixtine, tous ces visages, ces noms qui, d’une façon ou d’une autre, l’amenaient à devoir se défouler. Pour différentes raisons, parce qu’elles les aimaient, trop ou trop peu, parce qu’elle avait peur de défaillir, de perdre la raison. Elle sentait que la période ne lui convenait pas. Son humeur était plus changeante qu’à l’habitude, elle passait de la joie aux larmes en un clin d’œil. Et elle ne supportait pas cela. Elle ne supportait pas cette sensation de perdre le contrôle de tout, mais d’elle-même surtout. Car c’était de cela qu’il s’agissait. De contrôle. Elle perdait pied, oubliait, pleurait, riait. Elle n’arrivait plus à faire la différence entre ce qui devait la rendre heureuse et ce qui devait lui faire mal. Tout semblait faire mal, ces derniers temps. Elle le sentait dans son cœur, dans tout son être, tout la brisait, lui déchirait les entrailles. Et puis, Zahari aussi avait courut. Et puis maintenant, il tendait une main vers elle, pour lui enlever des restes de feuilles. Elle voulut se reculer, mais elle ne put pas. Il fallait qu'il la touche, elle en avait besoin. Elle s'arrêta de rire aussitôt. Et lui, s'arrêta de caresser ses cheveux. « Tu crois au destin ? A la fatalité ? » Il demandait cela à elle ? Elle qui était destinée à maîtriser l'avenir ? Elle pour qui le destin n'était qu'un compagnon de jeu ? Elle qui aurait du le voir venir, la rejoindre dans la forêt, mais qui n'avait pas pu ? Un profond chagrin l'envahit désormais. Parce qu'elle ne serait jamais digne du sang qui coulait dans ses veines. Parce qu'elle n'aurait jamais les visions tant espérées. Et Zahari venait tout juste de lui rappeler. Et elle n’arrivait pas à exprimer le chagrin, la colère. Elle n’arrivait pas à mettre de mots sur ce qui la tourmentait. Cassandre n’avait jamais été douée avec les mots. La rouquine n’avait jamais pu exprimer exactement ce qu’elle ressentait. Cela avait été sa plus grande faiblesse, ce qui la propulsait probablement à chaque fois au fond du trou. Personne ne savait, hormis Sixtine peut-être. Elle était le seul à connaître l’instabilité de sa meilleure amie. Avec les autres, elle savait jouer la comédie, masquer ce qui la poussait parfois au bord du précipice. Au sens propre comme au figuré. Combien de fois ne s’était-elle pas penchée au bord d’un gouffre, se demandant ce qu’elle ressentirait une fois en bas ? Combien de fois n’avait-elle pas imaginé la chute, le fracas de son corps contre la roche, la fin de la vie qui s’écoulerait lentement hors de sa carcasse ? Combien de fois ne s’était-elle pas fait peur en songeant à tout cela ? Elle s’effrayait, se terrifiait même alors que ces idées traversaient son esprit. Mais jamais encore elle n’avait cédé à la pulsion. Elle avait observé la corde, mais non, l’avait reposé. Le gouffre ? Oui, cela aurait été une bonne solution, mais elle ne pouvait s’y résoudre. Au fond de Cassie, il restait cette part d’elle-même qui aimait la vie. Elle en était persuadée. Elle devait y croire. Alors pourquoi avait-elle ralenti l’allure ? Pourquoi avait-elle approché la forêt interdite ? Et pourquoi était-elle montée au plus profond, si profond que le château semblait si loin ? Elle réalisa où elle était alors que le vent gifla sa joue, que le froid se glissa sous ses vêtements Le vide s’étendait sous elle. La Gryffondor était appuyée à une branche, les jambes dans le vide. La panique se glissa dans son cœur. Comment était-elle arrivée là ? Elle ne s’en souvenait plus. Elle n’arrivait plus à se rappeler des dernières minutes, une bonne vingtaine, elle en était persuadée. Sa longue chevelure rousse cinglait son visage, emporter par le vent. Le soleil s’était couché depuis plusieurs heures déjà. Etait-cela qui l’avait motivée ? Cette conscience de l’absence de témoin ? Car si elle se ratait, elle ne voudrait pas que quiconque l’apprenne. Elle ne voulait pas devenir une bête de foire, même si un suicide susciterait inévitablement des questions. Mais elle ne se raterait pas. Pas cette fois. Il y avait cette force qui la poussait vers le vide, une force qu’elle n’arrivait pas à contrôler. Et il y avait Zahari, qui la poussait à rester, ou partir. Les larmes inondèrent ses yeux bleus. Elles roulèrent sur ses joues, creusant des sillages dans son maquillage léger. « Putain de destin, hein ? » Il était aussi mal qu'elle, et elle était la pire compagnie possible ce soir là. Ils n'iraient pas loin, et pourtant, ils étaient incapables tous les deux de s'abandonner.